Intervention de Maina Sage

Séance en hémicycle du jeudi 11 avril 2019 à 15h00
Statut d'autonomie de la polynésie française - diverses dispositions institutionnelles en polynésie française — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaina Sage :

Il y a cinq ans, la Polynésie dressait le bilan des dix ans d'application de la dernière grande réforme, celle de la loi organique de 2004 qui organise en effet un statut d'autonomie ouvrant de très larges possibilités en vertu de l'article 74 de la Constitution. Ce bilan sans concession a permis de faire le point sur les avancées majeures ainsi réalisées mais aussi sur les difficultés d'application – je pense aux flous en matière de partage de compétences. C'était également l'occasion de dresser un bilan approfondi des trente ans d'autonomie. Pour y avoir été présente, je me rappelle très bien de la session de l'assemblée de la Polynésie française qui a alors permis à toute l'expertise de s'y exprimer. J'y avais notamment retenu une phrase du président de l'assemblée à l'époque, devenu président de la Polynésie, Édouard Fritch, phrase à mon avis assez fondatrice de ce que nous faisons aujourd'hui : « L'histoire de notre autonomie, c'est l'histoire de la conquête d'une certaine forme de liberté au sein même de la Liberté, avec un grand L, proclamée dans notre devise républicaine. Derrière toute conquête, il y a souvent le fruit d'un travail, de l'opiniâtreté, de la souffrance, de l'effort d'hommes et de femmes qui, à un moment de notre histoire, ont été amenés à se battre pour la conviction que la régence des affaires locales depuis une capitale éloignée de 18 000 kilomètres devenait à la fois comme un non-sens et une valeur dépassée et improductive. Oui, cet anniversaire [les trente ans de 1984 et les dix ans de 2004], c'est donc aussi celui de ces défenseurs de notre personnalité, de notre identité propre, de cette conviction que nous saurons nous assumer et être dignes de la confiance des Polynésiens [... ] ».

L'autonomie se construit en fait depuis plus d'un demi-siècle. Notre collègue Philippe Gosselin a rappelé qu'après la Deuxième Guerre mondiale s'est engagé dans tous les territoires d'outre-mer un processus d'autonomie.

Je ferai ici un aparté que me suggère l'hommage rendu hier à Aimé Césaire. Nous devons en effet rendre hommage à tous ces hommes qui, dans cet hémicycle, ont lutté pour l'émancipation de nos territoires. Nous poursuivons cette tâche dans le respect des choix qui ont été faits alors mais aussi de ceux que font aujourd'hui les élus, et qui sont véritablement l'expression de la démocratie.

Nous voilà cinq ans après les concertations qui ont d'abord été conduites de façon interne à la Polynésie, avec les ministères et les services concernés, puis avec le ministère des outre-mer que je tiens à saluer. Madame la ministre, je vous remercie, ainsi que vos équipes, pour ce travail de partenariat qui a poursuivi celui qu'avaient mené les deux précédents gouvernements, avec notamment les accords de l'Élysée que vous avez évoqués.

Ces accords ont abouti au projet de réforme examiné aujourd'hui. Certes, il ne constitue pas une révolution, et il n'a jamais été présenté comme tel. Il n'est pas non plus l'évolution constitutionnelle que certains souhaitent, ce que je peux comprendre – notre collègue Moethai Brotherson, qui est issu de cette minorité des Polynésiens ayant une volonté politique différente, s'est exprimé en ce sens.

Non, ce texte n'est pas une révolution. Néanmoins, cette réforme comporte trois avancées que je juge fondamentales et qu'il convient de rappeler.

On peut aujourd'hui avoir l'impression que ce projet de réforme n'a pas posé de difficulté. En fait, comme M. Fritch l'indiquait il y a cinq ans, des discussions, qui sont presque des combats, sont toujours nécessaires pour faire reconnaître cette différence et permettre que le droit soit adapté. En effet, nous faisons fort bien le travail législatif que nous faisons dans cette assemblée, de façon à ce que le système de droit soit efficace et réponde aux besoins de nos populations.

Les besoins qui sont les nôtres à 18 000 kilomètres de cet hémicycle ne sont évidemment pas les mêmes qu'ici, et le regard que je porte sur l'autonomie est peut-être plus pragmatique, et moins politique. Pour moi, en effet, ce statut n'est qu'un outil au service du développement et de l'épanouissement de notre territoire. L'autonomie des territoires, qu'ils soient d'outre-mer ou d'ailleurs, permet des adaptations et une plus grande efficacité de l'application du droit, ainsi qu'une meilleure reconnaissance de la richesse que la France possède dans sa diversité.

L'une des trois avancées majeures de ce texte est néanmoins symbolique, ou encore politique : il s'agit de la reconnaissance de notre histoire commune qu'ont représentée les trente années d'essais nucléaires.

La Polynésie s'étend sur 5 millions de km2 d'espace maritime : vous prenez la moitié de la Corse et vous la divisez en 118 petits morceaux que vous répartissez sur la surface de l'Europe – voilà la Polynésie. Ces éléments de géographie permettent de comprendre qu'il est nécessaire d'adapter le droit à notre territoire. J'ai d'ailleurs oublié un détail qui a son importance : moins de 300 000 habitants vivent sur cet ensemble d'îles.

La Polynésie, c'est donc 118 îles, cinq archipels, des groupes différents d'îles, des atolls mais aussi des problèmes, des langues et des cultures distincts. En Polynésie, tous les journaux télévisés sont en français et en tahitien, et nous sommes très majoritairement bilingues. Ce sont là autant de réalités qui doivent être prises en compte.

La Constitution nous le permet, et cette loi organique doit traduire cette capacité d'adaptation. Pour vous donner aussi une idée de la dimension, mais aussi des difficultés, de ce territoire, j'ajouterai que la Polynésie possède quarante-sept aérodromes.

Un autre chiffre doit être rappelé : les 193 essais nucléaires qui ont eu lieu en Polynésie pendant trente ans. Non, nous ne faisons pas d'opération de com', comme cela a été dit précédemment ! Cette période a marqué tous les Polynésiens : 193 essais nucléaires ne s'oublieront jamais. Et je ne pense pas qu'aujourd'hui nous soyons en train de tourner la page car, pour tourner une page, il faut ouvrir le livre. Peut-être est-ce d'ailleurs ce que nous faisons depuis dix ans, notamment avec les travaux importants et courageux qu'a menés la commission d'enquête de l'Assemblée.

À ce propos, j'ouvre une parenthèse pour saluer le travail qu'ont réalisé le tissu associatif mais aussi les hommes et les femmes politiques de cette époque, notamment au sein du clan indépendantiste, et que rejoignent aujourd'hui entièrement ceux qui défendent l'autonomie.

Je pense que cette cause est transpartisane. Au fond, ce que nous souhaitons, en inscrivant cette reconnaissance dans la loi organique et, j'espère, demain dans la Constitution, c'est qu'elle fasse l'objet d'actes clairs de réparation. Tel est l'enjeu du travail que nous avons engagé avec vous.

À ce propos, je remercie le travail de la sénatrice Lana Tetuanu et celui de notre collègue Nicole Sanquer qui veille, au sein de la commission, à ce qu'au-delà de l'indemnisation des victimes ait lieu un suivi sanitaire et écologique ainsi qu'une prise en charge pleine et entière de cette responsabilité, que nous n'avons aucunement entendu partager dans cet article 1er. Il est clair, en tout cas, qu'au sein de la majorité en Polynésie, lors des négociations qui se sont tenues, il n'a jamais été question d'un quelconque partage des responsabilités. J'entends néanmoins ce qui a été dit de part et d'autre, car tel est aussi notre rôle.

Je rappelle les travaux qui ont été menés. Beaucoup d'entre vous ont été informés aujourd'hui d'une action des groupements syndicaux et de notre représentant au Conseil économique, social et environnemental. Je note que le terme « contribution » est sensible : nous y reviendrons tout à l'heure, lorsque nous examinerons les amendements.

Ce texte constitue aussi une avancée considérable en ce qu'il facilitera demain la relation entre l'État, le pays et les communes. L'utilisation des outils électroniques peut sembler simple, mais elle aura de grandes conséquences dans un territoire grand comme l'Europe.

Les avancées qui concernent la sortie d'indivision sont là encore essentielles. Vous le savez, le foncier est en Polynésie un problème majeur. Nous le réglons ici par la voie de modifications du Code civil qui sont extrêmement attendues et qui constituent le deuxième volet d'une réforme dont le premier volet fut la création du tribunal foncier.

Pour conclure, l'autonomie se construit chaque jour et pierre à pierre. Celle que nous apportons aujourd'hui ne sera certainement pas la dernière !

Nous reviendrons sur les différents aspects de ce texte lorsque nous présenterons nos amendements.

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