Intervention de Frédérique Dumas

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi portant création d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse. La directive « droit d'auteur » a été adoptée le 26 mars dernier par le Parlement européen. Son aboutissement était d'autant plus attendu que le texte était en discussion depuis septembre 2016.

La présente proposition de loi est le véhicule législatif de la transposition de l'article 15 de la directive. Je salue la rapidité exceptionnelle avec laquelle cette transposition est proposée à la représentation nationale. L'implication du rapporteur et du groupe qu'il représente y a, je le pense, fortement contribué, mais aussi le soutien de tous les groupes – il valait mieux en effet transposer une directive européenne que commencer par légiférer sur le plan national.

L'établissement d'un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse était devenu une urgence, car le secteur de la presse connaît depuis plusieurs années un bouleversement de la chaîne de valeur, notamment dû à la révolution numérique. Cela a été dit plusieurs fois, mais il est important de le répéter : un éditeur de presse ne dispose que de deux sources de revenus, la vente des journaux et la publicité. Or, la vente des journaux est en constante diminution. Alors que, durant plus de vingt ans, elle s'était stabilisée autour de 7 milliards d'euros par an, depuis 2009, les ventes diminuent pour atteindre moins de 4 milliards d'euros par an aujourd'hui. Par ailleurs, entre 2016 et 2017, la part du marché publicitaire de la presse a diminué de 7,4 % alors que, dans le même temps, la part captée par internet a augmenté de 12 %.

Il s'agissait donc d'accompagner tout naturellement les éditeurs et les agences de presse dans leur adaptation au numérique et aux nouveaux usages, en prenant en compte les nouveaux modèles économiques induits.

D'ailleurs ces acteurs se sont lancés dans la transition numérique de leur modèle tant et si bien que la vente de format numérique a dépassé quantitativement la diminution de la vente de format papier. Mais, comme chacun le sait, la presse numérique est moins rémunératrice que la presse papier. La compensation économique ne peut donc se faire sans la mise en place d'un nouveau droit économique.

La proposition de loi s'inscrit ainsi dans un contexte qui inclut l'établissement de droits voisins nouveaux au bénéfice des agences et éditeurs de presse. Le principe du droit voisin du droit d'auteur, c'est-à-dire le principe d'un droit à rémunération du fait de l'exploitation des oeuvres, existe depuis 1985 pour les artistes interprètes, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et les entreprises de communication audiovisuelle qui contribuent, soit par leur participation, soit par leurs investissements, à leur réalisation.

Le droit voisin consacre ici pour les éditeurs et les agences de presse non seulement un droit à rémunération, mais également un droit d'autoriser et d'interdire. Il joue ainsi un rôle indispensable, entre les ayants droits et le public, dans la sauvegarde des droits patrimoniaux. Nous saluons donc les dispositions de cette proposition de loi, que nous proposerons d'enrichir par la présentation d'une série d'amendements.

Ainsi, nous présenterons un amendement visant à reprendre la définition de l'éditeur de presse telle qu'elle est connue en droit français – définition française par ailleurs conforme à la définition contenue dans la directive. L'enjeu est d'une telle importance que nous ne pouvons pas prendre le risque d'adopter une loi inefficace. Or, la définition de l'éditeur de presse dégagée par la directive est inopérante, parce que trop floue. Introduire la définition figurant dans la loi de 1986 permet d'identifier ceux qui seraient éligibles de manière lisible et concrète, comme c'est le cas pour les agences de presse.

Les éditeurs et agences de presse, grâce à l'équilibre que permet la protection de leurs droits patrimoniaux, seront en capacité d'entamer une coopération sur des bases saines avec les plateformes en ligne utilisant leur contenu. Il nous semblait toutefois important de préciser que ces négociations devront prendre en compte les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, ainsi que la notion de contribution au débat public et au fonctionnement de la démocratie.

De la même manière, il est fondamental d'assurer une transmission en transparence des données permettant d'évaluer le plus objectivement possible l'assiette et le montant de la rémunération, sachant que cette coopération pourrait s'épanouir, au-delà de la simple rémunération pour l'utilisation des contenus, grâce à la conclusion de partenariats, notamment sur l'échange des données dans une relation « gagnant-gagnant ».

Enfin, il nous semble fondamental de prévoir un mécanisme en cas d'absence d'accord dans un délai raisonnable. Nous avons donc déposé des amendements en ce sens.

En conclusion, si nous nous réjouissons que la directive ait été adoptée, après tant d'attente, et que la transposition de l'article 15 puisse se faire le plus rapidement possible, nous espérons, compte tenu de l'urgence à réformer le droit d'auteur à l'heure du numérique, que cette proposition de loi sera suivie très prochainement du véhicule législatif nécessaire à la transposition de la totalité des dispositions de la directive.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI) aborde évidemment favorablement l'examen de cette proposition de loi, qui participe d'une répartition juste et équitable de la richesse produite.

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