Intervention de Boris Vallaud

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 16h25
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Monsieur le ministre, vous avez décidé de taxer les GAFA, ce dont personne ne saurait vous faire grief. Cependant, le sentiment qui prédomine est que nous avons laissé les multinationales se moquer des États comme jamais et que la proposition que vous faites aujourd'hui appelle un effort supplémentaire, la problématique de l'optimisation fiscale n'étant pas réservée au secteur du numérique – il est même permis de penser qu'il n'est pas un secteur qui ne se livre actuellement à cet exercice.

L'optimisation fiscale est une pratique qui finit par tout corrompre, tout saper, en instillant le soupçon, en permettant aux inégalités de se perpétuer et en affaiblissant les modèles sociaux. Ce sont ainsi des centaines de milliards d'euros qui, chaque année, manquent à nos services publics.

Afin d'y remédier, nous proposons un amendement que j'avais déjà déposé dans le cadre du PLF 2019 – ce qui m'avait valu de la part du rapporteur général un commentaire sibyllin portant sur la rédaction de ma proposition et, de la part du ministre Gérald Darmanin, une réponse très brève d'où il ressortait, en substance, que nous aurions dû régler le problème quand nous étions dans la majorité, ce que nous avions trouvé un peu court.

Notre amendement vise à changer la définition de la base imposable en France. Chaque société domiciliée à l'étranger vendant des biens ou des services en France pour un montant excédant 100 millions d'euros deviendrait sujette à l'IS en France, qu'elle y possède ou non un établissement stable, et les bénéfices imposables seraient calculés en multipliant les bénéfices mondiaux consolidés du groupe par la fraction de ses ventes mondiales faites en France. Ce dispositif donne corps à un principe simple, selon lequel les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leur chiffre d'affaires.

Pour aller au bout de la logique de cet amendement et lutter réellement contre l'évasion fiscale, il est prévu une clause anti-abus. L'administration fiscale se réserverait le droit d'ignorer les ventes faites à des territoires à fiscalité nulle ou faible dans le calcul de la proportion des ventes mondiales faites en France. Cette mesure permettrait d'éviter que les sociétés déclarent une fraction disproportionnée de leurs ventes à des clients hors groupe implantés dans des paradis fiscaux.

Cette réforme nécessite de renégocier les conventions fiscales internationales, et c'est pourquoi nous avons prévu que, durant une période intermédiaire permettant la conduite des négociations, en l'occurrence jusqu'à fin 2028, les bénéfices réalisés en France calculés en l'état du droit resteraient pleinement imposés en France s'ils sont supérieurs à ceux résultant de l'application des nouvelles règles proposées. Pendant cette période, les nouvelles règles proposées permettraient, en droit interne, de taxer les bénéfices supplémentaires actuellement taxables à l'étranger au fur et à mesure de la renégociation des conventions fiscales concernées. Il s'agit par cette mesure transitoire d'éviter la double non-imposition le temps que les autres pays et les conventions fiscales s'adaptent.

Pour répondre à une objection que vous avez eu la gentillesse de me faire parvenir par l'intermédiaire de votre cabinet, monsieur le ministre, je précise que la réforme ici proposée ne s'appliquerait qu'en France, et qu'il faudrait effectivement que d'autres pays se posent la question de la réforme de l'assiette. Pour ce qui est de la clef de répartition du chiffre d'affaires, la réforme ici proposée ne s'appliquant qu'en France, il a été fait le choix de ne pas retenir l'hypothèse d'y inclure la masse salariale et le capital, pour éviter le risque d'une incitation à la délocalisation des multinationales vers des pays à fiscalité faible.

Pour conclure, je voudrais revenir sur certains de vos propos, monsieur le ministre. Il y a quelques mois, alors que vous étiez en train de négocier la taxation des GAFA au niveau européen, vous aviez indiqué qu'il était compliqué de taxer en France seulement. Aujourd'hui, vous vous décidez finalement à le faire, suivant en cela l'exemple d'autres États, et c'est heureux.

Il y a quelques semaines, vous déclariez dans l'hémicycle qu'il fallait que les multinationales paient leurs impôts là où elles faisaient leur chiffre d'affaires.

Il y a quelques jours, j'ai lu sous la plume de grands penseurs – de la « Macronie », s'entend, à savoir Ismaël Emelien et David Amiel – un hommage au travail de l'économiste Gabriel Zucman, en l'occurrence à une proposition à l'élaboration de laquelle j'ai moi-même pris part, aux côtés de certains hauts fonctionnaires de la direction de la législation fiscale. Cela me conduit à espérer que ma proposition finira par emporter votre adhésion, peut-être même dès aujourd'hui si mon amendement venait à être adopté.

À défaut, je crains que la taxation des GAFA ne soit considérée comme une sorte de solde de tout compte qui ne résoudrait en rien la crise de confiance dans notre modèle social et dans notre capacité politique à affronter les excès de la puissance privée.

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