Intervention de Joël Giraud

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud, rapporteur général :

Ce projet de loi vise deux objectifs : créer une taxe sur les services numériques et modifier la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés.

La taxe sur les services numériques (TSN) qu'il nous est proposé de créer s'inspire directement de la proposition de directive européenne du 21 mars 2018 de la Commission européenne – une solution provisoire en attendant la consécration dans le droit européen de l'établissement stable virtuel. Cette proposition de compromis a été soumise au Conseil ECOFIN le 12 mars mais n'a pas fait l'objet d'une adoption unanime puisque quatre États membres s'y sont opposés.

Plusieurs pays envisagent la création d'une TSN de même nature : l'Italie l'a prévue dans sa loi de finances pour 2019, le Royaume-Uni a lancé une consultation pour l'introduire dans le projet de loi de finances pour 2019-2020, l'Espagne l'avait prévue dans son projet de budget pour 2019 mais celui-ci a été rejeté dans son ensemble – d'où les élections anticipées – et le chancelier fédéral d'Autriche, Sebastian Kurz, a annoncé une taxe très proche de celle qui nous est proposée aujourd'hui. Ce dispositif, j'y insiste, se veut provisoire, dans l'attente d'une solution internationale qui sera trouvée au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette taxe vise les services numériques dans lesquels la participation des utilisateurs est déterminante dans la création de valeur et qui se caractérisent par d'importants effets de réseau. Son économie générale repose sur la notion de « travail gratuit » des utilisateurs et de la valeur qui en est retirée. Son champ correspond donc à celui de la proposition de directive. La taxe vise les services d'intermédiation – tels que les sites de rencontres et places de marché permettant la réalisation de transactions sous-jacentes – ainsi que les services de publicité ciblée fournis aux annonceurs, tels que les prestations aux annonceurs de placement de publicités ciblées, les services d'optimisation publicitaire, le reciblage publicitaire et la vente de données à des fins publicitaires. Je ne pourrai naturellement pas vous donner la liste précise des entreprises assujetties, qui relève du secret fiscal, mais je citerai quelques exemples de groupes concernés dans ces différentes catégories sans préjuger de leur assujettissement effectif à la taxe : Meetic et Tinder, Amazon, Alibaba, Apple, Airbnb, Leboncoin, Booking, Amadeus, Seloger, ainsi que Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Snapchat, Instagram ou encore Criteo.

Sont exclus du champ de la TSN les services de fourniture de contenu audiovisuel directement par l'entreprise, les services de paiement et de communication, les services financiers réglementés, les services de publicité non ciblée et le commerce en ligne. Ces exclusions, qui figurent également dans la proposition de directive européenne, se justifient par l'économie générale de la TSN dans la mesure où, en l'espèce, le « travail gratuit » des utilisateurs n'occupe pas une place centrale dans la création de valeur. Sont également exclus les services facilitant la vente de produits soumis à accises comme l'alcool et le tabac, par conformité à une directive de 2008.

Les entreprises redevables de la TSN seront celles dont l'emprise numérique mondiale et française est assez importante pour que les effets de réseau propres aux services taxables jouent à plein. De ce fait, le lieu d'établissement de l'entreprise est parfaitement indifférent. Les deux seuils d'assujettissement cumulatif à dépasser portent sur l'année N–1 et sont appréciés à l'échelle du groupe : le premier est fixé à 750 millions d'euros de recettes tirées des services taxables dans le monde, et le second à 25 millions d'euros de recettes tirées des services taxables en France. Quelque trente groupes multinationaux redevables ont été identifiés, dont certains ont des filiales en France : dix-sept sont établis aux États-Unis, onze en Europe et deux en Asie.

L'assiette de la TSN porte sur les recettes tirées au cours d'une année civile des services réalisés en France, c'est-à-dire au bénéfice d'utilisateurs localisés en France. Elle est déterminée à partir d'une méthode de répartition globale correspondant, de façon simplifiée, au montant des recettes mondiales multiplié par le quotient du nombre d'utilisateurs en France par le nombre total d'utilisateurs. Ces modalités ont l'avantage d'être simples à mettre en oeuvre et évitent les difficultés liées au suivi des recettes individuelles par opération ou par utilisateur. Et surtout, elles sont cohérentes avec l'économie générale de la TSN qui, je le rappelle, vise les services reposant sur le « travail gratuit » des utilisateurs.

J'en viens à la question importante de la déclaration et du paiement. Les modalités sont adossées à celles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et dépendent du régime de TVA dont relève le redevable. En pratique, la TSN fera l'objet de deux acomptes correspondant chacun à 50 % de la TSN due au titre de l'année N–1, le premier en avril et le second en octobre de l'année N, puis d'une régularisation en année N + 1. En 2019, un acompte unique sera versé en octobre et correspondra à la TSN qui aurait été due au titre de 2018. Il sera possible de moduler les acomptes ou d'opter pour un mécanisme de consolidation afin qu'il n'y ait qu'un seul déclarant et un seul payeur pour un même groupe. En outre, je rappelle – car plusieurs amendements ont été déposés sur ce point – que la TSN sera déductible de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, en vertu du droit commun. Cela permettra de réduire l'impôt sur les sociétés à hauteur d'un tiers de la TSN. La déductibilité portera sur le résultat de l'exercice au cours duquel la TSN sera mise en recouvrement, c'est-à-dire déclarée et liquidée.

Autre aspect très important : le contrôle. Les redevables seront tenus de conserver l'information portant sur les sommes encaissées chaque mois en distinguant entre les services fournis en France et la proportion des utilisateurs français de ces services. Est également prévue l'obligation de fournir les justifications sur les éléments d'établissement de l'assiette, avec taxation d'office en cas de manquement. L'administration pourra aussi recourir en tant que de besoin à la coopération administrative internationale en matière fiscale, dans le cadre des six directives européennes dites « DAC » qui portent sur ce sujet et des mécanismes d'échange de renseignements de l'OCDE.

Le taux de la TSN est fixé à 3 %, ce qui correspond au taux prévu dans la directive européenne, à celui de la TSN italienne et au projet espagnol rendu caduc par le rejet du budget. Il résulte de l'analyse économique que la Commission a faite du champ d'application de la TSN. Précisons en effet que cette taxe n'est pas une mesure de rendement : elle vise à adapter les règles fiscales à la modernisation de l'économie, à servir d'accélérateur des négociations internationales en cours – raison pour laquelle elle est provisoire – et à renforcer la justice fiscale vis-à-vis d'entreprises qui ne paient pas toujours leur juste part d'impôt sur les sociétés. Le rendement de la TSN devrait atteindre 400 millions d'euros en 2019 et 650 millions en 2022.

Passons au second volet du texte : la modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés. La loi de finances pour 2018 avait renforcé la trajectoire de baisse de son taux normal fixée en loi de finances pour 2017. Cette modification de trajectoire participe naturellement au financement des mesures en faveur du pouvoir d'achat prises en décembre 2018 pour un montant total de 10,8 milliards d'euros.

Le maintien du taux normal de l'impôt sur les sociétés à 33 13 % en 2019 concerne les grandes entreprises, à savoir celles dont le chiffre d'affaires est d'au moins 250 millions d'euros pour les exercices ouverts en 2019. Une clause anti-abus est prévue contre la clôture anticipée d'exercice avant l'entrée en vigueur de la loi. Les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) dont le chiffre d'affaires n'atteint pas ce seuil bénéficieront bien du taux de 31 % en 2019. Toutes les entreprises conserveront en outre l'application du taux de 28 % sur leurs 500 000 premiers euros de bénéfice. Je précise – car là encore, des amendements ont été déposés sur ce point – que le taux cible de 25 % à compter de 2022 n'est pas remis en cause et demeure l'objectif du Gouvernement.

Le maintien du taux de 33 13 % pour les plus grandes entreprises se traduira par une hausse des recettes fiscales de 1,76 milliard d'euros. N'oublions pas que 2019 sera une année double : ce sera celle du cumul des allégements de cotisations sociales et patronales et du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Les entreprises réaliseront donc un gain important, de l'ordre de 40 milliards d'euros, qui rend selon moi tout à fait acceptables les effets de l'article 2. A priori, 765 entreprises devraient être concernées, le rendement étant concentré sur les plus grandes d'entre elles.

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