Intervention de François de Rugy

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 10h15
Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

François de Rugy, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je vous remercie, monsieur le président. Messieurs les co-rapporteurs, Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative de cette mission d'information sur la stratégie de sortie du glyphosate. Il est bon que les députés se saisissent du sujet au même titre que le Gouvernement.

Il faut sortir du glyphosate. Telle la position du Gouvernement, que je tiens à rappeler, pour commencer, de la façon la plus claire. Outre qu'elle constitue un enjeu de santé publique et de protection de l'environnement et de la biodiversité, la sortie du glyphosate, qui doit s'inscrire dans le cadre plus large d'une politique en faveur de la réduction de l'utilisation des pesticides, correspond à une attente de nos concitoyens.

Qu'il s'agisse de la santé publique, de la protection de l'environnement, de la ressource en eau, de la biodiversité ou encore de la qualité de l'air, les préoccupations de nos concitoyens sont grandissantes. Ils s'inquiètent aussi de la qualité de leur alimentation : selon une étude d'opinion, 93 % des Français considéraient en 2017 que leur santé était affectée par les pesticides contenus dans les aliments. Nous ne pouvons pas ignorer cette évolution et nous pouvons même, je crois, nous en féliciter. La forte croissance de la consommation de produits agricoles et alimentaires bio – 15 % par an environ – en est un signe tangible et durable.

Nous avons décidé, dans ce contexte, de nous fixer des objectifs ambitieux de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires par rapport à 2008 : de moins 25 % en 2020 et de moins 50 % en 2025. Ces objectifs sont ambitieux, je le répète, parce qu'ils impliquent des transformations importantes des modes de production. Ils sont, pensons-nous, à la hauteur des attentes des Français.

Il ne s'agit évidemment pas, en soulignant l'ambition de ces objectifs, de nous glorifier, mais de relever qu'en nous attaquant à la réduction des produits phytosanitaires, nous avons l'obligation d'examiner un grand nombre d'autres sujets. Nous ne pouvons pas simplement parler d'exigences de santé publique, de protection de l'environnement ou d'objectifs dans le temps. Nous devons aborder aussi la question des moyens et de notre capacité à atteindre ces objectifs, sans perdre de vue l'activité économique, notamment dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire, très importants en France. Il faut toujours penser à ceux qui, concrètement, doivent mettre en oeuvre les changements.

En tant que premier herbicide utilisé en France – 30 % des ventes –, le glyphosate tient une place particulière dans ce débat. En réponse à ceux qui, encore aujourd'hui, s'interrogent sur sa dangerosité, je voudrais rappeler quelques faits avérés.

Le glyphosate présente des caractéristiques de danger certain. Il provoque des lésions oculaires graves et il est toxique pour les organismes aquatiques. On en retrouve aujourd'hui des traces dans de nombreuses rivières françaises et dans de nombreux cours d'eau, soit un important sujet de préoccupation. Son caractère cancérogène donne lieu à des divergences d'appréciation entre les différentes autorités compétentes. Les agences de l'Organisation des Nations unies (ONU) et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) le jugent « cancérogène probable ». L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) ont indiqué, en 2017, ne pas disposer de suffisamment d'éléments pour le classer comme cancérogène. Nous devons travailler à l'amélioration des connaissances afin de lever les divergences d'appréciation entre ces agences. Pour ma part, je suis convaincu que nous ne pouvons pas ignorer l'avis du CIRC et que nous devons en tirer des conclusions dans un esprit de responsabilité.

C'est dans cet esprit que le Gouvernement a décidé, avant même ma nomination, et en dépit de la décision prise au niveau européen, d'engager en France un plan de sortie volontariste du glyphosate, en faisant appel à l'esprit de responsabilité des acteurs.

Je tiens à rappeler que, de manière constante dans les débats européens, la France, soutenue par de nombreux États membres, s'est opposée aux propositions de la Commission européenne de renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour des durées de quinze, puis dix, puis cinq ans, durée finalement approuvée fin 2017 par une majorité d'États membres. On tente parfois, dans le débat politique et médiatique, de faire croire aux Français que notre pays est le seul à poursuivre un objectif de sortie du glyphosate en trois ans. Rien n'est moins vrai. Pour un débat politique sérieux, il faut rappeler les faits. La position de la France et des États membres opposés à une réapprobation du glyphosate pour une longue durée a permis d'infléchir la décision au niveau européen. Il faut s'en féliciter.

Quoique l'on en pense, il nous faut aujourd'hui prendre acte du vote des États membres. Nous avons cependant décidé, en appelant les acteurs à la responsabilité, d'engager un plan de sortie du glyphosate volontariste, la décision prise au niveau européen ne nous empêchant nullement d'agir au niveau national. Le Président de la République a donc clairement indiqué vouloir engager la sortie du glyphosate sous trois ans, soit avant 2021 pour la majorité des usages, et au plus tard sous cinq ans, soit avant 2023, pour la totalité des usages. Le plan de sortie du glyphosate nous permettra d'atteindre cet objectif ambitieux en déployant les leviers d'accompagnement nécessaires.

À ceux qui voudraient que l'on interdise immédiatement, par la loi, l'usage du glyphosate, je souhaiterais rappeler les éléments suivants. Sortir du glyphosate en trois ans est particulièrement ambitieux puisqu'il s'agit, comme je l'ai dit, du premier herbicide utilisé en France. Certes, le glyphosate a déjà été interdit dans le passé pour les usages des particuliers et des collectivités locales, mais l'enjeu est de toute évidence bien différent aujourd'hui. Ces interdictions, que j'avais moi-même soutenues lorsque j'étais député, étaient alors beaucoup plus faciles et chacun était conscient qu'interdire le glyphosate dans l'agriculture nécessiterait des changements bien plus conséquents. Une transformation profonde des modes de production agricole est aujourd'hui nécessaire, mon collègue M. Didier Guillaume y reviendra dans son intervention. Il ne s'agit pas d'une simple substitution du glyphosate par un autre herbicide, chimique ou biologique. Il faut le dire clairement aux Français, sous peine de s'en tenir aux discours et de ne pas passer à l'action.

Pour accompagner cette transformation importante, le Gouvernement a souhaité s'appuyer sur la responsabilisation des acteurs plutôt que sur la contrainte législative ou réglementaire immédiate. Nous n'excluons toutefois pas, si les objectifs et les engagements ne sont pas tenus, la possibilité de prendre des mesures législatives pour respecter les échéances que nous avons fixées.

Le débat qui a eu lieu lors de l'examen de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM », dont chacun se souvient et auquel j'ai moi-même participé en tant que député et président de l'Assemblée nationale, ne nous dispense pas, bien au contraire, des mesures que nous prenons par ailleurs. Nous avons ainsi engagé un processus précis, minutieux et plus conforme au droit européen, de révision des autorisations de mise sur le marché des produits contenant du glyphosate. Avec mes collègues M. Didier Guillaume et Mme Agnès Buzyn, nous avons demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) de réviser les autorisations de mise sur le marché de ces produits afin d'exclure les usages du glyphosate pour lesquels des alternatives sont avérées, notamment lorsqu'elles sont validées par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), et qu'elles ne dépassent pas le 31 décembre 2020. Nous nous situons donc déjà dans l'optique de 2021. Loin des symboles et des polémiques, nous menons un travail important et rigoureux pour nous assurer, sans attendre la fin 2020, que les usages pour lesquels des alternatives existent seront progressivement supprimés.

Le plan de sortie du glyphosate comprend des mesures fortes. Les services du ministère de la transition écologique et les services du ministère de l'agriculture travaillent étroitement ensemble dans le cadre de la task force sur le glyphosate mise en place avant ma nomination.

Je laisserai naturellement M. Didier Guillaume revenir sur les mesures prévues en matière d'accompagnement des agriculteurs, mais je rappelle que la séparation entre les missions de vente et de conseil des produits phytosanitaires a été votée dans la loi « agriculture et alimentation » – je préfère la nommer ainsi, le sigle « EGALIM » n'étant pas très parlant pour nos concitoyens.

Cette mesure a été éclipsée par les polémiques autour du glyphosate – que certains, je dois le dire, ont alimenté avec beaucoup d'énergie dans les médias et dans le débat politique -, alors qu'il s'agit d'une mesure extrêmement forte, promise pendant la campagne électorale de 2017, votée par la majorité à l'Assemblée nationale et aujourd'hui mise en oeuvre. Elle est loin, évidemment, de faire l'unanimité car ce n'est pas une mesure facile, ce dont j'ai pu me rendre compte lorsque j'ai rencontré des responsables d'organisations agricoles, qui demandaient son report. Avec une telle mesure nous nous donnons pourtant un moyen concret d'avancer vers un assainissement des relations entre les acteurs sur les questions sensibles liées aux produits pesticides phytosanitaires.

En matière d'incitation, il est prévu, dans le projet de loi de finances pour 2019, de rénover la redevance pour pollution diffuse, qui porte sur les ventes de produits phytosanitaires, et de l'augmenter pour les substances les plus dangereuses. La taxation sur le glyphosate augmentera de 50 %, soit un euro d'augmentation par kilo. Cette taxe nous permettra de financer, à hauteur d'environ 50 millions d'euros par an, le développement de l'agriculture biologique, en plus des 71 millions d'euros consacrés au programme « Écophyto » en faveur de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires.

S'agissant de l'information du public, nous renforcerons la transparence et l'accès aux données d'achat et de vente des produits phytosanitaires, en particulier du glyphosate, avec une cartographie publiée sur le site internet du ministère de la transition écologique et solidaire ou du ministère de l'agriculture et de l'alimentation. La question de la transparence est très importante pour retisser le lien de confiance avec nos concitoyens.

Enfin, avec mon collègue ministre de l'agriculture et de l'alimentation, M. Didier Guillaume, nous rendrons très prochainement officielle la nomination d'un délégué interministériel au plan de sortie du glyphosate et au plan de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques. Ce délégué s'assurera de l'avancée du plan d'action et de la pleine mobilisation des administrations et des professionnels, filière par filière, pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Je souhaite évidemment qu'il vienne rendre compte des progrès enregistrés devant votre mission d'information, tout comme il en rende compte au grand public.

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