Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 29 avril 2019 à 16h00
Débat sur le rapport d'information du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Nous examinons aujourd'hui l'excellent rapport de nos collègues Ugo Bernalicis et Jacques Maire, qui évalue la lutte contre la délinquance financière. Ce débat concerne l'une des préoccupations principales des Français. Il est salutaire et tombe à pic : il y a quelques jours, la cour administrative d'appel de Paris a annulé la dette fiscale de Google. Avec cette décision, le montant de plus de 1 milliard d'euros que Google doit à notre patrie nous file entre les doigts ! J'essaie de comprendre pourquoi le Gouvernement a été battu par Google. En première instance, la justice avait déjà tranché en faveur de la multinationale, qui n'aurait pas à déclarer ses bénéfices en France, puisque c'est sa filiale irlandaise qui vend la publicité sur le marché français. M. le ministre de l'action et des comptes publics avait fait appel de cette décision, mais, sans changer la loi, il était impossible de faire payer à Google ses bénéfices réalisés en France !

Hélas, Google est loin d'être la seule multinationale qui pille l'État. Je parlerai ici un peu longuement du cas de l'entreprise McDonald's, car il illustre très bien les deux problèmes qui nous sont posés en matière de délinquance financière : un laxisme criant envers ces entreprises délinquantes et une véritable saignée dans les moyens alloués au contrôle fiscal et à la justice. Une enquête fiscale a été ouverte en France sur McDonald's en 2013, Bercy soupçonnant la multinationale de diminuer artificiellement ses bénéfices au moyen de redevances versées à sa maison-mère au Luxembourg. La première perquisition au siège de la chaîne n'a donné aucun résultat. En 2016, le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire après un dépôt de plainte de Mme Eva Joly pour « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée ». La deuxième perquisition au siège de McDonald's n'a pas non plus permis de ramener le moindre euro dans les caisses. Depuis 2013, la Commission européenne a eu le temps d'ouvrir une enquête et de conclure que la filiale de McDonald's en charge de collecter les redevances pour toute l'Europe n'avait payé – entendez bien ! – aucun impôt sur les bénéfices, pas plus au Luxembourg qu'aux États-Unis. En décembre 2016, moins d'un an après l'ouverture de l'enquête de la Commission européenne et après le référendum en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, McDonald's a annoncé déménager sa résidence fiscale du Luxembourg vers le Royaume-Uni. Il s'agissant d'un retour aux sources pour McDonald's, qui avait déjà sa base fiscale dans ce pays avant de la déménager au Luxembourg et en Suisse en 2009. En termes de délinquance financière et de mauvaises odeurs de hamburgers, ces gens-là n'ont pas de frontières. Ce déménagement intervient en outre quelques mois après que le Luxembourg a annoncé vouloir réviser la convention fiscale conclue avec les États-Unis, sur laquelle McDonald's s'était fondé pour parvenir à une double non-imposition de ses bénéfices. Depuis 2013, McDonald's est également la seule entreprise à avoir été auditionnée trois fois par les commissions d'enquête du Parlement européen sur l'évasion fiscale ; le groupe est d'ailleurs cité dans le rapport de la commission TAX3, adopté par nos collègues députés européens le 26 mars dernier.

McDonald's est un voleur qui se cache. Pendant ce temps, il gagne également de l'argent en louant des surfaces immobilières. On connaît son slogan : « Venez comme vous êtes ». Sauf si vous êtes syndicaliste, pourrait-on ajouter ! En effet, l'entreprise se cache derrière des franchises pour mieux démolir les droits des salariés, comme ceux du McDonald's de Saint-Barthélémy, dans les quartiers Nord de Marseille. L'un d'entre eux, Kamel, a tenté en 2018 de s'immoler par le feu pour dénoncer les mauvaises manières de McDonald's. Je pense que vous avez vu comme moi le film En guerre, dans lequel Vincent Lindon joue le rôle d'un syndicaliste qui s'immole par le feu. Kamel a juste tenté de s'immoler, mais ces scènes se déroulent réellement dans notre pays, la violence des multinationales dépassant le cadre des écrans télévisés.

Aujourd'hui, six ans plus tard, McDonald's n'est toujours pas réellement inquiété en France et pourrait tout à fait conclure une convention judiciaire d'intérêt public, afin d'éviter un procès, car il en a largement les moyens financiers.

Ces conventions judiciaires d'intérêt public ainsi que les systèmes de « plaider coupable » sont une vraie plaie dans notre système judiciaire et fiscal, car elles encouragent l'État à passer l'éponge en échange d'une aumône versée par les multinationales. Il y a quelques années, HSBC a payé une amende très inférieure à sa dette fiscale. Selon le journal Les Échos, la banque UBS a refusé une CJIP, alors que le montant réclamé par le PNF n'était que de 2 milliards d'euros, somme jugée trop élevée. Pour une fois, leur attitude leur a coûté cher, puisque le tribunal correctionnel vient de condamner UBS à une amende record de 4,5 milliards d'euros, soit plus de deux fois plus ! Il faut donc sévir et cesser de transiger avec ces délinquants.

Le résultat est là : vous avez certes multiplié les textes – loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ou projet de loi pour la création d'une taxe sur les services numériques – , mais, disons-le très nettement, ils ne sont pas à la hauteur. Pourtant, nous avons avancé des propositions lors de l'examen du projet de loi de finances et de votre projet de loi sur la taxe sur les services numériques ou taxe GAFA, que vous avez refusées. Vous avez à nouveau écarté un amendement visant à taxer le bénéfice réellement réalisé en France, en obligeant les entreprises à déclarer les bénéfices de leurs filiales pays par pays. Cette disposition, il suffit de penser au cas de McDonald's que je viens d'exposer, aurait été beaucoup plus efficace que vos mesures. Cet amendement, proposé et voté depuis plusieurs années au Sénat sans aucune voix contre, était largement transpartisan, mais, là encore, votre Gouvernement a refusé d'écouter, ce que je regrette.

Vous avez multiplié les textes législatifs inefficaces et tenté d'abattre des cartes inutiles contre ces pratiques de voyou. Peut-être parce que vous n'avez pas compris ou ne voulez pas voir ceci : contre les multinationales, on peut relancer les dés autant de fois que l'on veut, on ne gagne jamais la partie si on ne change pas les règles du jeu dont elles abusent. Face à des multinationales qui ont à leur service les meilleurs spécialistes, le manque criant de moyens humains alloués à la lutte contre l'évasion fiscale par l'État pousse la justice à la solution de facilité des CJIP, qui ne répond en rien à la demande de justice fiscale de nos concitoyens.

Il faut donc recruter massivement dans les services du contrôle fiscal, au parquet national financier et dans les tribunaux financiers pour traquer ces délinquants. Le rapport montre une baisse massive et constante des moyens alloués à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Entre 2009 et 2016, les effectifs de la direction générale des finances publiques ont baissé de 17 %, soit 2 000 agents en moins chaque année. Malheureusement, le Gouvernement devrait accélérer cette ponction dans le cadre de la future réforme de la fonction publique : le chef de l'État a laissé entendre qu'il renonçait à la cible de 120 000 postes de fonctionnaires supprimés, dont 55 000 dans la fonction publique d'État, mais il ne s'agit que d'une éventualité. En revanche, on sait que le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite reste plus que jamais d'actualité. Quant au parquet national financier, il est tellement engorgé que la durée moyenne d'une enquête est actuellement comprise entre six et huit ans.

En plus de combler les postes manquants, il faut absolument renforcer l'arsenal répressif contre les délinquants. Dans ce domaine, nous avons plusieurs propositions à vous soumettre. Tout d'abord, il y a lieu d'établir une liste crédible et exhaustive des paradis fiscaux. Le Parlement européen a adopté un rapport reconnaissant que l'Irlande, Malte, Chypre, les Pays-Bas et la Belgique en étaient : il convient de sanctionner ces pays en conséquence. Ensuite, il faut supprimer les dispositifs de négociation à l'amiable que sont la convention judiciaire d'intérêt public et le plaider coupable. Il faut également constituer une base de données commune aux différents services qui luttent contre la délinquance financière et protéger les lanceurs d'alerte. Il faut aller vers un impôt universel ou, à tout le moins, un impôt différentiel, système qui oblige les contribuables partant à l'étranger pour des raisons d'optimisation ou d'évasion fiscales à payer la différence entre leur impôt et celui qu'ils devraient acquitter en France. Enfin, il faut revoir ou quitter les traités européens qui sont un cadeau pour le dumping fiscal, entraînant un moins-disant fiscal toujours plus important, sur lequel jouent des entreprises comme McDonald's.

Au fond, aux multinationales qui nous volent tous les jours, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, il faut dire : « Pas aujourd'hui ! », « Not today ! », « Plus jamais ! ». Elles sont en guerre contre l'intérêt général : ne leur laissons pas le trône de fer sur lequel elles sont installées. Mettons fin à l'impunité des voleurs en bande organisée ! C'est une question de justice fiscale, de dignité et de justice rendue à ceux qui luttent contre ces géants. Nous avons plus que jamais besoin d'allouer des moyens à la transition écologique : ne les laissons pas partir en fumée pour le bénéfice de quelques-uns !

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