Intervention de Richard Ramos

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 21h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRichard Ramos, rapporteur :

Monsieur le président, chers collègues, je suis fier de défendre devant vous la proposition de loi relative aux préenseignes, qu'un grand nombre d'entre vous a cosignée. Elle a pour objet le rétablissement du droit pour les restaurateurs d'installer des préenseignes hors agglomération. C'est, je le crois, un symbole fort que nous devons envoyer ensemble à la ruralité. Les événements des derniers mois ont mis au jour le malaise que connaît celle-ci. Nous devons, par cette proposition de loi, apporter modestement une petite pierre à une réponse qui devra, à coup sûr, être plus globale.

En guise d'avant-propos, je voudrais apporter deux précisions sur l'origine de cette proposition de loi.

D'abord, nous avions déjà débattu de la question lors des discussions autour de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Nous avions déjà été nombreux à défendre un amendement, qui avait été adopté en séance publique et avait également emporté l'adhésion quasi unanime du Sénat, mais avait été censuré comme « cavalier » par le Conseil constitutionnel.

Ensuite, afin d'éclairer au mieux la décision du législateur, le président de l'Assemblée nationale a, sur proposition du groupe MODEM, saisi le CESE sur ce texte. Je voulais, par cette saisine, ouvrir le débat avec cette instance sur un sujet complexe qui met en balance l'économie et l'écologie. Je voulais également savoir si cette institution était véritablement ancrée dans la réalité des territoires.

Venons-en maintenant au fond. Je l'ai dit en introduction : cette proposition de loi rétablit le droit, mais plus encore le juste. En effet, il n'y a pas de développement durable s'il n'est pas également soutenable. La ruralité, ce n'est pas seulement un espace de vacances pour « bobos » métropolitains, c'est un lieu de vie où l'on peut naître, travailler, vieillir.

Les préenseignes, ce sont ces panneaux d'affichage normés qui indiquent, en ville ou sur les routes, la présence d'une activité à proximité. Le régime juridique qui les régit s'inscrit dans le cadre plus large des règles sur la publicité. Celles-ci visent, de façon générale, à garantir une forme d'équilibre entre, d'un côté, le droit d'affichage publicitaire et, de l'autre, la protection du cadre de vie et des paysages.

Il en ressort un principe général d'autorisation des publicités en agglomération et d'interdiction en dehors. Une dérogation à cette règle existe toutefois pour les préenseignes : un régime dérogatoire autorise en effet, dans un certain nombre de cas, l'installation de ces dernières hors agglomération. Les dérogations autorisées par le législateur dès 1979 étaient initialement très larges, puisqu'elles valaient pour toutes les préenseignes signalant des activités pouvant être utiles aux voyageurs. Dans la pratique, les préenseignes se sont multipliées pour signaler les activités culturelles, monuments historiques, restaurants, hôtels, stations-service, artisans et autres petits commerces de notre ruralité.

Depuis le 13 juillet 2015, date d'entrée en vigueur du nouveau régime dérogatoire adopté avec la loi dite « Grenelle 2 », le cadre est considérablement resserré. Les préenseignes ne sont plus autorisées que dans les cas suivants : pour les activités culturelles, pour les monuments historiques classés ou inscrits et pour les activités en relation avec la fabrication ou la vente de produits du terroir par des entreprises locales. Dans la pratique, ce nouveau dispositif s'est révélé excessif et même totalement inadapté pour les restaurateurs.

Les défenseurs de cette réglementation pensaient que les préenseignes seraient peu à peu remplacées par la recherche sur internet et par la « signalisation d'information locale » (SIL). Force est de constater que le législateur a fait fausse route sur ces deux points.

D'abord, les usages numériques ne peuvent être présentés comme une alternative crédible, alors que les zones blanches sont encore nombreuses en milieu rural et que seuls 65 % du territoire sont actuellement couverts par la 4G. Je rappelle également, à cet égard, qu'une zone grise ne permet pas non plus une navigation optimale. C'est dire qu'en milieu rural, il faut regarder non pas les moyennes nationales mais la réalité numérique du terrain, village par village.

Ensuite, la signalisation d'information locale n'a pas assumé le rôle autrefois joué par les préenseignes. Les professionnels critiquent son manque de visibilité et de lisibilité : les caractères sont trop petits pour être lus sur une route départementale et les panneaux sont souvent mal positionnés.

Les effets de la suppression des préenseignes ont donc été largement sous-estimés et ont renforcé le malaise de nos restaurateurs ruraux. Ce malaise fait fortement penser à celui que ressentent nos agriculteurs. De nombreux restaurateurs nous ont contactés, nous, parlementaires – je sais que c'est le cas d'un certain nombre dans cette salle –, pour nous faire part de leur désarroi. Certains ont été tentés de commettre l'irréparable ; nous sommes allés les rencontrer, les soutenir. D'autres ont été convoqués au commissariat ou à la gendarmerie, comme des délinquants, au seul motif qu'ils refusaient d'appliquer une loi qu'ils percevaient comme injuste et qui mettait tout simplement en danger leur parcours de vie, voire leur famille.

Les bistrots du village ou du bourg façonnent notre imaginaire collectif, mais ils sont principalement des lieux où s'exprime la réalité de la vie quotidienne. Or près de la moitié des restaurants ruraux ont déjà disparu en l'espace de quelques décennies. Ne nous y trompons pas : si nous n'agissons pas, cette lente et inexorable disparition de la restauration en milieu rural se poursuivra. Un restaurant qui ferme dans une métropole, c'est un autre qui ouvre ; mais dans un village, c'est la mort lente de la vie locale.

Dans ce contexte difficile, la suppression des préenseignes accentue le malaise de la profession et, plus largement, celui de notre ruralité. Elle a rendu invisible bon nombre de restaurateurs installés non loin des routes, auxquels le chiffre d'affaires apporté par la clientèle de passage permettait bien souvent de dépasser le seuil critique assurant tout simplement le maintien de l'activité. Certains restaurateurs ont perdu plus de 45 % de leur chiffre d'affaires. Ceux qui ne se sont pas soumis à la nouvelle réglementation s'exposent à des amendes de l'ordre de 200 euros par jour. Nous, parlementaires, qui sommes la véritable représentation du peuple, nous rencontrons ces restaurateurs et mesurons l'ampleur de leur détresse. Alors que beaucoup sont déjà à terre, l'interdiction des préenseignes vient leur porter le coup de grâce.

Ne me parlez pas de comités Théodule qui étudieraient dans le détail le chiffre d'affaires de chacun : ouvrez les yeux, allez à la rencontre des plus humbles, préférez l'inconfort de l'action au confort de la pensée et des statistiques ! La fracture territoriale s'aggrave, et l'idée de métropoles gagnantes et de territoires ruraux perdants fragilise notre pacte social.

Je le répète à l'envi : le régime juridique actuel donne le sentiment d'une déconnexion entre la prise de décision politique à l'échelon national et les réalités vécues sur le terrain. La prise de décision est perçue comme hors sol et technocratique ; elle nourrit le sentiment de défiance grandissant des administrés envers une partie de l'administration et certaines instances dites représentatives. Ces maux sont au coeur des mouvements sociaux qui traversent notre pays depuis plusieurs mois. À l'heure où nous devons tirer les conclusions du Grand débat national, je crois que nous ne pouvons rester insensibles au problème et inactifs.

Certains craignent qu'avec ce texte on ne dénature le cadre de vie. J'aimerais insister sur une chose : bien sûr, nous avons tous à coeur la préservation de nos paysages ruraux, mais gardons-nous d'une vision binaire de la ruralité, qui opposerait, d'un côté, la préservation des paysages et, de l'autre, le soutien à l'activité économique. Le législateur a privilégié l'économie à l'écologie dans les grandes villes, en permettant des visuels libres de 12 mètres carrés, et ce serait encore une fois la ruralité qui servirait de variable d'ajustement écologique ? Non, non et non ! Rien ne sert d'être beau quand on n'est plus vivant. Gardons-nous de cette approche de la vie rurale très parisienne, aseptisée et figée dans le passé. Nos campagnes sont belles ; elles sont aussi bel et bien vivantes et c'est ce qui fait – et continuera à faire à l'avenir – leur attrait, tant pour les habitants que pour les touristes. Le Président de la République plaide en faveur d'une ruralité active et vivante : donnons-nous les moyens de faire vivre en actes cette volonté.

Dans la recherche du juste équilibre entre la préservation des paysages et l'affichage publicitaire, je pense que nous devons nous limiter aux restaurateurs ruraux. Ce sont eux qui sont le plus touchés par la législation. C'est aussi pour leur activité que les préenseignes sont le plus utiles, car les voyageurs, qu'il s'agisse de touristes ou de travailleurs de passage, s'arrêtent bien souvent de façon spontanée sur la route pour faire une étape. Nous pouvons raisonnablement écarter le risque des forêts de préenseignes : l'installation des préenseignes reste strictement encadrée par les règlements pour ce qui concerne la dimension, la distance et le nombre. La préenseigne, ce n'est pas la pancarte qui cache la forêt, c'est la surface qui indique la vie économique.

Ces craintes étant écartées, je pense que nous avons ici l'occasion d'envoyer un soutien fort au monde rural. Au MODEM, comme dans l'ensemble des partis politiques, le combat pour promouvoir des équilibres territoriaux plus justes nous est cher. Notre projet, que nous défendons depuis de nombreuses années, est d'assurer la réussite de la France des territoires. La ministre chargée de la cohésion des territoires a annoncé le lancement d'un nouvel agenda rural : considérons que la présente proposition de loi pose une première pierre pour ce chantier de demain.

Quand la norme n'est pas adaptée, il nous appartient de la changer. Nous vivons une période où il est nécessaire de retisser les liens parfois rompus entre les difficultés quotidiennes rencontrées dans les territoires et la prise de décision publique. Pour assurer la pérennité de la restauration rurale, mais aussi pour la ruralité dans sa globalité, et parce que nous représentons le peuple français et tous les territoires, je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi.

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