Intervention de Maëlle Bouvier

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Maëlle Bouvier :

Entendre ces témoignages m'a grandement émue et je me suis rendu compte en creux de la chance que j'ai pu avoir.

J'ai été assez étonnée d'entendre les nombreux témoignages où les enfants ont dû retourner dans leur famille alors que ces dernières étaient violentes ou maltraitantes.

Pour ce qui me concerne, ma mère est décédée de la maladie de Charcot quand j'avais six ans, mais mon père était toujours présent. Il est décédé il y a quelques années. Il a gardé l'autorité parentale mais je n'ai jamais eu à retourner chez lui, je n'ai jamais eu à subir ses décisions et ses actes un peu délirants. Son droit de visite était très limité parce que j'étais placée dans le Gers, et lui habitait à Tours. Avec mon frère, nous le voyions une fois par trimestre pendant quelques heures à Bordeaux en présence d'un éducateur. C'est tout. Je crois que cette stratégie a été très bénéfique pour moi et mon frère. Par ailleurs, nous savons d'où nous venons et nous avons créé des liens affectifs et familiaux avec nos grands-parents, avec nos oncles et tantes, avec nos petits frères et soeurs qui sont nés après, avec nos cousins. Je sais qui je suis, je sais d'où je viens, j'ai cet ancrage sans avoir à subir des liens réguliers avec les éléments perturbateurs de ma famille biologique.

Il est vrai que mon frère et moi-même n'avons pas très bien vécu le temps où nous avons été placés en foyer, mais nous étions petits. Nous n'y sommes pas restés très longtemps mais j'ai quand même souvenir de cette violence symbolique et institutionnelle forte. Le passage en famille d'accueil a évidemment été pour nous une chance, on est tombé sur une famille d'accueil formidable que j'aime très fort, qui est ma deuxième famille aujourd'hui. Je suis la marraine de la première fille de mon frère d'accueil, mon frère est le parrain du fils de mon frère d'accueil. Nous formons aujourd'hui une famille, c'est ma deuxième famille, ce ne sont pas mes parents, je ne les appelle pas « maman, papa » mais Henriette et Jean-Jacques. C'est mon ancrage et cela l'a été pendant de très nombreuses années.

On parle souvent à l'ASE du lien que les travailleurs sociaux et les familles d'accueil doivent avoir avec l'enfant, notamment le fait de mettre une forme de distance. Je le conçois. J'ai travaillé sur les schémas départementaux de l'ASE. J'entends très bien cet argument. Cela dit, protéger un enfant est une chose, mais qu'il se sente lui-même protégé est encore autre chose. Si je n'avais pas eu la tendresse de ma famille d'accueil, sa patience infinie face à deux enfants très en colère, je n'en serais certainement pas là aujourd'hui. Ils ont été aidants à bien des égards. Ils ont perdu leur fille pendant le placement suite à un accident, ils nous ont gardés. Cela a été pour nous une marque d'amour très forte, cela nous a beaucoup aidés à nous construire. Évidemment, ce fut un moment très douloureux pour tout le monde. Je sais que le fait que nous ayons été placés chez eux les a aidés, eux, à tenir et nous à nous construire.

J'étais sur les bons rails, j'avais cette famille d'accueil, j'étais une bonne élève, mon frère aussi, je voulais faire de grandes études, j'avais beaucoup d'ambition. Je ne me suis jamais posé la question de mes dix-huit ans, jamais. Le contrat jeune majeur nous a été donné, sans que nous n'ayons eu à nous battre, même si j'ai dit que je voulais faire des études de droit et être juge. L'ASE m'a fait passer quelques petites auditions avec des psys pour s'assurer de la pertinence du projet. Ce petit moment ne fut pas très agréable !

Le contrat jeune majeur m'a grandement aidée. Quand je me suis rendue à l'ASE à Tours à vingt ans, un peu fanfaronne, pour dire que tout allait bien, que je m'en sortais bien, que je venais d'être reçue à Sciences Po, que je faisais des petits boulots, que j'avais réussi à m'acheter une petite voiture, l'ASE m'a dit que je n'avais donc plus besoin de ma famille d'accueil. J'avais dix-neuf ans, je n'ai pas compris ce qui m'arrivait. Ma famille d'accueil était à un an de la retraite et a refusé la décision. Henriette s'est mise au chômage pendant un an, ce qui nous a permis de garder nos chambres.

À cet âge-là, il faut tout apprendre : on doit se trouver, on doit chercher, on doit gérer un budget, on doit apprendre à cuisiner, à réussir ses examens, on ne sait pas trop où on va. Savoir que je pouvais rentrer le week-end dans cette famille, qu'elle me donne un petit bocal de pâté, une petite salade du jardin, que je pouvais raconter ma semaine et avoir un câlin avant de repartir, cela a tout changé, alors même que j'étais vraiment sur les bons rails. Mais je pense que si je n'avais pas eu ce contrat jeune majeur, d'une part, cette décision de ma famille d'accueil, d'autre part, je n'en serais pas là. Je pense que j'aurais vrillé et que j'aurais perdu l'ancrage et la stabilité qu'on avait eu du mal à construire pendant plusieurs années,

Dernier point, je pense qu'il faut vraiment travailler sur l'accompagnement psychologique des enfants, les engager dans un parcours de résilience, prendre soin d'eux, entendre leur colère, leur donner la parole. Je suis allée voir des psychologues quand j'étais adolescente, j'ai continué à en voir quand j'étais adulte. Je suis en train de terminer une psychothérapie, c'est un long chemin. C'est un socle, un outil, une respiration fondamentale que l'on devrait activer dès le plus jeune âge avec bienveillance et adresse, parce que cela reste encore un sujet un peu tabou en France alors que dans ces cas-là, notamment pour des enfants placés, cela me semble fondamental.

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