Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 16h00
Création du centre national de la musique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

… on nous a souvent présenté le piratage comme la grande menace pour ce secteur. Celui-ci serait désormais sauvé par l'essor du streaming, qui, nous dit-on, suscite un espoir réel et ouvre des perspectives inédites. Cependant, je rappelle que le streaming, tel qu'il se développe, est aussi le vecteur d'un marché de plus en plus polarisé entre les gros et les petits, entérinant la puissance des producteurs. De fait, le modèle défendu par Deezer, Apple Music ou Spotify n'est viable que pour les artistes les plus médiatisés, relayés par les algorithmes, qui collectionnent des millions d'écoutes. Pour les autres, la situation est bien moins confortable ; elle se détériore même à la vitesse grand V. Rendez-vous compte : chez Spotify, la rémunération par écoute est tombée, en 2016, à moins de 0,004 euro pour les artistes. Sur un abonnement mensuel de 10 euros payé par l'utilisateur, par exemple, les intermédiaires reçoivent 6,50 euros, alors que les artistes se partagent 46 centimes seulement. Tel est le modèle économique qui se développe actuellement dans le secteur culturel de la musique. La puissance publique ne peut pas laisser faire. En réalité, le marché du streaming se développe toujours au détriment de la rémunération des artistes et, in fine, c'est l'ensemble de la création qui s'appauvrit.

Dans ce contexte, le CNM doit protéger les artistes et se faire le garant d'un certain pluralisme, qui semblait mieux assuré jusqu'à présent par l'existence de différentes structures complémentaires. Il ne faut pas que l'on perde en pluralisme à cause de la mutualisation. La mission d'accompagnement des petits porteurs de projets, des compagnies et des labels indépendants doit être au coeur du projet du Centre, me semble-t-il. Alors que Spotify, par exemple, assume « payer le minimum possible par accord » avec les producteurs, il est essentiel que le Centre national de la musique fasse pression pour imposer des conditions viables pour les différents acteurs, à commencer par celles et ceux qui font vivre la création. La politique musicale ne peut faire l'économie d'une forme de bras de fer avec les majors, les compagnies et les intermédiaires qui font désormais la loi, sachant qu'il s'agit, en l'occurrence, de la loi de la jungle.

Le CNM a donc besoin de moyens substantiels, inscrits dans la durée et tournés vers les créateurs mais aussi vers les amateurs – nous y reviendrons lorsque nous défendrons nos amendements. Je rappelle à ce titre que l'industrie musicale n'est que la portée de la symphonie ; dès lors, manquer le coche des autres formes de pratique conduirait à multiplier les fausses notes.

Nous avons bon espoir : le Centre national de la musique dispose d'un formidable potentiel. Face à la paupérisation croissante des musiciens et aux contraintes de plus en plus fortes exercées sur les conservatoires, les écoles de musique et les collectivités, il peut être à l'origine d'un sursaut de vitalité.

Toutefois, mes chers collègues, soyons vigilants : nous ne voudrions pas, pour paraphraser Debussy – ce qui fera plaisir à Valérie Rabault…

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