Intervention de Patrick Molinoz

Réunion du mardi 30 avril 2019 à 21h00
Commission des affaires économiques

Patrick Molinoz :

rapporteur du Conseil économique, social et environnemental. Mme Sabrina Roche et moi-même sommes convenus que je présenterais l'essentiel des conclusions de notre rapport. M. Ramos ayant appelé ma co-rapporteure aujourd'hui même pour lui dire son désappointement quant à l'avis rendu par le CESE, il a déjà eu l'occasion de lui dire ce qu'il pensait de notre travail. Celui-ci, je le souligne, a été mené en toute indépendance.

Monsieur Ramos, vous avez indiqué, dans vos propos liminaires, que vous vouliez, en saisissant le CESE – ce dont nous vous remercions –, vous assurer que celui-ci était ancré dans les territoires. Même si je ne suis pas certain que la réponse que nous vous apportons vous satisfasse, je tiens à vous dire que nous sommes tout à fait ancrés dans les territoires. L'un des deux rapporteurs est d'ailleurs à la fois vice-président de l'Association des maires de France (AMF), maire d'une commune rurale, président d'une intercommunalité très rurale et vice-président d'une région qui compte 60 % de sa population en zone rurale. Nous savons donc nous aussi un peu de quoi nous parlons.

Nous avons étudié votre proposition et nous vous avons écouté avec le plus grand respect – celui qui est dû aux députés, qui sont les représentants de la Nation. En réalité, votre proposition n'a suscité aucun débat polémique au sein de la section de l'aménagement durable des territoires. En effet, après avoir analysé votre demande, qui consiste à revenir sur un texte de loi qui lui-même mettait fin à la pratique des préenseignes, régie par une loi de 1979 – époque à laquelle la France ne comptait, me semble-t-il, que trois chaînes de télévision, pas toutes en couleurs, et où l'informatique en était encore à ses balbutiements –, il nous a semblé que, si la promotion des activités économiques locales, et plus particulièrement des restaurants, dans les communes de moins de 10 000 habitants situées dans des ensembles urbains comptant moins de 100 000 personnes, était un véritable enjeu, nous ne pouvions toutefois pas émettre un avis favorable sur votre proposition.

Nous estimons que celle-ci va soit trop loin, soit pas assez. Pour certains, le fait de s'en tenir aux restaurants laissait de côté tous les autres acteurs économiques locaux de ces territoires ruraux, qui auraient eux aussi besoin du système des préenseignes, dont ils bénéficiaient d'ailleurs auparavant. Pour d'autres – qui formaient l'immense majorité –, votre proposition allait au contraire trop loin, parce qu'elle remettait en cause un principe du Grenelle de l'environnement qui a rendu à nos campagnes un aspect qui nous semble particulièrement important pour la qualité et l'attractivité des villages. Du reste, les villages ne sont pas seuls concernés par la disposition visée : les communes de moins de 10 000 habitants représentent environ 35 000 des 36 000 communes de notre pays, autant dire leur écrasante majorité.

Nous avons, de manière unanime, jugé que votre proposition n'était pas tout à fait en phase avec ce que vivent nos acteurs économiques locaux et ce que sont les outils modernes de communication et de publicité, mais que le soutien aux territoires ruraux et aux acteurs économiques qui y sont installés constituait effectivement un véritable enjeu.

Je résumerais donc notre avis de la manière suivante : d'une part, ce que vous proposez ne nous paraît pas souhaitable, parce qu'on doit continuer à préserver l'environnement, en l'espèce les abords de nos villes et de nos villages, et revenir sur cet objectif n'aurait pas de sens, mais, d'autre part, il faut trouver des solutions pour donner une meilleure visibilité aux acteurs économiques – et pas uniquement, encore une fois, aux restaurants.

Vous nous avez indiqué, lors de votre audition – et vous l'avez d'ailleurs répété ce soir –, que vous considériez que le fait de parler du numérique ne correspondait pas à la réalité des territoires, au motif que la couverture numérique n'est pas uniforme. Vous avez raison sur ce dernier point ; d'ailleurs, l'État et les collectivités s'engagent fortement pour développer le très haut débit et pour faire en sorte que la couverture en téléphonie mobile s'améliore. Comme tout le monde, nous appelons de nos voeux une accélération du processus. Toutefois, la visibilité sur internet ne se résume pas à la question de savoir si une annonce peut être consultée à l'endroit même dont elle fait la publicité : à partir du moment où vous publiez une annonce, celle-ci est vue un peu partout, et ce serait ignorer la réalité des modes de communication modernes que de considérer qu'il n'est pas pertinent d'utiliser internet au prétexte que, là où est situé le restaurant, le téléphone ne passerait pas ou internet ne serait pas utilisable. Ces éléments de votre présentation nous semblent donc ignorer certaines réalités économiques et technologiques.

Par ailleurs, j'ai été surpris de vous entendre évoquer une diminution du chiffre d'affaires des restaurants de l'ordre de 45 %. Avant, vous parliez plutôt de 25 %. Nous souhaitons appeler l'attention de la Représentation nationale sur ce point : si l'immense majorité des restaurants situés dans les 35 000 communes comptant moins de 10 000 habitants avaient connu une baisse de 45 % de leur chiffre d'affaires, cette situation aurait alerté bien avant l'ensemble de nos territoires.

Nous avons donc estimé qu'il serait utile d'avoir une analyse un tant soit peu objective – même si ce n'est pas simple – des effets de la disparition des préenseignes, en sachant que, depuis 2015, notre pays a été bousculé, pour ce qui est du tourisme, par quelques événements qui n'ont échappé à personne, tels que la baisse de la fréquentation, liée au terrorisme, ou encore l'augmentation du prix des carburants, qui a pu avoir elle aussi un impact. Un certain nombre de facteurs entrent donc en ligne de compte, et nous ne sommes pas en mesure de dire – tout comme nos interlocuteurs, d'ailleurs – si l'éventuelle diminution du chiffre d'affaires, qu'elle soit de 25 % ou de 45 %, est liée spécifiquement à l'interdiction des préenseignes.

Ce faisceau d'éléments nous a conduits à adopter l'avis que j'évoquais, et dont je rappelle qu'il n'est que consultatif : d'une part, ce ne serait pas forcément un bon signal que de rétablir les préenseignes, mais, d'autre part, il faut en effet trouver des moyens de remédier aux difficultés que rencontrent les territoires ruraux, dont les acteurs économiques ne sont pas à égalité avec ceux d'autres territoires quant à la publicité et à la communication.

À cet égard, nous avons débattu d'une proposition dont je prends la liberté de parler, même si elle n'a pas été retenue par le CESE. Il existe actuellement un élément de différenciation entre les territoires ruraux et les territoires urbains, en termes d'autorisation de publicité sur les supports numériques : dans les communes de moins de 10 000 habitants situées dans les agglomérations comptant moins de 100 000 personnes, il n'est pas possible de faire de la publicité sur support numérique. J'ai donc émis l'idée que nous suggérions à la Représentation nationale de revoir ce point. La proposition n'a pas fait l'unanimité au sein de ma section ; certains membres y étaient très opposés. Quoi qu'il en soit, je la verse au débat.

En résumé, la position du CESE est la suivante : non à la proposition de loi, mais oui à des efforts pour améliorer la visibilité des restaurants et des autres acteurs économiques locaux dans les territoires ruraux. Selon nous, il faudrait travailler, en particulier, sur l'usage du numérique, sur la formation et l'inclusion numérique – ce n'est pas seulement là un concept à la mode : c'est une des priorités du Gouvernement. Nous avons également émis l'idée selon laquelle on pourrait améliorer les signalisations d'information locale. Quoi qu'il en soit, l'accompagnement aux usages numériques des acteurs économiques est un enjeu extrêmement important ; c'était d'ailleurs une priorité pour M. Mounir Mahjoubi, quand il était secrétaire d'État chargé du numérique, et son successeur l'a certainement reprise. L'inclusion numérique ne concerne pas seulement les citoyens : les acteurs économiques, et singulièrement ceux qui sont visés dans cette proposition de loi, doivent eux aussi être pris en compte.

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