Intervention de Maëlle Bouvier

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Maëlle Bouvier :

Bonjour. J'ai trente-deux ans, je suis actuellement manager dans un grand cabinet de conseil au sein duquel je réalise des missions d'assistance au secteur public. Avant d'en arriver là, j'ai eu un parcours quelque peu semé d'embûches.

J'ai été placée à Tours à l'âge de trois ans et demi, avec mon frère qui a un an de plus que moi, dans le cadre d'un placement d'urgence. On est venu nous chercher à la sortie de l'école maternelle et, à partir de cet événement, je n'ai jamais remis les pieds à mon domicile familial – jamais.

Suite à ce premier placement d'urgence en famille d'accueil, nous avons été placés dans un premier foyer de l'enfance, en Touraine, puis dans un second, toujours en Touraine. Alors que j'allais avoir huit ans et mon frère neuf ans, nous avons été placés dans une famille d'accueil, dans le Gers, dans le Sud-Ouest, famille d'accueil qui était salariée par une association des Landes et dans laquelle nous sommes restés, mon frère et moi, jusqu'à notre majorité révolue puisque nous avons tous les deux bénéficié d'un contrat « jeune majeur », lequel nous a permis de mener nos études supérieures. Mon frère a fait une fac d'histoire, il est aujourd'hui professeur dans un lycée et moi j'ai fait une fac de droit, Sciences-Po Toulouse, puis un second master à la Sorbonne.

J'ai travaillé dans des ONG dans le domaine du conseil, dans des ministères, dont trois ans et demi aux Affaires étrangères. Je suis depuis quelques mois, repartie dans le privé, toujours dans le domaine du conseil.

Je pourrai revenir sur les différentes étapes de mon parcours, si vous le souhaitez ; si vous avez des questions à me poser, ce sera avec grand plaisir que j'y répondrai. Mais je sais que le temps nous est compté et j'aurais souhaité insister sur un point en particulier, fondé sur ma conviction profonde, à titre très personnel et au regard de ma seule histoire : l'ASE m'a sauvé la vie. En effet, je suis certaine que si j'étais restée dans ma famille biologique, je n'en serai pas là aujourd'hui et que mon parcours de vie serait bien moins lumineux, avec bien moins de perspectives et très certainement beaucoup de déséquilibres psychiques, nerveux, mentaux, des souffrances psychologiques, voire physiques.

Cette conviction est le fruit d'un long cheminement. Lorsque j'étais placée, j'étais en colère. J'étais en révolte contre la rigidité de l'institution, contre le fait d'avoir été séparée de mes parents. Quoi qu'on en dise, quand on est un enfant, c'est une souffrance. J'ai donc longuement cheminé à titre personnel et aussi à titre professionnel, puisque j'ai eu la chance de travailler au début des années 2010 dans un cabinet de conseil en politique médico-sociale, au sein duquel j'ai contribué à évaluer et à élaborer des schémas départementaux de la protection de l'enfance, un peu partout en France. Cela m'a beaucoup aidée à comprendre mon propre parcours et à prendre du recul sur mon histoire. Cela a également enrichi mon regard sur la politique et rééquilibré la vision que j'en avais.

Sur cette base, j'ai développé une forme de perplexité au regard du traitement médiatique que l'on fait de l'ASE en France – mon opinion est très personnelle. Je ne nie pas que c'est un système qui, à bien des égards, est à bout de souffle, que des situations sont inacceptables et nécessitent des signalements très réactifs et des réponses particulièrement fermes. Je ne nie pas non plus que des enfants sont en souffrance, notamment lorsqu'ils sont séparés de leurs parents et sont placés en établissement. Je l'ai moi-même été. Quand je vois des enfants pleurer dans une maison d'enfants à caractère social (MECS) à la télévision, je pleure avec eux ; quand je vois des jeunes majeurs à la rue parce qu'ils n'ont pas bénéficié d'un accompagnement à leur majorité, je suis bouleversée – évidemment. Mais je ne vois pas que cela.

Lorsqu'on se penche sur une politique publique et sur son devenir, il est important de voir l'autre côté de la balance et de se pencher sur ce qui fait l'efficacité du dispositif, sur les parcours de réussite, sur le retour d'expérience des familles et des enfants qui ont été suivis et dont la situation s'est résolue grâce à l'accompagnement de l'ASE. On ne parle jamais de cette « majorité silencieuse », comme je l'appelle. Il convient également de mettre de ce côté de la balance le témoignage des professionnels qui, dans leur grande majorité et malgré ce que peuvent en dire les médias, sont des professionnels investis, consciencieux, engagés qui, tous les jours, essayent de trouver des solutions et d'apporter du réconfort aux enfants. En tout cas, c'est ainsi que je le perçois aujourd'hui, après mon cheminement. Ce n'était pas forcément le cas lorsque j'avais dix, quinze ou dix-huit ans.

Je plaide pour un débat dépassionné, autant que faire se peut, qui permette de prendre le temps de se pencher sur des questions très structurantes : sur la manière de mieux protéger nos enfants et de consolider la légitimité même de cette politique.

Lorsque je parle du traitement médiatique à charge, il ne s'agit pas pour moi seulement d'une question d'éthique médiatique ou de principe. J'ai vraiment le sentiment que la vision déséquilibrée que l'on diffuse en France érode, petit à petit, la pertinence même de cette politique, alors qu'elle me semble fondamentale. Des enfants sont à protéger aujourd'hui, il y en aura encore demain. Il faut vraiment que l'on puisse consolider la politique qui leur est destinée.

Je trouve également que cette vision à charge n'aide pas les enfants à se construire et à se reconstruire. Il n'est pas évident de porter l'étiquette « enfant de l'ASE » mais lorsqu'on voit la manière dont on en parle aujourd'hui dans les médias – c'est encore moins évident, en tout cas à mon sens.

Je plaide aussi pour que l'on puisse prendre le temps de se pencher sur des questions plus structurantes, mettre en lumière les vrais sujets qui permettront de consolider cette politique, que ce soit sur la sortie du dispositif, le renforcement des accompagnements à domicile, la concrétisation des plans personnalisés pour l'enfant, la généralisation de certains dispositifs expérimentaux menés sur les territoires. Voilà ce que je voulais vous dire en quelques minutes. J'espère avoir respecté mon temps de parole. Je suis à votre disposition si vous avez des questions à me poser. Merci à tous de votre écoute.

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