Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mercredi 10 avril 2019 à 13h35
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics :

J'ai présenté ce projet de loi ce matin devant la commission des Lois et je le ferai à nouveau, après en avoir discuté avec votre délégation, devant la délégation parlementaire de l'Assemblée nationale aux droits des femmes, dans le cadre du titre V sur l'égalité professionnelle.

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, de nombreuses dispositions concernent la fonction publique territoriale, et ce pour deux raisons. La première, c'est que certains articles sont propres à la fonction publique territoriale (FPT). La seconde, c'est que l'intégralité ou presque des articles s'appliquent aux trois versants, ou au moins à deux d'entre d'eux, et de nombreuses dispositions communes aux trois versants trouvent matière à s'appliquer dans la FPT. Par ailleurs, la méthode de concertation que nous avons suivie nous a conduits à différencier certaines mesures pour la FPT par rapport à ce que nous proposons pour la fonction publique d'État (FPE) et la fonction publique hospitalière (FPH).

Il est important de le souligner car, lorsque nous parlons de fonction publique territoriale, nous nous adressons à environ 1,9 million d'agents, titulaires ou contractuels, et à 48 000 employeurs publics, de tailles extrêmement différentes, connaissant des problématiques différentes et des organisations qui le sont tout autant. Nous savons que nos concitoyens sont attachés aux métiers de la territoriale, que ce soit dans les écoles, les EHPAD, les services techniques, etc. : bref, l'ensemble des services, notamment municipaux et départementaux, qui interviennent quotidiennement dans leur vie. Avec ce texte, nous avons voulu apporter aux employeurs, qui nous le demandent régulièrement, plus de confiance, plus d'autonomie, plus de responsabilité aussi. Nous avons également voulu répondre aux agents publics qui sont nombreux à considérer vivre une forme d'assignation à résidence professionnelle et manquer de perspectives, de possibilités d'envisager une deuxième ou une troisième carrière. Ce faisant, nous avons voulu répondre aux usagers, qui souhaitent un service public plus efficace, plus réactif, dont la continuité serait garantie et qui soit en mesure de s'adapter très rapidement aux évolutions des besoins, des technologies ou des organisations territoriales.

Nous avons présenté ce projet après une année – et même un peu plus – de concertation, qui s'est traduite par plusieurs centaines d'heures de réunion, dont 200 environ que j'ai présidées, avec les organisations syndicales, qui ont toutes joué le jeu, même si, à la fin du processus, seules deux d'entre elles, la CFDT et l'UNSA, ont fait le choix de présenter des amendements. La démarche est à saluer puisque, sur les quelque 200 amendements présentés par ces deux organisations, lorsqu'on excepte les amendements de suppression d'articles qui avaient une vocation de rappel de positions de principe, nous avons donné suite à environ la moitié des demandes, ce qui démontre aussi que nous avons écouté, entendu et pris en compte les propositions.

Avec les employeurs, nous avons initié une méthode de co-construction appuyée sur des relations et des rencontres très régulières avec les associations d'élus, en lien avec Jacqueline Gourault et l'ensemble de ses services, ainsi qu'avec la coordination des employeurs initiée par Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), et regroupant l'ensemble des associations dites représentatives, les maires ruraux, les petites villes, l'association Villes de France, France urbaine, l'Assemblée des communautés de France (ADCF), l'Association des régions de France (ARF), l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Association des maires de France (AMF), et j'en oublie certainement. Nous avons aussi, avec Philippe Laurent, été chargés par le Premier ministre il y a maintenant plus d'un an, lors de la Conférence nationale des territoires de Cahors, de travailler conjointement à la rénovation de la fonction publique territoriale et nous avons pu constater à cette occasion que les convergences étaient nombreuses et que nous avions largement de quoi construire des mesures partagées.

La co-construction implique une forme de différenciation. C'est la raison pour laquelle des dispositions ont été introduites soit par les employeurs territoriaux par voie d'amendement lors des instances de consultation du personnel et des employeurs, soit grâce au soutien qu'ils ont apporté eux-mêmes à des amendements portés par les organisations syndicales. À titre d'exemple, nous n'avions pas prévu initialement, non pas que nous ne soyons pas convaincus mais parce que je voulais le co-construire avec eux, que la rupture conventionnelle pour les agents titulaires, sous forme d'expérimentation, serait ouverte à la fonction publique territoriale. Nous l'avions réservée à la FPE et à la FPH. À la suite d'un amendement syndical soutenu par le collège des employeurs, nous avons accepté cette extension. De même, nous prévoyons de permettre la signature de contrats de deux fois trois ans en catégories A, B et C au lieu de la seule catégorie A, dans la FPE et la FPH, et c'est un amendement des employeurs territoriaux qui nous conduit à permettre la signature de tels contrats en catégorie B pour la territoriale. En revanche, ils n'ont pas souhaité que cette possibilité soit étendue aux catégories C ; c'est là aussi une demande que nous avons entendue.

L'équilibre que nous recherchons entre d'une part davantage de souplesse et d'autonomie pour les employeurs publics, et d'autre part de nouvelles garanties et de nouveaux droits pour les agents repose ainsi sur la concertation, et n'aurait pu être atteint sans l'implication des employeurs territoriaux et des élus qui les représentent.

Je ne reviendrai pas sur les cinq piliers du texte puisque j'ai eu l'occasion de le faire ce matin en commission des lois. Je pense plus utile pour votre délégation d'insister sur trois points.

Tout d'abord, la question du dialogue social. Nous avons comme objectif de le simplifier en ayant moins d'instances de représentation et de consultation. Celles-ci sont aujourd'hui au nombre de 22 000 pour 5,5 millions d'agents publics. Nous souhaitons, par la fusion des comités techniques (CT) et des comités d'hygiène et de sécurité (CHS), recentrer le dialogue social sur des enjeux plus qualitatifs, sur les questions essentielles, avec des compétences pour cette instance unique en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de lignes directrices de gestion des ressources humaines, tant pour la mobilité que pour la promotion, ainsi que d'organisation puisque nous reprenons l'intégralité des compétences exercées précédemment par les CT et les CHS.

Nous voulons que les employeurs publics, et notamment les employeurs territoriaux, aient plus de latitude dans le dialogue social. C'est la raison pour laquelle nous prévoyons que le Gouvernement puisse légiférer par ordonnances sur un point particulier, qui consiste à permettre de décentraliser le dialogue social et de lister, avec les employeurs publics comme avec les organisations syndicales, les champs pour lesquels un accord majoritaire, avec une portée juridique, pourrait être négocié localement, indépendamment de l'existence ou non d'un accord au niveau national. Cela permettrait de responsabiliser les acteurs du dialogue social au niveau local et favoriserait les améliorations. Une concertation préalable sera nécessaire avant la rédaction de l'ordonnance, car il faudra dresser un bilan des accords de Bercy conclus en 2008, qui avaient arrêté le principe de l'accord majoritaire dans la fonction publique mais en limitant son champ d'application au niveau national.

Le deuxième point sur lequel je souhaite insister touche à l'élargissement des viviers de recrutement, dans une volonté, tout d'abord, de transparence. Depuis un décret du 28 décembre dernier, l'ensemble des employeurs publics, quel que soit leur versant, sont tenus de publier toute offre d'emploi vacant, titulaire ou contractuel, dès lors que le contrat est supérieur à un an. Un espace numérique commun du nom de « Place de l'emploi public » permet aujourd'hui de géolocaliser 9 000 emplois publics dans les trois versants, pour garantir les conditions de transparence et de publicité de ces emplois.

Au-delà de cet accès à l'information, nous voulons favoriser d'une part les mutations interministérielles et d'autre part les mobilités inter-versants au niveau local. Il s'agira de supprimer la compétence des commissions administratives paritaires (CAP) en matière d'examen des dossiers individuels de mobilité et de promotion. Il s'agira aussi de favoriser la mobilité des fonctionnaires de l'État vers les versants territoriaux et hospitaliers. C'est ainsi, à titre d'illustration, que nous allons neutraliser le différentiel de taux de contribution employeur pour la retraite entre l'État et les deux autres versants puisque celui-ci est de quarante-quatre points aujourd'hui et que, lorsqu'un employeur territorial souhaite accueillir un agent de l'État en détachement, il est parfois réfréné dans son envie par la perspective d'un renchérissement de quarante points de cotisations sociales.

Par ailleurs, nous élargissons les cas de recours au contrat afin de permettre le recrutement sur des métiers pour lesquels il n'y a pas d'école de service public qui forme à la compétence, et ainsi répondre à des spécificités techniques, et de favoriser aussi des recrutements plus locaux dans la mesure où certaines filières titulaires rencontrent des difficultés faute d'attractivité. Je rappelle pour rassurer celles et ceux qui craignent parfois une trop grande différence entre les deux statuts que l'article 32 de la loi de 1983 portant statut général de la fonction publique soumet les agents contractuels aux mêmes engagements et aux mêmes devoirs que les agents titulaires et leur garantit les mêmes droits. Nous allons donc permettre dans la fonction publique territoriale des contrats de deux fois trois ans en catégorie B et dans la fonction publique hospitalière des contrats de deux fois trois ans en catégories B et C comme pour la fonction publique d'État.

Je souhaite souligner deux autres aspects concernant les contrats. Tout d'abord, nous envisageons un contrat de projet qui permettra à un employeur public de s'adjoindre une compétence pendant un temps donné. Ce sera un CDD d'un maximum de six ans et d'un minimum d'un an. Nous avons prévu une durée minimale pour éviter que ce soit une forme de machine à contrats courts ou très courts. L'employeur et l'agent contractuel devront déterminer lors de la signature la durée prévisionnelle du contrat. Il ne s'agit pas de dire à l'agent contractuel qu'il rejoint une collectivité pour une durée variant d'un à six ans mais plutôt qu'il mènera une mission de quatre ou cinq ans, que ce soit pour la mise en oeuvre ou la conception d'un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) ou le suivi d'un projet de rénovation urbaine. Cela permettra aux différentes administrations de s'adjoindre des compétences pour un temps donné, et à des contractuels venus du secteur privé de consacrer quelques années de leur vie à l'action publique sans s'inscrire à l'échelle d'une carrière.

Ensuite, nous faisons en sorte que les communes de moins de 1 000 habitants puissent recruter par contrat pour l'ensemble de leurs emplois permanents, quelle que soit la catégorie hiérarchique et pas seulement pour les secrétaires de mairie comme c'est le cas actuellement. Nous consacrerons aussi la portabilité du CDI inter-versants, qui nous paraît logique.

Le troisième point que je veux souligner porte sur l'abaissement des cloisons entre le secteur public et le secteur privé. Il s'agit de permettre aux agents publics de construire eux-mêmes une deuxième ou troisième carrière professionnelle dès lors qu'ils le souhaitent ou que le besoin s'en fait sentir. Nous allons ainsi, comme cela a été demandé lors de la concertation, mettre en place la rupture conventionnelle au bénéfice des agents en CDI et des fonctionnaires des trois versants, avec un encadrement, une forme d'homologation, mais aussi des indemnités de rupture et d'assurance chômage dans les mêmes conditions que pour le secteur privé, ce qui nous paraît essentiel pour sécuriser le projet professionnel de l'agent concerné.

Nous garantirons aussi la portabilité des droits à la formation entre secteurs public et privé avec un mécanisme de conversion des droits acquis dans un secteur de manière à pouvoir les utiliser dans un autre secteur et favoriser les mobilités, voire les allers-retours, tout en adaptant le cadre déontologique pour mieux prévenir les conflits d'intérêts. L'objectif est de recentrer le champ du contrôle systématique de la commission de déontologie sur les métiers à risques en sortie de la fonction publique vers le secteur privé, mais de rendre aussi systématique le contrôle pour les mêmes métiers lors du retour ou, et c'est une création, lors de l'entrée dans la fonction publique. Si nous ouvrons les emplois de direction aux contractuels comme nous le souhaitons, il faut en effet prévoir ce contrôle de déontologie.

Le projet de loi n'épuise pas l'intégralité des sujets de la fonction publique. D'autres concertations sont en cours sur l'attractivité des concours, la protection sociale complémentaire, même s'il y a un renvoi là aussi à une ordonnance, le développement de l'apprentissage…

Surtout, ce projet a vocation à être enrichi à l'occasion de l'examen parlementaire. Je pense à un certain nombre de sujets comme celui de la formation, en ayant en particulier à l'esprit le rapport de Jacques Savatier et Arnaud de Belenet sur les rapprochements possibles entre le CNFPT et les centres de gestion. Je pense aussi à la nécessité d'avancer peut-être davantage sur une initiative des organisations syndicales que nous avons acceptée et qui consiste à prévoir un accès renforcé à la formation, notamment dans la territoriale, pour trois catégories d'agents : ceux qui ont la formation initiale la moins importante, ceux qui sont en situation de handicap et ceux qui occupent des postes à usure professionnelle. Ce sont en effet celles qui rencontrent le plus de difficultés de reclassement du fait des évolutions technologiques ou de problématiques médicales. Sur ces dernières, nous aurons aussi un travail de concertation à mener pour réformer les instances médicales et garantir une meilleure prévention car en la matière nous sommes très loin de l'exemplarité et il y a fort à faire pour progresser.

Je n'évoquerai pas les autres thèmes du projet de loi, comme l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou l'accompagnement des restructurations, qui relèvent de la fonction publique d'État, mais si vous avez des questions sur ces sujets, j'y répondrai volontiers.

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