Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du mardi 9 avril 2019 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative au grand débat national

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault :

La séance qui nous réunit aujourd'hui se rapporte au grand débat que le Président de la République a proposé à nos concitoyens et nos concitoyennes, pendant près de trois mois. Cette démarche est inédite, reconnaissons-le, mais de ce fait, elle aurait dû être porteuse d'une double ambition : donner la parole aux Français, ce que vous avez fait, mais aussi poser la question de la force du lien qui unit l'ensemble de nos concitoyens et qui s'appelle la France, l'État, la nation.

Cette seconde dimension, abordée dans certaines réunions, a été absente de la lettre du Président de la République, tout comme de votre discours d'hier et d'aujourd'hui monsieur le Premier ministre. Or, sortir de ce grand débat sans vision d'un modèle pour la France, en réduisant la pensée politique à des phrases- choc du type « tolérance fiscale zéro », ne me paraît pas à la hauteur de notre histoire et de ce que nous sommes.

Appréhender et définir le modèle français est un exercice difficile. Mais cela fait partie de nos responsabilités. Abdiquer cette responsabilité serait reconnaître la désagrégation de la France et accepter de manière inéluctable les fractures économique, sociale, fiscale, territoriale et sociétale. Ces multiples fractures qui abîment notre cohésion nationale ont été, sous une forme ou une autre, au coeur de tous les débats. Il est impératif de les réparer mais toute tentative reste vouée à l'échec si nous ne savons quel modèle retenir.

Or, de ce modèle, vous ne dites rien. Au mieux, vous vous contentez de constats, ou vous avancez quelques propositions, toutes déconnectées les unes des autres à la manière d'une check-list. Construire un modèle est un exercice intellectuel et politique qui invente et crée le lien là où il ne le serait pas nécessairement.

Pour moi, et au risque d'être schématique, le modèle qui a façonné la France s'organise autour des trois piliers de notre devise républicaine qui forgent l'imaginaire collectif.

Tout d'abord, la liberté, avec l'innovation et la prise de risque. C'est la combinaison optimale entre l'idée de réussite personnelle et celle de réussite collective. Lors d'une réunion du grand débat organisée à Villebrumier dans ma circonscription, un citoyen a déclaré que la France était un grand pays par ses talents. C'est vrai : des talents, au pluriel, qui se reconnaissent dans une même unité. Cette liberté n'est pas seulement celle de la liberté individuelle de l'entrepreneur : elle s'est appuyée sur un État qui acceptait de prendre en charge une partie du risque, en portant une part de l'investissement pour la collectivité. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas et vous niez ce rôle de l'État comme en témoigne votre stratégie pour ce qui concerne Aéroports de Paris – ADP.

Deuxième pilier de notre devise républicaine : l'égalité, grâce à la protection sociale et au rôle particulier d'amortisseur des chocs sociaux que la collectivité publique joue en France, ainsi qu'au rôle de l'ascenseur social.

Enfin, la fraternité organise l'ouverture aux autres et irrigue le pays de l'intérieur et de l'extérieur. Concrètement, elle s'appuie sur les services publics, l'immigration et l'Europe.

Cette construction du modèle français n'est pas une tâche facile, je vous l'accorde. Il est compliqué de faire en sorte que tout s'emboîte, mais cette complexité a donné des résultats. Surtout, elle a pu fonctionner parce qu'elle a été portée par les responsables politiques ainsi que tous les corps intermédiaires que, pendant presque deux ans, vous avez ignorés.

En l'espace de quelques années, la France a tourné le dos à son fameux modèle. Dans son inconscient collectif, elle a tranquillement intégré l'antienne selon laquelle la modernité s'incarnerait dans l'absence d'État. Or aujourd'hui, l'État lui-même organise sa propre absence. C'est inacceptable et c'est ce qu'il faut corriger en premier lieu, monsieur le Premier ministre. L'État doit redevenir acteur de l'avenir de notre pays. Il n'a pas vocation à préempter ce que font les acteurs économiques privés, mais il ne peut à ce point se mettre en retrait de notre futur.

Vous parlez à raison de transition énergétique mais la seule réponse que vous avez apportée est celle de la hausse des taxes. L'expression « transition énergétique » comporte le mot « transition » : une transition se construit et s'accompagne. Sinon c'est un échec. Nous avons ainsi proposé de doubler l'effort de rénovation des logements qualifiés de passoires thermiques, pour arriver à 300 000 logements rénovés par an, dès 2019. Nous avons proposé un plan pour maintenir les petites lignes de train. Sur tous ces sujets, vous nous avez opposé une fin de non-recevoir. Changer nos modes de consommation supposerait que vous lanciez un grand plan de fret. Là aussi, nouvelle fin de non-recevoir. Tout ceci se construit mais face à ces enjeux, vous et votre majorité restez passifs.

Vous vous découvrez l'envie d'aménager le territoire. Vous avez raison mais la ligne à grande vitesse annoncée entre Bordeaux et Toulouse est en stand-by tandis que vous faites voter à votre majorité la vente d'ADP. Monsieur le Premier ministre, la privatisation d'ADP, c'est l'acte de trop. C'est pourquoi nous avons lancé aujourd'hui, pour la première fois dans l'histoire de notre République, avec 218 parlementaires issus de onze groupes politiques à l'Assemblée et au Sénat, un référendum d'initiative partagée, afin de permettre aux Français de se prononcer sur la privatisation d'ADP.

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