Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mardi 7 mai 2019 à 15h00
Jeunes majeurs vulnérables — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

« La protection de l'enfance en France est antirépublicaine. » Ces mots sont ceux de Lyes Louffok, ancien enfant placé, membre du Conseil national de la protection de l'enfance. Il semble bien, au vu des amendements du Gouvernement, que les enfants placés resteront malheureusement les oubliés de la République.

Les chiffres sont pourtant glaçants à bien des égards : un quart des personnes sans abri est passé par l'aide sociale à l'enfance ; la proportion monte à plus d'un tiers pour ceux qui sont privés de toit entre 18 et 24 ans. Pour qui a la puissance d'imagination pour voir, au-delà de ces nombres, la réalité violente et tragique de milliers de vies individuelles, l'horreur apparaît dans toute son ampleur.

Mais l'horreur n'est pas tout : derrière elle, c'est l'impuissance de l'État qui apparaît, son incapacité à prendre en charge des vies qui, pour trop d'entre elles, sont dévastées par un dispositif supposé les protéger. Des auditions nous ont donné une vision encore plus concrète de la réalité vécue. Les témoignages insoutenables s'égrainaient : maltraitances, coups, viols, suicides, agressions sexuelles, rejet, souffrances psychologiques. Nous ne pouvons ignorer l'ampleur considérable du problème. Là où l'État est supposé garantir l'existence d'un lien, il n'y a que délitement. Là où il devrait y avoir de l'amour et de l'affection, priment la violence et la brutalité. Ce n'est pas simple d'imaginer comment remplacer la cellule familiale, j'en conviens, mais il y a un monde entre échouer à construire un moyen de substitution idéal et parfait à la famille et ne pas parvenir à trouver un minimum de sécurité physique et émotionnelle pour ces enfants pris en charge par la communauté nationale.

Pour l'heure, un mot fait sens dans la vie des jeunes majeurs issus de l'aide sociale à l'enfance : rupture. Les familles d'accueil ou les foyers changent en permanence, et ces jeunes sont censés se construire dans ce tourbillon incessant qui les a entraînés toujours, inlassablement, en son centre : à 17 ans, un jeune sur cinq a connu quatre lieux de placement différents. Ce changement régulier de familles d'accueil et de lieux de vie n'est pas la seule rupture subie par ces jeunes. Car la rupture est partout : rupture familiale, rupture de soins, rupture avec l'école, impossibilité de rester là où parfois on s'est attaché sentimentalement à telle ou telle famille. Écoutez le témoignage de Sonya : « Quand je suis arrivée en structure, on m'a séparée de mes soeurs. La petite est allée à la pouponnière, moi je suis allée dans un groupe ; mon autre soeur a été mise ailleurs, ce qui a été aussi extrêmement violent. » Voilà le sens concret de la rupture. Comme des valises encombrantes, ces enfants sont jetés, à chaque nouvelle étape, dans une situation entièrement neuve. Et tant pis s'ils ne s'y font pas ! Par malheur, si après ce parcours où la violence est très présente, un jeune ne répond pas aux critères d'obtention du contrat jeune majeur, le voici dans la rue, à l'abandon, en proie aux dépressions, aux envies de suicide et à la solitude parfois la plus absolue, les plus fragiles le subissant encore plus durement : les enfants non accompagnés qui arrivent seuls n'ont pas droit, dans beaucoup de départements, à obtenir ce contrat jeune majeur, et ceux en situation de handicap se retrouvent dans une situation de double vulnérabilité.

Or la République doit porter secours et assistance aux plus faibles.

Elle échoue et l'État est en cause lorsqu'un dispositif de solidarité est aussi défectueux et qu'il produit des effets manifestement aussi contraires tant aux intentions qu'aux finalités de l'aide sociale à l'enfance.

La proposition de loi initiale était une nécessité. Si elle ne résolvait pas tous les problèmes, elle allait dans le bon sens et témoignait d'un sens de l'humanité que j'ai été profondément heureuse de reconnaître chez beaucoup des députés de la majorité.

Madame la rapporteure, j'avais prévu de vous féliciter pour votre courage politique, car vous vous êtes battue pour que ce sujet crucial soit abordé dans l'hémicycle. Las, le Gouvernement a, comme à son habitude, vidé ce texte de sa substance : c'est ainsi l'espoir de dizaines de milliers de personnes qui s'est envolé.

Les enfants placés ou anciennement placés se sont en effet battus pour que cette loi existe : ils nous regardent aujourd'hui et seront attentifs à nos actes.

Je vous le dis très franchement, monsieur le ministre, devant la déception qui s'annonce : si les enfants issus de l'ASE se sont mobilisés pour obtenir un ministre, ils peuvent aussi se mobiliser pour obtenir sa démission.

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