Intervention de Émilie Cariou

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Cariou :

Au nom de La République en Marche, je voudrais dire notre soutien aux deux articles de ce projet de loi.

Je commencerai par l'article 2. J'appelle à faire preuve de clarté : conserver temporairement le taux facial de la fiscalité des bénéfices des grandes entreprises en 2019, ce n'est pas tout renier : nous maintenons la diminution des différents taux d'IS, mais dans le cadre d'une trajectoire réaménagée dans le temps. Nous ne remettons pas en cause le « signal taux » à terme. Compte tenu des choix budgétaires, que nous assumons, nous allons ainsi financer sérieusement les mesures adoptées en décembre dernier pour le pouvoir d'achat des ménages. Par le maintien du taux pour les plus grandes entreprises, nous en appelons à la solidarité des groupes payant l'IS dans notre pays en 2019. Nous connaissons leurs éventuelles difficultés, mais aussi leurs ressources en France et, pour certains d'entre eux, dans d'autres pays où les prélèvements sont plus cléments.

C'est parce qu'il s'agit de se doter d'un outil spécifique contre l'évitement fiscal que nous apportons notre soutien à notre ministre de l'économie, qui a pris ses responsabilités avec cette taxe sur les services numériques. Pourquoi faut-il soutenir l'article 1er de ce projet de loi ? Faire payer une taxe de compensation aux plus grandes sociétés du numérique dans des marchés à effet de réseau, c'est s'attaquer aux fameux marchés bifaces qui ont été étudiés par notre prix Nobel d'économie Jean Tirole. La TSN que nous allons établir est dans les tuyaux depuis plus de deux ans. Comme le rapporteur général l'a souligné, cette TSN s'apparente très fortement à celle défendue par la Commission européenne et par notre commissaire Pierre Moscovici il y a quelques mois, largement à l'initiative de la France – et de son ministre de l'économie.

La grande avancée de ces dernières années est que l'OCDE intègre totalement ces données dans la perspective d'un basculement progressif vers des solutions plus globales, comme elle va proposer de le faire d'ici à l'été 2019, dans le cadre du mandat donné par le G20. L'OCDE ne fait pas mystère de sa préférence pour des solutions intermédiaires de compensation, à l'image de cette taxe sur les services numériques. Celle-ci constituera un étage supplémentaire, et peut-être décisif, dans le décollage de la fiscalité internationale qui a commencé en 2013 avec la mise en place par l'OCDE du plan d'action « BEPS » (« Base Erosion and Profit Shifting », soit « érosion de la base imposable et transfert de bénéfices ») avec le soutien de la France et de l'Europe.

Plaider la fragilité de cette nouvelle taxe, avec un certain cynisme, revient à éroder tout le travail réalisé à l'échelon de l'OCDE et de l'Union européenne ; c'est peut-être même relayer des arguments malignement distillés par certains groupes d'intérêts que nous avons eu l'occasion d'auditionner. Ces mêmes acteurs voulaient empêcher de remettre de la territorialité du côté des consommateurs avec la TVA relative à l'e-commerce, mais ils ont échoué depuis 2015 : nous l'avons fait, au plus grand déplaisir de certains voisins du Grand-Duché. Ce sont encore les mêmes qui moquaient l'exception culturelle française ; mais, sachez-le, ils finiront par payer les taxes sectorielles dans le domaine culturel. Il est inutile de rappeler les succès remportés, plus largement, grâce à ce que nous avons impulsé avec les directives « services de médias audiovisuels » (SMA) et « droit d'auteur » dans le cadre du marché unique numérique, qui a été récemment lancé.

Nous reconfigurons collectivement les différents morceaux du puzzle pour empêcher qu'il y ait encore des trous. La taxe sur les services numériques ne pourra pas résoudre dès 2019 tous les problèmes liés à la fiscalité des grands groupes du numérique, mais elle renforcera notre boîte à outils et elle s'insère dans un contexte autrement plus favorable que le tableau cynique et apocalyptique dépeint par certains. Le Gouvernement aura donc un soutien clair et exigeant de sa majorité pour mettre en place cette taxe innovante qui permettra de se diriger vers l'étape suivante : celle, en cours de négociation à l'OCDE, qui concerne la notion d'établissement stable.

Je tiens à rassurer M. Masséglia et le président de notre commission sur ce sujet – et plus globalement sur la question de l'imposition de la valeur là où elle est créée. L'argument selon lequel cette taxation pourrait faire perdre de la valeur et des impositions à la France n'est pas étayé, même s'il est relayé depuis longtemps par l'Association française des entreprises privées. À y regarder de plus près, on voit que cela risque surtout d'affaiblir certains voisins dont la législation est nettement plus favorable que la nôtre en matière de taxation des éléments incorporels.

Au-delà des négociations relatives à l'établissement stable, la création d'une assiette consolidée pour l'IS reste un objectif à atteindre au plan européen. Nul doute, d'ailleurs, que cela fera partie du débat lors de la prochaine campagne électorale.

La TSN s'insère dans un mouvement plus vaste qui exigera encore, dans les prochains mois, un engagement de notre part et une abnégation républicaine pour remettre totalement les géants du numérique dans le droit commun de l'impôt. Rome ne s'est pas faite un jour : chaque étape nous rapproche d'un espace européen et international enfin régulé et nous éloigne du Far West fiscal et de ses écarts concurrentiels exubérants qui sont décriés dans tous les territoires de la République.

En conclusion, la création de la TSN revient à mettre un pied supplémentaire dans la porte de la fiscalité du numérique. Nous voterons donc en faveur de ce texte.

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