Intervention de Sonya Nour

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Sonya Nour :

Bonjour. Merci que nous ne soyons plus simplement des sujets « parlés » mais que nous puissions être maintenant des sujets parlants. C'est extrêmement important pour moi.

Mon histoire a été très difficile. J'ai été placée pour la première fois à sept ans après que ma mère, qui souffrait d'une pathologie mentale lourde, elle était schizophrène, nous avait enfermés pendant dix jours suite à un délire de persécution. Elle était persuadée que quelqu'un viendrait nous tuer. L'enfermement a été difficile mais le plus dur pour moi, c'est que l'on a attendu sept ans avant de nous placer alors qu'il y avait eu des signalements, que j'avais souffert de plusieurs traumatismes crâniens, de brûlures et de divers sévices. Mais il a fallu attendre qu'il y ait ces dix jours d'enfermement dans son délire pour que la police vienne fracturer la porte de chez moi. Le traumatisme a été lourd. Quand on est enfermé pendant dix jours, que l'on nous explique que l'on va venir nous tuer et que l'on voit arriver des personnes armées et être ensuite placés, cela a été pour moi un choc terrible.

Quand je suis arrivée en structure, on m'a séparée de mes soeurs. La petite est allée à la pouponnière, moi je suis allée dans un groupe ; ma soeur a été mise ailleurs, ce qui a été aussi extrêmement violent.

Suite à cela, je n'ai pas été suivie psychologiquement, j'ai simplement passé un entretien avec un « psy d'entrée », qui a considéré que j'allais bien. Je pense que c'était impossible de dire que j'allais bien, après avoir vécu cette année de ma vie dans les conditions que j'ai traversées. J'ai donc été en difficulté au cours de mon placement.

Ma mère a été hospitalisée en psychiatrie quelques mois. Ensuite, ils ont considéré que dans la mesure où elle était sous traitement, je pouvais, nous pouvions retourner chez elle. C'était ma mère, j'étais contente, je l'aimais. Peu importent les sévices, un enfant aime sa mère. Nous sommes retournés et ce qui devait arriver arriva : de nouvelles violences suivies d'un retour en structure, replacement chez ma mère, retour en structure. J'ai ainsi connu sept structures différentes jusqu'à mes douze ans. Je suis alors revenue encore une fois chez ma mère. L'important, c'était absolument le retour en famille. Cette fois-là, ma mère a voulu fracasser la tête de ma grande soeur. Des éducateurs sont venus chez nous et nous ont demandé à nous, enfants, alors que je n'avais que douze ans, si nous voulions partir de chez nous, comme si c'était à nous, enfants, de décider si on devait partir ou pas. Je sentais que si je restais là, j'allais finir par mourir. J'ai donc dit que je voulais m'en aller.

Ils m'ont prise avec ma grande soeur, ils ont laissé ma petite soeur chez ma mère. Cela a été extrêmement difficile. Je ne comprenais pas le placement, je ne comprenais pas comment on pouvait nous ballotter comme ça. En tout, j'ai fait sept structures différentes et huit familles d'accueil, où ça ne fonctionnait absolument pas parce que je refusais les familles d'accueil. J'étais en colère d'être privée de famille, et lorsque j'étais placée dans une famille, pour moi, c'était un miroir terrible.

Je passe sur le fonctionnement des structures ou sur la violence en interne, avec les enfants et les éducateurs. Mes éducateurs me disaient : « Sois contente d'être là. Déjà, tu coûtes cher à la société. » Voilà ce qu'on disait. On me disait que je n'avais pas à me plaindre et qu'il fallait, en gros, que j'apprenne à « me calmer », sauf que j'étais dans une colère énorme et qu'il n'y avait pas d'aide « psy » pour nous.

Ma mère a été mise sous tutelle ; elle était incapable de gérer son argent, incapable de gérer ses papiers. Elle n'avait pas le droit de vote ; par contre, elle avait toujours l'autorité parentale. Quand elle appelait la structure, dans un délire psychotique, pour dire que je me prostituais, que j'avais un maquereau, qu'elle demandait ce que faisait l'ASE, ils ont organisé ce que je considère être un viol. Ils m'ont obligée à quatorze ans à faire un test de virginité. On n'est pas en Iran, on n'est pas en Arabie Saoudite, on est à l'ASE. Ils ont considéré qu'ils devaient vérifier si j'étais ou non une pute, parce que ma mère psychotique l'avait demandé. Ce sont des choses qui, encore aujourd'hui à trente-cinq ans, me sont extrêmement douloureuses.

Ma mère avait toujours du pouvoir. Ce fut conflit sur conflit, fugues, etc. Quand ils m'ont ramenée chez ma mère à onze ans, j'ai fait une tentative de suicide. Ce fut terrible et violent. Et je ne parle même pas des éducateurs avec moi, pas tous – on ne peut mettre tout le monde dans le même sac – mais ils ne supportaient pas que je ne supporte pas le placement.

Arrivée à seize ans, j'étais en détresse et j'ai à nouveau été placée dans une nouvelle structure où, pour la première fois de ma vie, je suis tombée sur des éducateurs et un psy qui m'ont dit : « Tu as le droit d'être en colère et c'est normal que tu sois en colère. » J'ai attendu d'avoir seize ans pour entendre qu'il était normal que je sois en colère. Ensuite, ils ont essayé de me sortir de cette spirale, ils m'ont donné un logement à seize ans. Mais ma mère est partie à Marseille. Dans la mesure où elle avait l'autorité parentale, j'ai été balancée à Marseille. Tout ce que l'on avait essayé de construire avec cette structure a été balayé. J'ai été placée dans un foyer d'une telle violence… Le premier soir où je suis arrivée, j'ai été tabassée. Je suis partie, et donc je me suis retrouvée à la rue à dix-sept ans. Plus de possibilité de structures. J'étais dans un état terrible et donc voilà, ça a été la rue. De toute manière, quand je suis arrivée à Marseille, on m'a dit la façon dont je devais me comporter – vu que j'étais très mal d'être arrivée là-bas. Ils ont ajouté que vu les conditions, un contrat jeune majeur pour les gens comme moi c'était « niet » : de toute manière, ce serait la rue à mon anniversaire. Je m'y suis donc retrouvée pendant quelques années.

La rue, elle vous tue rapidement. Vous n'avez aucun revenu de subsistance, absolument rien, vous êtes à la merci de toutes les violences. Ça été terrible. À vrai dire, je ne sais pas comment j'ai pu me sortir de tout cela en décidant à vingt-quatre ans de reprendre mes études que j'avais arrêtées à quinze ans à peu près. J'ai passé mon bac et puis j'ai décidé de faire des études en psychologie et puis je suis devenue psychologue de formation.

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