Intervention de Sandrine Mörch

Séance en hémicycle du mardi 7 mai 2019 à 15h00
Jeunes majeurs vulnérables — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mörch :

Combien de fois, mes chers collègues, sommes-nous intervenus, les uns et les autres, pour un neveu, une nièce, le fils d'un voisin, une petite cousine, sans parler évidemment de nos propres enfants ? Des centaines de fois, que ce soit pour donner un coup de pouce dans la recherche d'un logement, pour le prêt d'une voiture, pour décrocher un premier « boulot », pour se porter caution, pour remplir les formulaires de la CAF – Caisse d'allocations familiales – ou de la « sécu », pour éviter une erreur dans un abonnement ou empêcher le jeune de se faire avoir ? Et que dire de nos interventions pour motiver nos jeunes dans leurs études supérieures, dans des formations professionnelles ou dans une orientation choisie plutôt que subie ? Tous nos jeunes bénéficient d'un entourage, d'une famille plus ou moins éloignée ou d'un réseau sur lesquels compter dans le cas d'un coup dur ou d'une incompréhension dans une étape vers leur autonomie d'adulte. Je rappelle qu'ils deviennent indépendants financièrement bien après 26 ans.

Les jeunes de l'ASE n'ont pas ce réseau, mais ils ne sont pas épargnés pour autant par les obstacles qui pavent leur chemin vers l'autonomie. Comment donc imaginer qu'un jeune sortant de l'ASE à 18 ans puisse être autonome du jour au lendemain pour son logement, pour son emploi ou même pour une formation réfléchie, alors qu'il a moins de moyens que les autres, en termes de réseau familial ou amical, d'acquis scolaires ou de ressources financières, pour y parvenir ? C'est ce qu'on appelle la « sortie sèche ».

Les conséquences, nous les connaissons, on les a maintes fois évoquées dans cet hémicycle : 70 % des enfants sortent de l'ASE sans diplôme, et 45 % des sans-abri sont d'anciens enfants placés. C'est bien là l'aveu de l'échec des politiques menées en ce domaine, échec qui coûtera très cher, et pendant très longtemps, à notre société. Je veux, à cet égard, citer le témoignage d'une jeune fille placée : « L'aide sociale à l'enfance nous lâche à 18 ans, au moment où on est en pleine reconstruction. Et quand à 18 ans, on bénéficie d'un contrat jeune majeur, on n'a aucun droit à l'erreur. Souvent, notre réussite ne tient qu'au soutien indéfectible d'un adulte, un référent ASE ou la famille d'accueil, qui poursuit au-delà de son contrat. Sinon, c'est l'échec assuré. »

Cette proposition de loi consiste à aligner l'accompagnement des jeunes, non plus sur un état civil qui passe de minorité à majorité le jour de la dix-huitième année, mais bien sur la réalité de la vie des jeunes et de leur construction de vie d'adulte. Voilà l'enjeu qui se cache derrière ces contrats d'accès à l'autonomie, contrats d'accompagnement qui ont fait leur preuve grâce à plusieurs départements qui ont su mobiliser des personnels accompagnants engagés pour la réussite des jeunes, et qui ont mis volontairement en place des dispositifs d'orientation, de formation et d'accompagnement financier. Pour autant, l'autonomie dont nous parlons ici ne doit pas être une autonomie au rabais : elle doit être émancipatrice et reposer sur des formations ambitieuses, aussi bien universitaires que professionnelles, sur un accès au logement stable et sur des ressources financières. La durée des contrats est ici déterminante ; la déconnexion de leur durée d'avec l'anniversaire du jeune va dans le bon sens.

Maëlle est un exemple concret de ce parcours de réussite. Placée à l'âge de 3 ans avec son frère, elle est actuellement manager dans un grand cabinet de conseil, après être passée par une fac de droit, Sciences po Toulouse puis un second master à la Sorbonne, et son frère est prof d'histoire dans un lycée. Il ne faut pas oublier tous ces parcours de réussite, et, si possible, les chiffrer un jour. Car les contrats d'accès à l'autonomie impliquent un retour sur investissement social – ou comment faire d'un coût une richesse pour la société. Un enfant placé pendant dix ans coûte à la société, via l'ASE, 1 million d'euros, puis, s'il décroche, 230 000 euros au moins tout au long de sa vie, sans jamais atteindre l'autonomie, donc sans contribuer à un retour pour la société. C'est l'autre enjeu des contrats d'accès à l'autonomie : des coûts évités sur le long terme et un investissement social dans des potentiels en devenir, deux éléments que j'aimerais voir chiffrés un jour.

Cette proposition de loi n'impose rien aux départements qui auraient failli ; au contraire, elle renforce et transforme les réussites des départements en référentiels communs, pour prévenir les ruptures d'égalité sur le territoire. Il s'agit donc de faire plus et mieux ensemble. À cet égard, l'État prend ses responsabilités en multipliant le budget initial par cinq, le portant à 60 millions d'euros par an, afin que le nombre d'enfants bénéficiaires des contrats ne se limite pas à un tiers de ceux qui sortent de l'ASE, comme c'est le cas actuellement.

Si l'effort financier de l'État est donc indéniable, je souhaite que nous allions plus loin en incluant dans le dispositif tous les jeunes qui sortent de l'ASE, y compris les mineurs non accompagnés, pris en charge tardivement. Ces derniers ne doivent pas rester dans l'angle mort de la politique de protection de l'enfance, comme l'aide sociale à l'enfance le fut elle-même. Je tiens à y insister : la prise en charge de ces jeunes isolés est tardive compte tenu de l'évaluation de leur minorité en cas de doute en cette matière, et même des procédures judiciaires d'appel lorsque celle-ci n'est pas reconnue. Pendant ce temps, des mois durant, ils restent livrés à eux-mêmes, privés de scolarité, de ressources financières, de logement et de liens sociaux. Leur quotidien, ce sont les squats, les bidonvilles et l'assistance des associations, qui effectuent un travail formidable – c'est le cas dans ma circonscription, à Toulouse. Outre que tout cela a un coût, ce sont des potentiels en devenir gâchés, notamment lorsque la scolarité est brisée.

Enfin, je tiens à saluer la possibilité de désigner un tiers de confiance : c'est là, me semble-t-il, une avancée majeure dans l'accompagnement des jeunes. La tierce personne est une valeur refuge, une bienveillance inconditionnelle pour le jeune tel qu'il est ; mais c'est d'abord un lien de confiance. La tierce personne, en effet, c'est d'abord un regard confiant sur les capacités du jeune, qui a au moins besoin de la confiance d'un adulte, ne serait-ce que d'un seul, pour bien grandir : quelqu'un qui croit toujours en lui, même au pire des crises.

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