Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous prie d'excuser mon retard : Bercy, c'est bien, mais Bercy c'est loin…

Je suis très heureux de vous présenter le projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique, auquel nous attachons tous beaucoup d'importance. Nous sommes entrés dans une nouvelle économie qui repose en grande partie sur la valorisation et la commercialisation des données. Cette nouvelle économie doit nous conduire à bâtir une nouvelle fiscalité ; ce projet de loi en est un des éléments, même s'il n'est qu'une étape sur la voie de la mise en place d'une fiscalité du XXIe siècle, plus juste et plus efficace, qui permettra de taxer les biens intangibles et la valeur créée par les données.

La France n'est pas seule à franchir cette étape. D'autres États européens s'apprêtent à mettre cette mesure en pratique : l'Italie, l'Autriche, le Royaume-Uni. La taxation du numérique recueille désormais le soutien de vingt-trois États membres de l'Union européenne sur vingt-sept.

Pourquoi cette taxe nous semble-t-elle indispensable ? Il s'agit tout d'abord d'une question de justice pour nos entreprises, comme l'a rappelé le rapporteur général. L'évaluation de la Commission européenne est sans appel : en moyenne, les grandes entreprises du numérique paient 14 points d'impôt de moins que les autres entreprises – TPE, PME ou ETI – en Europe. Nul ne saurait accepter cet état de fait.

C'est également une question de justice pour nos concitoyens. En effet, la valeur créée par ces entreprises du numérique repose sur la commercialisation de données dont nous sommes tous ici les pourvoyeurs : ce sont les données des consommateurs qui font les profits de ces entreprises, et ce sont ces profits qui, aujourd'hui, échappent largement à la taxation.

Enfin, c'est une question d'efficacité pour les finances publiques : si nous voulons, demain, pouvoir financer les crèches, les hôpitaux, les collèges, les lycées, les services publics et les grands biens publics du XXIe siècle, nous devrons taxer la valeur là où elle se crée. Nous avons donc besoin d'un système fiscal international plus juste et plus efficace.

Voilà pourquoi nous créons cette taxation des plus grandes entreprises du numérique au niveau national. C'est une taxe simple, ciblée et efficace. Elle est simple car son taux sera unique : 3 % du chiffre d'affaires numérique réalisé en France. Elle est ciblée puisqu'elle ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique, au-delà de deux seuils cumulatifs : 750 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques dans le monde et 25 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques en France. Ces seuils ont un objectif simple : ne pas freiner l'innovation des start-up ni la numérisation et la croissance des PME. Enfin, cette taxe est ciblée car elle vise les trois types d'activités numériques qui génèrent le plus de valeur : la publicité en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes sur des plateformes.

J'entends naturellement les critiques que formulent les uns et les autres à l'égard de cette taxation. Certains nous disent que la taxation du chiffre d'affaires n'est le choix ni le plus raisonnable, ni le plus efficace ; soit. Voilà deux ans que nous travaillons avec les services les plus compétents de la Commission européenne et de l'OCDE pour définir une autre base taxable : il n'en existe pas pour le moment. Je reconnais bien volontiers que le chiffre d'affaires a été retenu faute de mieux et j'espère que l'OCDE nous présentera une meilleure solution d'ici quelques mois mais, en attendant, ce n'est pas le cas.

On nous dit aussi que ce sont les consommateurs qui paieront cette taxe : mauvais argument. Les publicités que vous consultez tous les jours, bon gré mal gré, sur vos téléphones et autres appareils numériques, ne requièrent aucun paiement de votre part. Je ne vois donc pas en quoi la taxation de ces publicités ciblées en ligne pourrait avoir une quelconque incidence sur le consommateur ; ne jouons pas avec les peurs et les faux arguments.

On nous dit que nous allons affecter la compétitivité de nos propres start-up. Mais pour l'heure, le problème pour nos start-up n'est pas d'être soumises à une taxe applicable aux seules entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros, mais bien d'atteindre ces 750 millions d'euros de chiffre d'affaires mondial… Ne déplaçons donc pas le sujet là où il n'a pas lieu de se trouver.

On nous dit qu'une taxe nationale ne sert à rien : mieux vaudrait attendre le consensus. Nous y travaillons depuis dix-huit mois et vingt-trois États européens soutiennent désormais cette proposition mais, en matière de fiscalité européenne, tant que la règle restera celle de l'unanimité, il sera compliqué d'obtenir un accord sur un projet de directive. C'est pourquoi nous plaidons avec le Président de la République en faveur du passage à la règle de la majorité qualifiée sur les questions fiscales ; si tel était le cas, nous parviendrions aujourd'hui à un accord européen sur la taxation du numérique.

Sans la mobilisation de la France depuis deux ans, la taxation du numérique à l'échelle internationale serait au point mort. Aujourd'hui, je le répète, vingt-trois États sur vingt-sept soutiennent ce projet de taxe au niveau européen : lorsque nous l'avions proposé pour la première fois, en 2017, nous étions seuls… Nous avons également fait bouger les lignes au niveau international : depuis que la France a annoncé qu'elle créerait cette taxe, les travaux conduits à l'OCDE se sont subitement éclaircis au point qu'il semblerait qu'un accord y soit possible à brève échéance. Je n'ai aucun doute sur le fait que le jour où la France retirera sa taxation nationale des géants du numérique, ces travaux ralentiront exactement au même rythme ! En clair, cette taxation est un moyen pour qu'avec d'autres partenaires européens, nous produisions un effet de levier sur les travaux de l'OCDE afin d'obtenir au plus vite, en 2020, une taxation du numérique à l'échelle internationale. Je suis prêt à y travailler, notamment avec nos partenaires américains – j'ai eu l'occasion d'aborder la question à plusieurs reprises avec le secrétaire au Trésor des États-Unis, à qui j'ai indiqué que le jour où un accord sur la taxation internationale du numérique serait trouvé à l'OCDE, la France retirerait naturellement sa taxe nationale.

Je conclurai en vous faisant part de deux convictions simples. Premièrement, lorsque la France montre sa volonté, les choses bougent. Le rôle de la France n'est pas d'être suiveur et derrière, mais leader et devant. Sur la taxation du numérique et la fiscalité internationale du XXIe siècle, il est indispensable que la France prenne les devants, ouvre la voie et rassemble le plus grand nombre de partenaires.

Ma seconde conviction est que ce combat sur la fiscalité ne fait que commencer et exige que nous répondions à trois questions fondamentales très complexes et techniques, dont les incidences sont majeures pour nos ressources publiques. Première question : où se crée la valeur et comment la taxer ? Sur le lieu de consommation ou de production ? Comment taxer les biens intangibles, selon le terme employé par nos amis américains ? Nous nous saisissons de ce sujet majeur au sein de l'OCDE. Deuxième question : comment éviter le dumping fiscal ? En matière fiscale, en effet, la course vers le bas ne conduira qu'à l'appauvrissement des États, à la fin des services publics et à l'impossibilité de financer nos biens publics. Troisième question enfin, à laquelle je sais votre commission des finances très attachée, elle aussi fondamentale : comment lutter contre l'évasion fiscale pour bâtir la fiscalité internationale du XXIe siècle ? C'est tout l'objet de la taxation minimale de l'impôt sur les sociétés, qui vise à éviter l'évasion fiscale des grandes multinationales. C'est aussi, je le rappelle, l'objectif prioritaire du G7 Finances que je préside depuis le début de l'année.

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