Intervention de Bruno le Maire

Séance en hémicycle du lundi 8 avril 2019 à 16h00
Taxe sur les services numériques — Présentation

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Tous ceux qui me disent que ce combat pourrait affecter nos champions nationaux et européens devraient donc plutôt s'inquiéter de la situation de monopole dans laquelle se trouve certains géants du numérique dont la valorisation boursière, je le rappelle, est supérieure à la richesse nationale de nombreux États. Ne nous trompons donc pas de combat. Le vrai combat, c'est rétablir l'efficacité fiscale, la justice fiscale et une concurrence rénovée dans une économie du XXIe siècle qui ne peut pas être bâtie sur l'évasion fiscale et sur le monopole de certains géants en nombre limité.

Pour réguler l'économie numérique, je tiens à le souligner d'emblée, la bonne solution de long terme sera une solution multilatérale. Je n'ai aucun doute sur ce point. C'est bien pourquoi, il y a deux ans, nous avons avancé pour obtenir un accord européen – et il y a deux ans, je le rappelle, la France était seule : lorsque, en juin 2017, j'ai proposé que nous taxions les géants du numérique, il n'y avait pas un État européen, à ce moment-là, pour suivre la proposition française ; nous avons convaincu l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne. Alors que nous n'étions que cinq au départ pour lancer cette initiative, en octobre 2017, dix-sept États européens nous ont soutenus et, il y a quelques mois, nous étions vingt-trois États sur vingt-sept à soutenir cette idée de taxation du numérique – et je regrette profondément que quatre États européens seulement aient pu bloquer une décision soutenue par, j'y insiste, vingt-trois États, sur le fondement d'une proposition solide de la Commission européenne.

Nous en avons tiré les conclusions, comme le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche, la Pologne. Vous ne voulez pas de taxe européenne ? Eh bien, nous allons instaurer une taxe nationale pour disposer du levier nécessaire et exiger de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – qu'elle avance plus vite vers une taxation numérique. Car c'est bien dans ce cadre multilatéral que nous allons poursuivre nos efforts et je ne relâcherai en tout cas jamais les miens jusqu'à ce que l'OCDE obtienne de ses membres une taxation efficace des géants du numérique à l'échelle internationale.

Un accord est possible. J'irai même plus loin : un accord est possible dès 2020 si nous nous y mettons tous ensemble. Et à mes amis américains qui regrettent que la France instaure une taxe nationale, je réponds que nos décisions sont libres et souveraines et je réponds également : joignez-vous aux efforts de la France et des États européens pour obtenir une taxation numérique à l'échelle européenne car dès qu'il y aura une solution au niveau de l'OCDE aussi efficace, aussi crédible, aussi juste que celle que nous instaurons au niveau national, nous retirerons notre taxe nationale au profit d'une taxation internationale.

Cet accord au sein de l'OCDE ne devra pas être un accord au rabais. Il devra répondre de manière effective aux enjeux de la taxation du numérique. Mais je suis décidé, avec mon partenaire américain Steven Mnuchin, à y travailler activement. Dans le cadre de l'OCDE, toujours, la France défendra la proposition d'un taux d'imposition minimal pour l'impôt sur les sociétés. L'évasion fiscale révolte en effet à raison nos compatriotes. Ce n'est pas la PME de vos territoires, ce n'est pas la TPE, ce n'est pas le commerçant, ce n'est pas l'indépendant qui va délocaliser ses bénéfices dans un État où le niveau d'imposition est plus faible. Ce sont bien les multinationales, celles qui ont aujourd'hui la rentabilité la plus élevée qui délocalisent leurs bénéfices pour être moins imposées. Nous n'acceptons pas l'évasion fiscale et nous nous doterons des moyens nécessaires, dans le cadre du G7 et de l'OCDE, pour lutter contre cette évasion.

Vous le voyez, nous restons attachés, avec le Président de la République, à des solutions multilatérales. Mais le multilatéralisme ne doit pas signifier l'impuissance. Le multilatéralisme ne doit pas signifier le statu quo. Le multilatéralisme ne doit pas signifier l'immobilisme. Quand nous voyons que des travaux prennent des années alors qu'ils ne devraient prendre que quelques mois, c'est, encore une fois, l'honneur de la France d'impulser le mouvement. J'ai en effet toujours considéré que notre nation n'était pas là pour suivre le mouvement mais pour le donner, que notre nation n'était pas là pour être derrière, mais pour être devant, en fixant le cap et en fixant des ambitions à la communauté internationale. Or c'est exactement ce que nous vous proposons ici avec la taxation nationale sur les géants du numérique.

Quelle est cette taxe nationale que nous vous présentons et à laquelle nous avons longuement travaillé avec le président de la commission des finances et avec son rapporteur général, que je remercie tous les deux pour la qualité des débats en commission ? C'est d'abord une taxe avec un taux unique : 3 % sur le chiffre d'affaires numérique réalisé en France. Elle est ciblée puisqu'elle ne touchera que les plus grandes entreprises du numérique. Elle aura deux seuils cumulatifs : 750 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques dans le monde et 25 millions d'euros de chiffre d'affaires sur les activités numériques réalisées en France – autant dire qu'elle cible les entreprises qui réalisent les chiffres d'affaires les plus élevés. La taxe ne visera que trois types d'activités numériques, celles qui produisent le plus de valeur : la publicité ciblée en ligne, la vente de données à des fins publicitaires et la mise en relation des internautes par les plateformes.

Nous avons eu de longs débats en commission sur des points pouvant sembler techniques mais qui pouvaient cacher des questions politiques importantes – c'est le cas du périmètre des activités ou des modalités de calcul du chiffre d'affaires. Je souhaite revenir brièvement sur certaines de vos interrogations au cours de nos débats.

Première question : la taxe va-t-elle toucher nos activités nationales et être un obstacle pour nos activités numériques ? Je le répète : nous rêvons d'avoir une multiplicité de champions numériques européens dont le chiffre d'affaires excéderait 750 millions d'euros, ce qui n'est hélas pas le cas. La critique que recèle cette question me semble donc mal avisée. Le vrai obstacle, c'est l'émergence de géants du numérique qui ont atteint des positions de monopole, qui, j'y insiste, captent les données, leur traitement et qui peuvent produire un effet de réseau suffisamment puissant pour empêcher l'émergence de nouveaux champions qui pourraient les concurrencer.

Ensuite, s'est à plusieurs reprises interrogé Charles de Courson, y aura-t-il un impact sur les consommateurs ? Le rendement de la taxe provient pour moitié des activités de publicité ciblée. Or ces publicités que vous consultez bon gré, mal gré – et plutôt mal gré que bon gré – , tous les jours, sont par définition gratuites, sinon je doute fort que vous les consulteriez. Je ne vois donc pas en quoi taxer les publicités en ligne pourraient avoir un impact sur le consommateur. L'autre moitié du rendement de la taxe provient de l'activité des plateformes, c'est-à-dire des recettes réalisées grâce aux commissions prises par les plateformes lors d'une vente entre intermédiaires. Ces commissions sont souvent de l'ordre de 10 %. Si la taxe devait être intégralement répercutée – ce dont je doute fort, mais prenons cette hypothèse maximaliste – , l'augmentation de prix serait de 3 % de 10 % soit 0,3 % du prix de vente. En outre, ce serait le prix de vente global qui serait concerné et non le prix de vente produit par produit. Je doute donc que cette taxe puisse constituer un frein majeur pour les utilisateurs situés en France.

Très franchement, de qui se moque-t-on ? Quand on voit les bénéfices, le chiffre d'affaires et la valorisation boursière de ces entreprises – je rappelle que cette valorisation dépasse largement celle de beaucoup d'États importants – , je crois qu'en France, nous regardons la paille dans notre oeil plutôt que la poutre dans celui du voisin. Pour ma part, je préfère, pour une fois, regardez la poutre dans l'oeil du voisin, et dire qu'il est bon de rétablir un peu de justice fiscale par rapport aux géants du numérique qui utilisent nos données et celles des consommateurs français.

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