Intervention de Didier Lesueur

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 9h20
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Didier Lesueur, directeur général de l'ODAS :

Les questions que vous posez sont quasiment abyssales, la société ayant effectivement changé depuis la décentralisation. Nous ne sommes plus dans le même monde. Nous ne pouvons donc pas aborder la question de l'aide sociale à l'enfance sans un regard anthropologique sur notre société. C'est une question sur laquelle j'interviens beaucoup.

D'abord, les modèles familiaux se sont multipliés. Si la famille monoparentale n'est pas, en soi, source de dangers pour l'enfant, elle est un danger dans un environnement déstructuré. Un enfant sur cinq vit dans une famille monoparentale ; ce n'est pas un accident d'existence, mais un mode de vie vers lequel tend notre société. En effet, quand les couples à revenus modestes se séparent, mécaniquement l'enfant tombe sous le seuil de pauvreté.

Ensuite, il y a davantage de familles recomposées : un enfant sur dix connaît la pluriparentalité.

Enfin, une évolution fondamentale est intervenue dans notre appréhension collective de l'éducation, qui est devenue une affaire strictement privée. Les enseignants peuvent en témoigner. Alors qu'ils étaient soutenus par les parents, aujourd'hui ils sont dans une logique de devoir prouver aux parents que leur enfant a des difficultés, voire qu'il s'est mal comporté. Un certain nombre de parents contestent les décisions des enseignants.

Tous ces changements atteignent les professionnels de l'aide à l'enfance. Ce que nous appelons l'aléa des repères partagés, et qui touche particulièrement la question de l'éducation, est ce qui va faire sens, ce qui va alerter les professionnels quand l'éducation des parents est tordue, voire absente – en dehors même des situations de maltraitance.

Je vous cite un exemple. Nous travaillons avec la ville d'Orly sur la question de savoir comment une ville peut créer, avec les parents, des conditions plus favorables à l'éducation des enfants. Un agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) anime un groupe de parents dans l'école. Un jour, une mère vient avec ses deux enfants – dont l'un avec une tablette – casque sur les oreilles, téléphone à la main. L'ATSEM lui demande de retirer le casque, lui expliquant qu'elle pourra sortir si elle reçoit un appel. Elle demande également au petit garçon de poser sa tablette pour pouvoir faire des activités ; le fils répond non de façon brutale. Malaise au niveau des adultes. Qu'est-ce qui nous légitime, nous, adultes, pour intervenir auprès d'un enfant qui n'est pas le nôtre ? Personne n'ose bouger. Et en fin de compte, c'est la petite soeur qui va prendre la tablette, la jeter par terre et la casser.

C'est la raison pour laquelle Jean-Louis Sanchez insistait sur le fait que l'aide sociale à l'enfance est l'affaire de toute la société. Si nous ne sommes pas tous responsables des enfants, nous n'avancerons pas.

Concernant l'évolution de la société, je voudrais également appeler votre attention sur les jeunes majeurs de vingt et un ans. Rappelons-nous que la création du contrat jeune majeur, c'est-à-dire la possibilité pour un jeune de se faire accompagner par l'aide sociale à l'enfance entre dix-huit et vingt et un ans, était lié à l'abaissement de la majorité civile, en 1974, à dix-huit ans.

Mais, en 1974, les jeunes de vingt et un ans pouvaient être autonomes, puisqu'ils terminaient leur scolarité, en moyenne, à dix-huit ans. Aujourd'hui, quel jeune de vingt et un ans est en capacité d'être autonome ?

De sorte que pour les jeunes adultes de vingt et un ans, c'est un peu la double peine. On leur demande non seulement de trouver les moyens de la résilience – ceux qui sont encore dans le parcours à vingt et un ans sont les plus fracassés –, mais également de s'insérer très vite dans la société. Par ailleurs, on fait une croix sur le fait que certains puissent vouloir faire de longues études.

Je signale toutefois que quelques départements ont mis en place des dispositifs pour les jeunes de plus vingt et un ans.

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