Intervention de Adrien Taquet

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 21h30
Jeunes majeurs vulnérables — Présentation

Adrien Taquet, secrétaire d'état :

La proposition de loi qui est soumise à l'examen et au vote de votre assemblée traite d'un problème qui nous rassemble et ne peut laisser personne indifférent : l'injustice faite aujourd'hui à des milliers de jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance et qui atteignent l'âge de la majorité.

Tous les jeunes, fort heureusement, ne connaissent pas une telle situation mais ils sont nombreux, trop nombreux à voir arriver ce seuil avec angoisse. Le Premier ministre l'a rappelé lors du lancement de la contractualisation avec les départements, le 21 février dernier : « Pour beaucoup de ces jeunes, l'âge de la majorité est un couperet plus qu'un seuil d'émancipation », comme le début d'une longue galère.

Beaucoup doutent et ne savent pas de quoi leur lendemain sera fait. Ils ont 18 ans et, comme le disait Paul Nizan à peu d'années près, ils ne laisseront personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. Vous connaissez le chiffre : un quart des jeunes de moins de 25 ans qui vivent aujourd'hui dans la rue sont passés par l'aide sociale à l'enfance.

Nous faisons ainsi face à un gâchis à la fois humain, social et économique insoutenable.

Pendant des années, des jeunes tentent de surmonter leurs difficultés, chacun, chacune lesté de son histoire, forcément différente de celle du copain d'à-côté. Pendant des années, des professionnels les accompagnent, mettent toute leur énergie pour les aider, mettent leurs tripes et toute leur conviction pour les mener vers l'autonomie et les convaincre aussi, parfois, souvent, qu'ils sont des enfants comme les autres. Pendant des années, les pouvoirs publics investissent pour tenter de répondre aux besoins fondamentaux de ces enfants.

Et puis, plus rien pour nombre d'entre eux, car là est tout le paradoxe, le caractère ubuesque de la situation : nous attendons de ces jeunes qu'ils soient plus autonomes, plus vite, que ce que nous attendons de nos propres enfants.

Le législateur de 1974 avait pourtant bien fait les choses : en miroir de l'abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans, il avait prévu que l'accompagnement des jeunes majeurs entre 18 et 21 ans fasse partie des missions de l'aide sociale à l'enfance. La loi de 2016 a renforcé les obligations des départements en prévoyant que la majorité soit correctement anticipée et que l'autonomie se prépare.

Mais force est de constater que cela ne suffit pas, que cela ne suffit plus. C'est la raison pour laquelle, dès le mois de septembre 2018, le Président de la République, dans le cadre de la concertation sur la lutte contre la pauvreté, avait fait de l'éradication des sorties dites sèches – terme horrible mais qui ne fait que refléter la brutalité de la réalité – l'un des axes de la future stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

C'est dans ce cadre et dans celui de la contractualisation avec les départements qu'un référentiel a été élaboré sous la présidence d'une ancienne enfant protégée, Fouzy Matey, qui réaffirme l'importance de ce que la conférence de consensus, menée par le professeur Marie-Paule Martin-Blachais, avait identifié comme le « méta-besoin » et sans lequel on ne peut rien construire : le maintien d'un lien. Ce dispositif permet désormais aux jeunes de choisir un référent officiel parmi les figures qu'ils côtoient et apprécient dans leur famille d'accueil, à l'aide sociale à l'enfance ou dans les associations de protection de l'enfance. Ces référents les accompagneront dans leurs parcours et les aident dans leurs démarches. C'est un premier pas important, mais nous avons tous conscience qu'il faut aller plus loin.

Mais avant d'aller plus loin, permettez-moi de voir plus large. La question des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance qui nous réunit aujourd'hui est fondamentale. La question de l'amélioration de notre système institutionnel de protection de l'enfance est fondamentale. Mais ces questions ne doivent pas occulter la situation dans laquelle se trouvent nombre d'enfants de notre pays. Et je n'aurai ce cesse, dès qu'il me sera donné l'occasion de le faire, de le répéter, tant que nous n'en aurons pas pris conscience, individuellement et collectivement : tous les cinq jours, dans notre pays, un enfant meurt sous les coups d'un membre de sa famille. Et encore, sans le chiffre noir des néonaticides ni des bébés secoués non repérés. Chaque année, dans notre pays, 20 000 plaintes sont déposées pour violences sexuelles faites contre des enfants. Et encore, ce ne sont que les plaintes – on peut probablement multiplier ce chiffre par trois ou quatre. Dans notre pays, 4 millions de citoyens, de nos concitoyens, ont été victimes d'incestes. Et encore, ce ne sont que ceux qui osent le déclarer.

Protéger nos enfants commence donc par tout faire pour que nous n'ayons pas à mettre en branle le système de protection de l'enfance. C'est adopter une démarche préventive, encore insuffisante en France, qui consiste à accompagner les parents dans leur projet d'être parents. C'est tout le sens du « parcours de 1 000 jours » sur lequel nous travaillons depuis plusieurs mois, et dont le Président de la République a rappelé l'importance lors de sa conférence de presse, le 25 avril dernier.

Protéger les enfants passe aussi par le renforcement et l'élargissement du plan 2017-2019 de lutte contre les violences auquel nous travaillons avec l'ensemble des ministres concernés et qui donnera lieu à des annonces fortes au second semestre de 2019.

Aller plus loin donc. Car, fondamentalement, ce qui nous rassemble aujourd'hui pose une question fondamentale : qu'est-ce que l'autonomie ?

L'autonomie ne commence pas à 18 ans, pas plus qu'à 21, 17 ou 16 ans. Accéder à l'autonomie est le résultat d'un parcours, qui rassemble tout ce qui fait ce que nous sommes : notre histoire passée et la façon dont nous parvenons à l'appréhender ou non, les relations que nous avons tissées avec notre environnement, l'éducation que nous recevons, notre santé physique mais aussi psychique.

Si nous ne travaillons pas l'ensemble de ces composantes qui font que les jeunes femmes et jeunes hommes deviennent femmes et hommes, nous ne parviendrons pas à rendre durablement autonomes les jeunes protégés par l'aide sociale à l'enfance. Accéder à l'autonomie, c'est une promesse d'émancipation, ce n'est pas une béquille, ce n'est pas de l'assistance, c'est un investissement sur le long terme, c'est donner les outils nécessaires à un envol, et à un envol qui soit durable.

Ce que je veux dire par là, c'est que si nous n'améliorons par l'intégralité du parcours de ces jeunes, dans l'ensemble de ses composantes, nous ne parviendrons pas à les aider à être durablement des adultes autonomes. C'est tout le sens de la concertation que j'ai lancée au mois d'avril dernier avec l'ensemble des parties prenantes : départements, services de l'État, associations, jeunes.

Une concertation pour sécuriser le parcours de ces jeunes et éviter que les ruptures s'ajoutent aux ruptures ; une concertation pour garantir qu'ils vivent dans un environnement réellement protecteur qui leur permette de se reconstruire et de se développer ; une concertation pour lutter contre les ruptures de scolarité et améliorer le niveau scolaire global de ces jeunes, afin qu'il n'y ait plus deux tiers des jeunes qui aient un an de retard à leur entrée en sixième, afin qu'il n'y ait pas seulement 5,3 % de ces enfants qui suivent un second cycle d'études ; une concertation pour offrir aux 25 % de jeunes qui ont une reconnaissance MDPH – Maisons départementales des personnes handicapées – d'avoir accès à un accompagnement qui corresponde à leurs besoins spécifiques ; une concertation enfin pour assurer une chance égale d'être autonome, quel que soit le territoire, via un pilotage renforcé de cette politique publique.

Il faut aussi travailler sur les alternatives au placement, c'est l'objet de la conférence de consensus que j'ai confiée à Geneviève Gueydan, ancienne cadre dirigeante en protection de l'enfance.

Ce sont autant de travaux essentiels pour bâtir l'autonomie des jeunes en plus de celui que nous allons mener ici ce soir, qui sont l'objet de groupes de travail auxquels un certain nombre d'entre vous participent, et qui me remettront le fruit opérationnel de leur réflexion au mois de juin prochain.

Mais il y a autre chose qui peut empêcher l'autonomie d'un jeune : son état de santé, dont on sait qu'il est souvent dégradé s'agissant des jeunes de l'aide sociale à l'enfance, qui sont nombreux à avoir subi des traumatismes qui nécessitent un suivi pédopsychiatrique, aujourd'hui insuffisant dans notre pays, pour ne pas dire défaillant.

La Caisse nationale d'assurance maladie a instauré la mise en place automatique de la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire, pour les jeunes trois mois avant leur majorité, suivie d'un entretien individuel l'année de leurs 19 ans pour étudier leur situation et proposer la couverture maladie adaptée à la situation.

S'agissant de la psychiatrie, Agnès Buzyn a annoncé en avril dernier la création de 10 postes de chefs de clinique, ainsi qu'un investissement de 40 millions d'euros de crédits supplémentaires pour relancer la filière.

De mon côté, j'ai lancé, il y a quinze jours, au CHU de Nantes, avec le docteur Nathalie Vabres, une expérimentation pour construire un parcours de soins coordonnés avec tous les acteurs du territoire, dont les professionnels libéraux, et 100 % remboursé, afin que chaque jeune de l'aide sociale à l'enfance puisse bénéficier de soins.

Cette expérimentation sera déployée dans deux autres départements dans les prochaines semaines, puis dans dix nouveaux départements l'année prochaine avant d'être, je l'espère et si sa pertinence se confirme, généralisée au plus vite à l'ensemble du territoire national.

Je me permets de prendre un peu de temps pour évoquer ces différents sujets, mais il me semble important de rappeler, d'une part que le chemin vers l'autonomie doit être appréhendé globalement et bien avant l'approche de la majorité, d'autre part tout ce que fait cette majorité pour améliorer la situation et l'accompagnement des jeunes de l'aide sociale à l'enfance et de ressentir une certaine fierté à ce qu'elle fait.

Pour être complet, je pourrais parler de la mission sur l'adoption que j'ai confiée à votre collègue Monique Limon et à la sénatrice Corinne Imbert, et surtout de votre mission, madame la rapporteure, qui porte sur les sorties sèches, qui remplit déjà parfaitement son objet puisqu'elle vous a permis d'enrichir le texte que vous aviez initialement discuté en commission, et dont je ne doute pas qu'elle enrichira encore cette question dans les semaines qui vous restent. C'est pourquoi j'avais particulièrement à coeur que nous puissions débattre au plus vite de cette proposition de loi dans l'hémicycle.

Je voulais vous remercier car ce texte est une avancée considérable, et nous devons tous collectivement nous en réjouir.

Vous l'avez très bien dit, contrairement à ce que l'on peut lire ici ou là, il n'est pas question de vider cette proposition de loi de sa substance s'agissant en particulier de son article 1er, bien au contraire. Vous avez réussi à préciser et renforcer l'obligation, terme sur lequel vous avez insisté, d'accompagnement vers l'autonomie des jeunes les plus vulnérables à leur majorité.

Car nous devons en effet veiller à ne pas nous tromper de combat. Ce combat, ce n'est pas celui de l'âge minimal ou maximal de prise en charge, mais bien celui de l'accompagnement des jeunes en leur donnant les outils nécessaires à leur autonomie, à leur émancipation.

Ce combat, ce n'est pas celui de l'État contre les départements, et inversement. C'est tous ensemble que nous y parviendrons, non en créant de nouveaux moments où la rupture serait possible, mais bien en organisant la mobilisation et la coordination de tous les acteurs autour du projet du jeune, avec le jeune au centre.

Ce combat, ce n'est pas celui de l'outil, du véhicule que nous allons utiliser, mais bien de son contenu, qui doit répondre aux besoins des jeunes. Sinon, l'on risque de voir l'hétérogénéité des pratiques passées se poursuivre à l'avenir, au détriment des jeunes.

Nous sommes tous d'accord sur l'objectif : ce gâchis humain, social et économique doit prendre fin, il n'est plus envisageable qu'un enfant que nous avons protégé puisse terminer à la rue. Mais nous devons nous méfier de la mise en oeuvre concrète des principes que nous affichons, que nous partageons, et des effets réels qui en découleront pour les jeunes.

Laissez-moi vous donner un exemple, dans un autre contexte mais qui peut éclairer utilement les choix qui sont les nôtres. Il y a une trentaine d'années, les législateurs et le gouvernement de l'époque, en accord avec la plupart des associations, ont voté une disposition pour chercher à résoudre le problème des jeunes adultes en situation de handicap qui, à 18 ou 20 ans, n'avaient plus de lieux pour les accueillir, car les agréments des établissements dans lesquels ils se trouvaient s'arrêtaient à 18 ou 20 ans. Le comédien Michel Creton avait alors oeuvré pour que soit adopté un amendement en faveur des jeunes adultes polyhandicapés afin que les établissements puissent les conserver au-delà de 18 ou 20 ans en fonction de leur agrément.

La conséquence fut double, et les personnes comme le système en paient encore le prix aujourd'hui : d'une part les bénéficiaires continuent, à près de 40 ans pour certains, de stagner dans ces établissements pour enfants où l'accompagnement vers plus d'autonomie n'est pas vraiment adapté ; d'autre part, ils occupent les places des moins de 20 ans, qui n'ont donc plus de place dans les établissements.

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