Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Madame Bénédicte Peyrol, je ne reviendrai pas sur la distinction que vous faites, à très juste titre, entre taxation numérique et évasion fiscale. Mais je redis l'importance que j'attache, dans cette construction d'une fiscalité internationale du XXIe siècle, à la lutte contre l'évasion fiscale, les paradis fiscaux et la sous-imposition, et à la mise en place d'une imposition minimale à l'IS. Nous aurons l'occasion d'en débattre à nouveau à la commission des finances,

Damien Abad, vous avez raison : ce n'est pas une « taxe GAFA », mais bien une taxe sur les activités numériques. D'autres entreprises que les géants américains du numérique sont taxées. Nous ne ciblons aucun État ni aucune entreprise en fonction de sa nationalité : les entreprises chinoises seront également taxées, comme des entreprises européennes ou des entreprises françaises. Ce n'est donc pas une « taxe GAFA », mais une taxe sur les activités numériques.

Il n'y a pas d'accord européen, c'est vrai, et je le regrette. Quatre États ont bloqué, pour des raisons de procédure et du fait de la règle de l'unanimité, l'adoption de la directive sur laquelle vingt-trois États s'étaient engagés totalement, notamment notre partenaire allemand, ou encore nos voisins espagnol et italien. Nous devons en tirer toutes les conséquences sur le fonctionnement de la fiscalité en Europe. Si l'on veut vraiment une intégration fiscale plus forte, et je crois que c'est indispensable pour consolider la puissance économique européenne, il faut passer de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée.

En revanche, nous ne sommes pas seuls : l'Autriche et le Royaume-Uni adoptent cette taxe, quoique selon des modalités différentes. Mais nous nous sommes mis d'accord pour aller nous battre ensemble à l'OCDE pour une solution internationale. En revanche, la sunset clause, ou clause d'extinction, ne me paraît pas un bon choix : cela reviendrait à nous lier pieds et poings et à nous mettre dans les mains des négociateurs qui joueront la temporisation et l'attentisme. Avec cette taxe nationale, nous avons au contraire un levier, et nous la retirerons sitôt qu'il y aura un accord international. Je préfère mettre la force du côté de la France, plutôt que la faiblesse. Car mon rôle de ministre de l'économie et des finances est de mettre la France en position de force dans la négociation à l'OCDE, non en position de faiblesse. Si vous adoptez cette taxation du numérique, nous serons en position de force à l'OCDE. Notre discours est clair : nous avons une proposition. Si vous avez mieux au niveau international, puisque vous ne voulez pas de taxe nationale, trouvez cette solution internationale et nous retirerons notre solution nationale.

Frédérique Dumas et plusieurs autres parlementaires ont posé la question, importante, du coût de la taxe pour le client. Rappelons que la moitié du rendement de cette taxe viendra de la taxation sur les données qui servent à la publicité, et notamment à la publicité ciblée. Or vous ne payez rien pour ces publicités – vous en êtes d'ailleurs plus souvent les victimes que les clients. Autrement dit, au moins pour une moitié, le coût pour le consommateur sera nul. C'est en cela, madame Dumas, que je maintiens que certains arguments sont irrecevables et jouent avec des peurs inutiles, notamment sur le coût pour le client. J'ai lu attentivement les arguments qui sont avancés. J'aimerais avoir en face de cette proposition des arguments de poids susceptibles de la contester. En tout état de cause, celui du prix pour le client est irrecevable, dans la mesure où la moitié des recettes proviendra de la taxation d'une publicité que vous ne payez pas. Quant à l'autre moitié, elle ne porte que sur la fraction de la commission d'intermédiation de 12 % que prélèvent les plateformes : une taxe de 3 % sur ces 12 % se traduira au pire par une augmentation du prix de l'ordre de 0,4 point… À vous comme à Charles de Courson, qui m'avait posé exactement la même question, je réponds que je veux bien entendre tous les autres arguments : la fragmentation du marché, le cavalier seul, etc., et m'efforcer d'y répondre. Mais je maintiens que celui d'un renchérissement des coûts pour le client, largement avancé par certains, est irrecevable, tout simplement parce que c'est faux.

Quant au rendement de la taxe, d'ici à la fin du quinquennat, autrement dit d'ici à 2022, il est estimé à 2 milliards d'euros. En tant que ministre des finances, j'estime que ce n'est pas une somme négligeable.

Je n'ai aucunement mis les parlementaires en cause : j'ai simplement voulu dire qu'il y avait une action de lobbying, au demeurant tout à fait revendiquée, de la part d'un certain nombre d'associations hostiles à cette taxation. Je connais aussi la position du Sénat américain : je crois savoir que plusieurs d'entre vous se sont rendus à Washington et ont eu l'occasion de discuter avec les sénateurs, dont je connais l'opposition. Mais mon rôle n'est pas de défendre les intérêts des Américains, mais les intérêts des Français et les intérêts financiers européens. J'estime, en conscience, que la situation de la fiscalité du numérique n'est aujourd'hui pas satisfaisante, ni pour l'Europe, ni pour les États-Unis d'ailleurs. Notre rôle est bien de rappeler certaines réalités.

Charles de Courson, je ne crois pas que nous soyons en désaccord. Mais il y a simplement deux problèmes différents, qu'il faut bien distinguer.

Le premier est de savoir où l'on paye l'IS. Sur ce point, nous avons, de toute évidence, un problème majeur, qui n'est pas réglé dans le cadre de cette taxation du numérique – je veux parler de ce phénomène considérable d'évasion fiscale.

Vos données ont une valeur, jusqu'au type de cravate que vous affectionnez. J'ai remarqué que vous aimiez bien les costumes plutôt bleus : du coup, Charles de Courson va recevoir beaucoup de publicités ciblées vantant des costumes bleus, des chemises bleues, des cravates bleues ou grises. Et dès lors que vous allez acheter un costume, vos données auront servi à créer une valeur qui mériterait de produire un impôt au bénéfice du Trésor public français. Or il se trouve que les recettes qui résultent de cette publicité ciblée vont ensuite être taxées dans un autre pays européen ou bien rapatriées aux États-Unis, et échappent totalement au Trésor public français.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que la TSN taxe ne résout pas le problème : c'est plutôt l'objet de la taxation minimale conçue pour éviter l'évasion fiscale. Or il se trouve, par un paradoxe qui n'est qu'apparent, que l'un des plus fervents soutiens de cette taxation minimale à l'IS n'est autre que le président américain et l'administration américaine : les États-Unis ont d'ores et déjà introduit une forme de taxation minimale. Sur la taxation du numérique et la solution nationale qui vous est proposé, nous avons avec nos alliés américains une réelle divergence, que nous assumons – avec toutefois un point de rencontre possible avec la taxation internationale au niveau de l'OCDE ; en revanche, sur l'évasion fiscale et sur la taxation minimale, nous avons en effet un vrai point de rencontre, puisque nous sommes d'accord pour lutter contre cette évasion fiscale.

Le second problème, beaucoup plus complexe, est celui de savoir quelle est la valeur que l'on taxe, sachant qu'elle est produite par des données immatérielles, intangibles et insaisissables… Un gobelet en carton, c'est un bien manufacturé : on sait où il a été produit, avec quels matériaux et comment on peut le taxer. Mais lorsqu'il s'agit d'une donnée intangible qui circule librement et qui est insaisissable, cela devient beaucoup plus compliqué. Nous ne sommes pas encore arrivés à trouver la définition de cet établissement stable numérique qui nous permettrait d'avoir une taxation plus fine et, je le reconnais bien volontiers, économiquement beaucoup plus cohérente que la taxation du chiffre d'affaires. Nous nous sommes donc rabattus sur cette solution par défaut, qui consiste à taxer le numérique sur la base du chiffre d'affaires. Je n'ai jamais prétendu qu'elle était idéale, mais je maintiens que c'est pour l'heure la seule disponible.

Y a-t-il un risque de fragmentation du marché européen ? En réalité, il y a déjà une fragmentation fiscale du marché européen, que je regrette et contre laquelle nous tentons de lutter par la taxation du numérique, avec l'accord de vingt-trois États sur vingt-sept ; j'espère que, d'ici à deux ans, nous parviendrons à un accord global à l'OCDE. Nous luttons aussi contre la fragmentation fiscale au niveau de l'impôt sur les sociétés : l'accord que nous avons passé avec l'Allemagne nous permettra d'avoir une base commune de l'IS. Le projet d'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés avance bien, mais le travail qui reste devant nous est encore extrêmement important.

La TSN va-t-elle pénaliser les exportations françaises ? Je vous réponds avec la même franchise qu'à Frédérique Dumas, car cela rejoint la question du coût pour le client. Le seul impact sera de 3 % de 12 %, c'est-à-dire de moins de 0,4 % pour une PME qui serait effectivement passée par Amazon pour exporter vers l'Allemagne ou vers un autre pays européen. Autrement dit, il y a un coût, mais extrêmement réduit : moins de 0,4 %.

S'agissant du risque juridique, il n'y en a pas, sur le fondement du droit européen, puisque c'est une proposition que nous avons reprise. J'ai eu à coeur de calquer la proposition française sur la proposition de la Commission européenne, même si le seuil de déclenchement n'est pas exactement le même : le seuil de 50 millions d'euros était un seuil européen, il n'est pas illégitime que le seuil national soit plus faible. Voilà pourquoi nous avons retenu 25 millions d'euros.

Enfin, j'en viens aux conventions fiscales. À partir du moment où la TSN n'entre pas dans le champ de l'IS, puisque c'est une taxe sur le chiffre d'affaires, cela ne porte pas atteinte aux conventions fiscales que nous avons signées avec les États-Unis.

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