Intervention de Jacques Toubon

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Depuis un an et demi, nous avons vu croître le nombre de réclamations portant sur des cas de harcèlement sexuel, mais la hausse est peu sensible. Nous avons publié l'an passé un rapport sur la perception des discriminations en matière de harcèlement discriminatoire, qui montre leur prévalence. Sans que cela relève de notre compétence, nous verrons les effets de l'application des dispositions que vous avez votées l'an passé, notamment l'infraction visant l'outrage sexiste.

Le refus de soins et, plus généralement, les difficultés d'accès aux soins constituent une autre forme de discrimination.

S'agissant des droits de l'enfant, nous attendons de voir les effets du plan interministériel 2017-2019 de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants. Les violences à l'égard des enfants seront le thème du rapport d'activité « droits de l'enfant » que je prépare pour le 20 novembre 2019, et qui coïncidera avec le trentième anniversaire de la signature de la convention internationale des droits de l'enfant. Pour ce qui est des violences commises en milieu scolaire, nous estimons que la vigilance et la réactivité peuvent parfois faire défaut.

En ce qui concerne la protection sociale, nous nous félicitons de la nomination, il y a quatre mois, d'un ministre dédié. C'est un progrès, peut-être le début d'un pilotage national dans ce domaine et de la mise en place d'un référentiel national. Nous sommes confiants dans le fait qu'Aurélien Taché sera actif et efficace dans un domaine où de nombreuses défaillances ont pu se produire, et sur lesquelles certains d'entre vous ont appelé l'attention.

C'est un domaine où les réclamations sont très nombreuses. Pour vous donner une idée des questions complexes qui se posent parfois à nous, nous nous sommes saisis d'office lorsque des propos d'une responsable du service adoption du département de la Seine-Maritime ont été rendus publics l'année dernière ; nous avons lancé une enquête sur les pratiques du service à l'égard des couples homosexuels, dont nous avons estimé qu'elles étaient discriminatoires et qu'elles portaient atteinte aux droits de l'enfant ; nous instruisons l'affaire et prendrons une décision prochainement. De son côté, l'IGAS, qui a été saisie, vient de publier un rapport faisant état de dispositions discriminatoires semblables dans d'autres départements. Si l'on veut faire respecter l'égalité, les droits des enfants, quels qu'ils soient, et combattre les discriminations à l'oeuvre dans la façon dont les politiques sont menées dans certains départements, nous avons fort à faire !

J'ai lancé la semaine dernière un nouveau comité d'entente sur l'« avancée en âge ». À travers nos relations avec la société civile et les associations compétentes, nous tentons de faire progresser la réflexion sur des questions qui ne font pas l'objet d'un projet de loi, comme le financement de la dépendance, mais qui portent sur la situation des aidants, ou sur les personnes handicapées vieillissantes. C'est un problème que l'on voit émerger : avant 60 ans, les personnes handicapées non autonomes bénéficient de toutes les prestations, notamment celles prévues par la loi de 2005, mais au tournant de leur soixantième anniversaire, elles deviennent des personnes âgées dépendantes, et bénéficient d'une couverture sociale bien moindre. Dans une société qui avance en âge comme la nôtre, le seuil de 60 ans fait-il encore sens ? Il revient naturellement au législateur de trancher cette question.

Parmi les points positifs, nous notons des progrès en matière de prise en compte du handicap.

Grâce à un amendement au projet de loi de programmation pour la justice, l'article L.5 du code électoral a été abrogé. Le ministère de l'intérieur prépare les dispositions nécessaires pour que les personnes concernées puissent exercer leur droit de vote lors des prochaines élections européennes. Le principe d'égalité et d'inclusion inscrit dans la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées commence ainsi à être mis en oeuvre. Cela se vérifie aussi avec d'autres dispositions en faveur des majeurs incapables votées dans ce même texte.

Nous saluons également les mesures décidées dans le cadre du quatrième plan autisme. Rappelons qu'en matière de handicap, les demandes dont nous sommes saisis proviennent de deux groupes principaux : les familles des enfants « dys » et celles des enfants autistes.

Nous espérons que d'ici à la fin de l'année sera mis en place un système d'information commun à toutes les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Cela contribuera à une meilleure connaissance de la situation. Pour mener une véritable politique d'inclusion scolaire, il y a besoin de statistiques. C'est un sujet que j'ai évoqué hier devant la commission d'enquête sur l'inclusion scolaire des enfants en situation de handicap. L'action menée par le secrétariat d'État aux personnes handicapées va dans le sens des préconisations du Défenseur des droits.

M. Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, vient d'installer un groupe de travail qui permettra d'élaborer une feuille de route et un pilotage national et qui contribuera à un meilleur traitement de questions comme celle des mineurs non accompagnés.

De la même façon, nous avons salué le rapport de M. Dominique Libault sur la concertation nationale « Grand âge et autonomie » publié la semaine dernière.

Nous espérons que le projet de loi sur le grand âge annoncé par Mme Buzyn nous aidera à faire face aux problèmes que j'ai évoqués en clôture des Assises nationales des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Prenons un exemple très simple : qu'advient-il de la liberté d'aller et venir quand les règlements fixent des horaires pour l'ouverture et la fermeture des portes à l'intérieur d'un établissement ? Il ne s'agit pas d'une question pratico-pratique relevant de l'efficacité du travail sanitaire ou social mais d'une interrogation sur des principes qui est du ressort de la loi.

En ce qui concerne la lutte contre les discriminations, nous avons constaté des avancées. Certaines décisions vont dans le bon sens. J'en citerai une, spectaculaire : la condamnation en première instance de l'entreprise chargée du nettoyage des trains à la gare du Nord. Plusieurs employés ont été reconnus coupables de harcèlement sexuel et de discriminations à l'encontre de certaines salariées.

Il y a un sujet sur lequel mon coeur balance, si j'ose dire, c'est le droit à l'erreur et la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Vous avez adopté, après de longues discussions, la loi pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC. Vous y avez introduit tant en matière fiscale qu'en matière sociale la prise en compte de la bonne foi de l'administré. Dans un rapport intitulé « Le droit à l'erreur, et après ? » publié la semaine dernière, nous avons dressé un bilan de ces dispositions. Nous montrons qu'elles sont inégalement mises en place à l'échelle du territoire et qu'aucune instruction générale n'a été donnée par la direction de la sécurité sociale aux organismes de sécurité sociale pour mettre en oeuvre ce droit à l'erreur. Madame la présidente, je sais la commission des Lois extrêmement soucieuse du suivi des textes votés par votre assemblée. Voici un sujet sur lequel vous pourriez utilement vous pencher.

En ce qui concerne la dématérialisation, les contacts que nous avons avec le Gouvernement – le Premier ministre, le secrétaire d'État au numérique principalement – montrent qu'il a pris en compte les préoccupations que nous avons exprimées. J'espère qu'il va mettre en oeuvre des solutions alternatives et surtout des mesures d'accompagnement.

Je cite souvent deux exemples de dématérialisation, un bon et un mauvais.

La généralisation de la prime d'activité il y a deux ans s'est accompagnée d'une dématérialisation des demandes. Le taux de recours a augmenté dépassant même celui du revenu de solidarité active (RSA) parce que les demandeurs, en particulier les 35 % d'entre eux qui sont jugés plus vulnérables, ont été accompagnés de manière très efficace par les employés des caisses d'allocations familiales et de Pôle emploi.

En revanche, lorsque les démarches liées aux permis de conduire et aux cartes grises ont été dématérialisées, il n'y a pas eu le même accompagnement. Le basculement brutal a abouti à un échec : 20 % à 30 % des demandeurs, soit des centaines de milliers de personnes, sont restés « en rade » au début de l'année 2018.

Pour finir, je dois dire que nous avons été touchés par le fait que le Président de la République ait cité notre rapport consacré à la dématérialisation et aux inégalités d'accès aux services publics, le jour même de sa publication, lors du lancement du Grand débat au Grand Bourgtheroulde en janvier dernier. Il a précisé qu'il allait prendre en considération les interrogations exprimées par le Défenseur des droits. Voilà qui est important pour le travail que nous faisons qui est de voir la réalité, de dire la vérité – nous n'avons de comptes à rendre à personne, nous sommes indépendants et libres – et de rechercher des solutions au niveau individuel ou collectif.

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