Intervention de Pascal Bois

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 16h00
Création du centre national de la musique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Bois, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

« La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent. » C'est par cette belle citation du violoncelliste et compositeur espagnol Pablo Casals que j'ai l'honneur de vous présenter cette proposition de loi. Elle me semble d'autant plus appropriée que ce musicien, fervent républicain, s'illustra notamment par ses initiatives en faveur de l'accès à la musique.

Or je pense qu'avec la création du futur Centre national de la musique, nous faisons oeuvre de démocratisation de la musique. À travers lui, nous accomplissons ce pas supplémentaire qui concrétise un projet mobilisant la filière musicale et tous ses acteurs depuis des années. Vous faites partie de ces acteurs, monsieur le ministre, vous qui êtes à l'origine d'un rapport parlementaire, que vous avez rédigé dès 2011, et qui êtes, je le sais, un véritable allié. Il ne s'agit pas de flagornerie de ma part ; j'en veux pour preuve votre intérêt pour le sujet et la persévérance dont il nous aura fallu faire preuve pour faire aboutir le projet. Nous devons aussi cette réussite au volontarisme de votre prédécesseur, Françoise Nyssen, ainsi qu'au courage politique de cette majorité, qui démontre à quel point elle sait passer des paroles aux actes.

Pour en revenir au sujet, il me semble indispensable de rappeler quelques faits. La musique constitue, aussi bien dans l'exercice que dans l'écoute, la première pratique culturelle des Français et demeure un puissant levier d'émancipation, tant pour les virtuoses que pour les complets néophytes. Elle nous fait découvrir d'autres cultures et d'autres langues. Elle est indispensable à nos moments festifs, tout en accentuant la solennité de nos commémorations. Je crois pouvoir dire que chacun peut associer une chanson, un refrain, des paroles à un moment précis de son histoire ou de notre histoire collective. Son poids économique est aussi considérable : avec 8,7 milliards d'euros et plus de 240 000 emplois, elle est la deuxième industrie culturelle de notre pays et participe à son rayonnement international.

Toutefois, son potentiel n'est pas considéré à sa juste valeur : c'est le dernier art vivant qui ne dispose toujours pas d'un centre national, contrairement aux autres disciplines, la danse, le livre, le théâtre, les arts de la rue et du cirque ainsi, bien sûr, que le cinéma, avec le CNC – le Centre national du cinéma et de l'image animée – , créé en 1946.

De plus, sa filière est morcelée et ne dispose pas de moyens d'observation lui permettant d'objectiver auprès de l'administration centrale l'utilité des concours financiers qui lui sont apportés.

Enfin, son écosystème a été lourdement affecté par les évolutions successives du secteur, en particulier le piratage de masse, l'évolution des pratiques, permettant une écoute sans limite, et la révolution numérique, avec le phénomène du streaming. Si l'essor de ce dernier permet à la filière de renouer avec la croissance, il est aussi porteur de menaces sur la diversité culturelle, puisque les plateformes de streaming ne font l'objet d'aucune régulation et que les algorithmes auxquels elles ont recours amplifient une concentration de l'écoute d'artistes déjà connus et des genres les plus populaires, au détriment des révélations.

C'est dire si la création du Centre national de la musique est porteuse d'enjeux multiples.

Il s'agit, premièrement, de permettre au Gouvernement de se doter d'une stratégie de long terme pour la politique publique de la musique et d'établir les conditions de partenariat avec les collectivités locales et les organismes de gestion collective.

Il s'agit, deuxièmement, de rassembler toute une filière, ainsi mieux structurée, pour soutenir la création, le rayonnement international de nos artistes et des professionnels de la production, de l'édition, de la promotion, de la distribution et de la diffusion.

Il s'agit, troisièmement, de garantir la diversité des composantes et des dimensions esthétiques de la musique, y compris le spectacle vivant et les variétés – nous avons été vigilants à cet égard.

Il s'agit, quatrièmement, de coordonner des actions d'information, de formation professionnelle, mais aussi d'éducation artistique et culturelle au niveau territorial, en partenariat avec les services déconcentrés. À ce sujet, nous débattrons d'un amendement qui nous tenait à coeur mais que nous n'avions pu déposer en commission, car il a été jugé contraire à l'article 40 de la Constitution.

Il s'agit, cinquièmement, de doter la filière et l'État d'un observatoire lui permettant de produire et d'acquérir des données et des études pour mesurer le secteur et orienter les politiques publiques, ce qui permettra de déterminer les dispositifs de soutien financier devant être conservés, supprimés ou créés.

Il s'agit, sixièmement, de promouvoir l'innovation pour anticiper les mutations technologiques et les contraintes sécuritaires, et se donner les moyens d'être offensif pour tirer profit d'immenses opportunités dont la France ne saurait s'exclure.

L'ensemble de ces enjeux et de ces objectifs m'ont conduit à déposer cette proposition de loi, dans le droit fil des conclusions du rapport qu'Émilie Cariou et moi-même avons remis au Premier ministre en janvier dernier, et qui marquent l'aboutissement d'une réflexion bien antérieure – je l'ai mentionné au début de mon propos – , conduite en particulier par M. Roch-Olivier Maistre au début de la législature.

Cette proposition de loi est au service des artistes : c'est la traduction législative du voeu formulé quasi unanimement par la filière musicale lors des auditions que j'ai effectuées et des multiples échanges que j'ai pu avoir.

Son texte se veut efficace et concis car la plupart des dispositions relatives au fonctionnement d'un établissement public relèvent du domaine réglementaire. Elle fixe les grands principes qui devront présider à l'action du CNM : statut d'EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial ; fonction générale de soutien à l'ensemble du secteur, dans sa diversité – gestion d'un observatoire, rôle d'information et de formation professionnelle, soutien à l'export, veille technologique – ; définition d'une série de missions plus précises, avec des dispositifs d'intervention pour aider la production, la diffusion, l'édition ou encore l'instruction directe des crédits d'impôt phonographique et du spectacle vivant.

S'agissant de sa gouvernance, le CNM est placé sous la tutelle du ministre de la culture et doit être administré par un conseil d'administration et dirigé par un président nommé sur proposition du ministre de la culture. Je précise que des réunions de concertation se tiennent actuellement, sous la présidence de Catherine Ruggeri, sur l'organisation du CNM, lesquelles doivent aboutir à la rédaction des décrets relatifs au fonctionnement du futur Centre, ce qui doit lui permettre d'être opérationnel au 1er janvier 2020.

Concernant son périmètre, le nouvel établissement regroupera de nombreux leviers d'action publique, aujourd'hui actionnés par différentes structures : le CNV – Centre national de la chanson, des variétés et du jazz – et les deux associations que sont le FCM – Fonds pour la création musicale – et l'IRMA – Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles. Nous pourrions également y intégrer le Bureau export de la musique française, ainsi que l'association CALIF – Club action des labels et des disquaires indépendants français – , qui en a récemment exprimé la volonté. Deux amendements du Gouvernement, dont je souhaite l'adoption, visent à permettre l'adhésion de ces deux nouveaux membres.

Je me permets d'indiquer, à propos de ces regroupements, qu'une attention toute particulière devra être portée à la gestion du transfert des personnels.

Pour ce qui est de ses ressources, le texte permet au CNM de bénéficier de la taxe sur les spectacles dont le produit est actuellement affecté au CNV. Au-delà des ressources actuelles des structures, le texte n'exclut aucune autre possibilité, mais ce sujet relèvera du prochain débat budgétaire.

Notre commission a apporté des améliorations au texte en adoptant quarante amendements, souvent identiques, émanant de tous les groupes.

Tout d'abord, elle a précisé que le champ d'intervention du CNM incluait bien les spectacles de variétés.

Ensuite, elle a ajouté la mention relative à la création dans les activités faisant l'objet d'un soutien particulier du CNM. Cela nous a permis de rappeler qu'il ne peut y avoir de production, d'exploitation et de diffusion sans création préalable.

Nous avons enrichi les missions du CNM en le chargeant de valoriser le patrimoine musical, en lien avec d'autres structures publiques et associatives également compétentes dans ce domaine.

Nous avons veillé à ce qu'il puisse exercer ses missions en coordination avec les collectivités territoriales, premiers soutiens de la politique en faveur de la musique.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement permettant de pérenniser dans la loi l'existence du fonds d'intervention pour la sécurisation des sites et manifestations culturels.

S'agissant de la gouvernance, la commission a instauré un conseil professionnel. Cette instance, qui associera étroitement le secteur musical à la détermination des priorités du CNM, figurait parmi les propositions de mon rapport de préfiguration.

Enfin, nous avons adopté une nouvelle rédaction de l'article 5 prévoyant logiquement que les adhésions se fassent avec l'accord des organismes concernés, dans le respect de la liberté d'association.

Pour conclure, je suis fermement convaincu que la création de ce Centre national, qui incarne la filière autour d'enjeux communs, s'impose. Nous en avons besoin, plus que jamais, pour assurer le rayonnement de nos artistes et le développement d'un environnement garant d'une création riche et diversifiée, cher à notre principe d'exception culturelle. Je vous laisse méditer cette citation de Victor Hugo, en vous appelant à l'adoption de la proposition de loi : « La musique est la vapeur de l'art. Elle est à la poésie ce que la rêverie est à la pensée, ce que le fluide est au liquide, ce que l'océan des nuées est à l'océan des ondes. » Faisons donc en sorte, mes chers collègues, que la musique nous permette de faire aboutir l'éloquence de nos débats dans le cadre d'une belle unanimité.

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