Intervention de Jérôme Nury

Séance en hémicycle du mercredi 10 avril 2019 à 15h00
Intérêts de la défense et sécurité nationale dans l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Nury :

... par un amendement cavalier qui n'a finalement pas été retenu par le Sénat – ce qui lui a peut-être évité les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Procrastination, négligence, oubli... Comment qualifier cette façon baroque d'amener un texte aussi important pour notre sécurité nationale et pour le déploiement de la téléphonie mobile ?

Les enjeux, la complexité du sujet et la diversité des acteurs concernés auraient pourtant mérité un projet de loi bien ficelé, assorti d'une étude d'impact et rédigé de manière précise et concertée. Mais nous devrons nous contenter d'une proposition de loi rédigée à la hâte et déposée en catastrophe à la faveur d'une niche parlementaire.

Malgré cela, le texte, aussi court soit-il, aborde un dossier majeur et stratégique à plusieurs titres : d'abord parce qu'il s'agit d'un sujet sensible qui concerne notre sécurité nationale et notre souveraineté ; ensuite parce qu'il y va d'une technologie qui va révolutionner nos usages numériques.

S'agissant de la souveraineté, nous sommes bien sûr entièrement d'accord pour sécuriser nos réseaux et les données des utilisateurs, que ceux-ci soient privés, publics ou industriels.

Quels que soient les réseaux, il y transite en effet de plus en plus d'informations. Le réseau 5G se démarque de ses prédécesseurs en ce qu'il accentue le partage du stockage des données entre les coeurs de réseau et les dispositifs de relais. Il peut donc mettre en péril des informations sensibles, importantes, voire vitales pour la sécurité de notre pays, de nos concitoyens ou du monde économique. Il est donc incontestablement indispensable de disposer de garanties de confidentialité et de non-divulgation à des tiers – à d'autres pays, à des entreprises concurrentes.

De même, les enjeux sécuritaires sont considérables puisque de nombreuses fonctions essentielles pourraient être confiées aux systèmes d'information – conduite de véhicules autonomes, robotisation médicale ou industrielle, domotique avancée.

Quant au fond, il est donc important de légiférer et de renforcer notre arsenal de contrôle et de répression afin de ne pas nous exposer à des intentions malveillantes qui mettraient à mal les intérêts du pays et de ses habitants.

S'agissant de la technologie elle-même, la 5G ne va pas simplement faire évoluer nos pratiques : elle va totalement bouleverser les usages du nomadisme connecté auxquels nous avons été accoutumés jusqu'ici. Il ne s'agit pas d'une évolution technologique comparable à celle qui nous a fait passer de la 2G à la 3G ou de la 3G à la 4G : la 5G constitue une rupture technologique majeure qui permettra l'hyperconnectivité et le déploiement à grande échelle de l'intelligence artificielle, des véhicules autonomes, des objets connectés et intelligents. En outre, les avancées permises par la 5G vont faire émerger de nouveaux modèles économiques dans les secteurs d'avenir que sont l'énergie, la santé, les transports, les médias, et plus largement dans l'industrie. Ce basculement vers un monde totalement immergé dans le numérique, sans limites de puissance ni de réactivité, impose un déploiement dans l'ensemble du territoire, zones rurales comprises, et une très grande vigilance quant à la sécurité du nouveau réseau.

Quant au fond, tout en partageant les objectifs du texte, nous restons attentifs au caractère discrétionnaire de la procédure proposée, tout en souhaitant éviter une lourdeur technocratique qui pourrait faire prendre du retard à la France en matière de déploiement de la 4G et de la 5G.

Il faut veiller, tout en sécurisant les réseaux, à ce que la nouvelle réglementation n'aboutisse pas à réduire la concurrence entre les équipementiers. Toute complexification à l'excès, toute élimination de facto ou a priori d'équipementiers, tout délai d'autorisation excessif aura des conséquences potentiellement dévastatrices pour notre pays, qu'elles compromettent la vitesse du déploiement complémentaire de la 4G ou le déploiement futur de la 5G. Il existe de vrais risques de hausse des prix de déploiement, de baisse de la qualité technologique, de retard dans les déploiements et dans la mise en oeuvre du « New deal » s'il faut démonter des éléments actifs installés sur les antennes depuis le début de l'année, enfin de retard dans l'attribution des licences 5G, et donc dans la couverture de la France.

Si les menaces pour la sécurité nationale sont bien réelles, le retard pris par la France dans le développement de ses réseaux l'est également – il atteint un an selon Stéphane Richard, PDG d'Orange. Notre pays fait pâle figure face à ses homologues européens qui ont déjà réglé les questions de cybersécurité et d'implantation des réseaux. Ainsi, l'Italie a déjà commencé la vente de ses licences 5G, l'Allemagne a arrêté l'attribution de quarante et un blocs de fréquences aux opérateurs et le Danemark commence à déployer ses réseaux, tandis que la Suisse a finalisé l'acquisition du spectre 5G disponible. Quant aux États-Unis, les opérateurs y vendent déjà des services fondés sur cette génération de téléphonie mobile. Malgré les annonces du Gouvernement, on peine à croire que la 5G pourrait être présente en France début 2020 et couvrir une grande partie du territoire d'ici à 2022.

Or le risque est grand que le texte ralentisse les procédures. Il laisse par exemple jusqu'à neuf mois à l'État et aux services du Premier ministre pour répondre aux opérateurs. Par ailleurs, il prévoit d'encadrer toutes les implantations et modifications de réseaux, alors même que seuls les composants dits actifs présentent un danger pour la défense et la sécurité nationale. Compte tenu des enjeux économiques colossaux de cette affaire, le Gouvernement ne peut plus laisser la France prendre davantage de retard sur ses concurrents : il doit permettre le déploiement rapide et sécurisé des réseaux de téléphonie mobile, en tenant compte de la dimension d'aménagement du territoire qui nous est chère.

En conclusion, et au vu de ces risques et des enjeux exposés et contenus dans le texte, il serait judicieux et sécurisant pour le Parlement comme pour les professionnels du secteur – opérateurs, équipementiers, sous-traitants – de mener de front le processus législatif contenu dans la proposition de loi et le processus réglementaire,...

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