Intervention de Didier Guillaume

Réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 10h15
Mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate

Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Monsieur le président, Messieurs les co-rapporteurs, Mesdames et Messieurs les députés, à mon tour, après le ministre d'État M. François de Rugy, de vous remercier pour la mise en place de cette mission d'information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. Elle aura, à n'en pas douter, un rôle essentiel à jouer.

Avec le Gouvernement, nous souhaitons aujourd'hui travailler à trois réconciliations : celle de l'agriculture et de la société, celle des agriculteurs, des agricultrices et des citoyens, celle du rural et de l'urbain. Ces trois réconciliations sont essentielles pour poursuivre en toute sérénité et en toute transparence, mais avec fermeté et volonté, le travail engagé par le Gouvernement pour la réduction des produits phytosanitaires.

Nous ne pouvons nous satisfaire d'une société coupée en deux, dans laquelle les citoyens se montrent du doigt, avec d'un côté ceux qui pensent que les agriculteurs sont de potentiels empoisonneurs, et de l'autre des professionnels qui croient détenir la vérité sur les modes de production. La transition à venir doit s'inscrire dans notre histoire, dans notre patrimoine et dans notre culture, conformément à la volonté exprimée par le Président de la République, par le Gouvernement et, à l'instant, par mon collègue et ami M. François de Rugy.

Le moment est venu pour cette transition et les trois ans à venir seront, de ce point de vue, absolument essentiels. Ils fixent la ligne d'arrivée et ne sauraient être prolongés en cas d'échec. Comme M. François de Rugy l'a dit, s'il faut passer par la loi, nous passerons par la loi. L'engagement du Président de la République et du groupe majoritaire à l'Assemblée nationale est clair.

Les réconciliations dont j'ai parlé sont donc absolument indispensables. On ne peut accepter que, dans les campagnes, des citoyens bloquent les tracteurs, empêchent les agriculteurs de faire leur travail et les accusent d'empoisonner leurs enfants en utilisant tel ou tel produit. Si nous ne parvenons pas à faire advenir ces trois réconciliations, il sera difficile pour notre société d'être véritablement résiliente.

J'aimerais souligner par ailleurs, dans cette introduction, l'engagement total de mon ministère en faveur de la transition agroécologique et la transition sanitaire. Toutes les structures du ministère, toutes les directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (DRAAF), toutes celles et tous ceux qui travaillent sur le terrain y sont pleinement engagés. La transition agroécologique et la transition sanitaire, après celles de l'économie et du social, sont absolument indispensables. Nos lycées agricoles, nos lycées d'enseignement professionnel, et nos structures de recherche sont, tout comme moi, mobilisés. J'ai eu l'occasion de le dire devant la commission des affaires économiques et lors du débat sur le projet de loi de finances.

La transition de l'agriculture vers l'agroécologie est irréversible. Nous devons la faire à grands pas pour que les réconciliations dont j'ai parlé puissent avoir lieu. Soyez certains que j'en serai le premier acteur et le premier promoteur, d'autant que les agriculteurs français y sont prêts, conscients que des évolutions sont nécessaires. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant.

Quant à la transition sanitaire, elle passe par la réconciliation entre le rural et l'urbain, entre l'agriculteur, l'agricultrice et le citoyen. Aujourd'hui, la demande sociétale de produits agricoles dotés d'une forte traçabilité et d'une forte sécurité alimentaire est évidente. Le Gouvernement ne cherche pas tant à y répondre qu'à être proactif sur ce sujet. L'agriculture française, à qui l'on a demandé de nourrir l'Europe entière après la Seconde Guerre mondiale, doit permettre à la France de maintenir son indispensable souveraineté alimentaire tout en exportant. Elle doit mettre sur le marché des produits sûrs, tracés, garants d'une sûreté et d'une sécurité sanitaires incontestables.

Si nous respectons ces principes, nul doute que nous réussirons. Je suis personnellement optimiste car les citoyens attendent ces transformations, les agriculteurs y sont prêts, et le Président de la République, le Premier ministre et le Gouvernement y sont fermement engagés. Je souhaite donc à nouveau vous remercier très chaleureusement pour cette mission d'information.

La réduction des produits phytopharmaceutiques associe des enjeux de santé publique, de qualité de l'alimentation et de préservation de l'environnement et de la biodiversité. M. François de Rugy a souligné la multiplicité de ces enjeux, je n'y insiste donc pas. La réduction des produits phytopharmaceutiques correspond par ailleurs à une attente forte de la société, réaffirmée lors des États généraux de l'alimentation, qui ont constitué un beau succès pour la France. Pour l'une des premières fois, tous les acteurs étaient rassemblés, l'amont, l'aval, les filières, les citoyens, les ONG et les associations. Les États généraux de l'alimentation resteront comme un point fort de l'année 2017.

Conformément à l'engagement pris par le Président de la République, la sortie du glyphosate dans trois ans et la transition vers l'agroécologie sont irréversibles. Soyons-en tous persuadés. Si certains traînaient encore des pieds, ils doivent savoir que c'est peine perdue : le mouvement est engagé ! Toutefois, et c'est mon rôle de ministre de vous le dire, cette transition ne peut se faire sans un accompagnement des agriculteurs au changement.

Je suis ministre de l'agriculture, certes, mais aussi ministre de l'alimentation. Le Président de la République a bien fait d'accoler ces deux domaines : ils sont absolument consubstantiels dans la société actuelle ; l'un ne va pas sans l'autre. Le plan gouvernemental pour la réduction des produits phytopharmaceutiques, présenté en avril 2018, et le plan de sortie du glyphosate, présenté le 22 juin dernier, témoignent tous deux de cette conviction.

Au cours des trois dernières années, la France a utilisé davantage de pesticides que les trois années précédentes. Il y a là un problème qui doit nous faire réfléchir. Vous noterez que je n'ai pas parlé de l'agriculture, mais bien de la France, car le débat sur le glyphosate et les produits pharmaceutiques dépasse largement l'agriculture. Pour désherber ses voies ferrées, la SNCF utilise elle aussi des herbicides. Elle devra trouver demain des alternatives à l'utilisation du glyphosate pour que les TGV, les TER et les trains d'équilibre du territoire (TET) puissent circuler sur des voies non envahies par les mauvaises herbes. La question se posera aussi pour les pistes d'atterrissage des avions. Il me semblait important de le préciser.

Nous avons donc utilisé en France au cours des trois dernières années davantage de pesticides que les trois années précédentes. Cela ne peut pas durer, et je serai celui qui fera en sorte que cela cesse. Cet engagement est inscrit dans mon mandat, à la demande du Président de la République.

Les objectifs du plan de sortie du glyphosate sont ambitieux par rapport à l'Union européenne. M. François de Rugy en a parlé, j'irai donc vite. Les objectifs de moins 25 % en 2020 et de moins 50 % en 2025 doivent être tenus. Le monde agricole lui-même les approuve. Sur la stratégie de sortie du glyphosate, soyons conscients que le gouvernement français a pris le leadership au niveau européen. Nul besoin d'être sur la défensive au motif que le Parlement, avec la loi EGALIM, n'aurait pas veillé suffisamment à la santé des Français. Nous sommes au contraire les premiers en Europe à avancer dans la bonne direction. Sachons reconnaître aussi les points positifs ! Si nous allons plus vite que prévu, alors tant mieux, mais gardons le cap des trois ans à l'esprit. Lorsqu'en 2021, la France sera sortie du glyphosate, elle sera peut-être le premier pays au monde à l'avoir fait. Reconnaissons que nous sommes en avance et gardons le leadership en Europe sur les questions sanitaires et la sortie du glyphosate !

La stratégie de sortie du glyphosate s'appuie sur la responsabilisation des acteurs sans toutefois écarter les voies réglementaires. Je l'ai dit il y a quelques instants, s'il faut passer par la loi nous le ferons, mais c'est d'abord par la responsabilisation des producteurs, des industriels, des distributeurs et des consommateurs que nous souhaitons avancer. Nous allons donc nous adresser à l'ensemble du spectre sociétal pour identifier, déployer et valoriser les alternatives au glyphosate.

Sortir du glyphosate, soit, mais quel produit de substitution utiliser ? Il est évidemment hors de question de le remplacer par un autre herbicide. Dans le cadre des plans de filières, nous avons interrogé les filières agricoles sur des engagements de sortie du glyphosate. Le secteur des grandes cultures – céréales et oléo-protéagineux –, le secteur viticole et celui des fruits et légumes – je suppose que votre mission les auditionnera – nous ont déjà fait parvenir leur contribution, ce qui montre que les choses avancent. Pourront-ils sortir totalement du glyphosate d'ici trois ans ? L'accompagnement mis en place par l'État à travers nos deux ministères aura précisément pour but de les y aider.

Nous attendons de la grande distribution qu'elle s'engage à valoriser économiquement les efforts des agriculteurs. Le plan de sortie du glyphosate passe par un engagement de sa part à s'impliquer dans la définition des standards de marché et des cahiers des charges et à valoriser les productions obtenues sans glyphosate. Nos concitoyens sont exigeants. Des démarches de progrès ont déjà été engagées par les filières agricoles. Ainsi, le syndicat agricole majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), défend, avec une quarantaine d'organisations, un contrat de solutions pour la sortie du glyphosate, que nous allons examiner, évaluer et tester. Nous verrons par la suite s'il faut en venir à la voie réglementaire.

Nous avons la chance de posséder en France des structures de recherche, d'innovation et d'évaluation des risques de grand talent. Nous devons leur permettre de trouver les solutions alternatives dont nous avons besoin. Prenons garde à ce que la substitution du glyphosate n'aboutisse pas à l'utilisation d'herbicides au profil toxicologique plus défavorable. La mobilisation de ces structures est indispensable pour nous prémunir contre ce danger, dont je les ai alertées, tout comme l'avait fait mon prédécesseur.

Force est de le constater, malgré les différents plans « Écophyto », nous ne sommes pas allés assez vite dans la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Le plan de sortie du glyphosate s'appuie sur le rapport de l'INRA remis en décembre 2017 au Gouvernement, qui démontre que de nombreuses alternatives au glyphosate sont déjà disponibles, en particulier pour les grandes cultures, la viticulture et l'arboriculture, filières consommatrices de glyphosate. Puisqu'elle est d'ores et déjà possible, nous devons accélérer la transition. Certaines filières peuvent aller plus vite que d'autres et peut-être sortir du glyphosate avant 2020. Banco, allons-y, aidons-les ! Je serai fier d'être le ministre de l'agriculture qui aura contribué à cela.

Le Gouvernement ne laissera pas sans solutions les filières qui, malgré leur bonne volonté, ont plus de difficulté à trouver des alternatives au glyphosate. Il les accompagnera. M. François de Rugy l'a évoqué tout à l'heure, nos deux ministères ont saisi l'ANSES. Les solutions de biocontrôle devront également être au coeur de la réflexion.

Enfin, et j'y tiens beaucoup, un accompagnement technique des agriculteurs est nécessaire. Comme je l'ai dit pour commencer, nous ne devons pas opposer les uns aux autres. L'État, les chambres d'agriculture, les syndicats agricoles et les coopératives doivent se mobiliser pour cet accompagnement. Avec la robotisation, le développement de l'agriculture de précision, les innovations variétales, les rotations et la gestion des sols, entre autres, des changements profonds sont en cours dans les exploitations. Vous connaissez tous ces sujets aussi bien que moi. Ces changements nécessitent un important accompagnement, qui passera par une mobilisation générale.

Nous ne pouvons pas nous limiter à des effets d'annonce. Il nous faudra rapidement des résultats. D'ici à la fin de l'année, un centre de ressources « glyphosate », qui rendra accessibles à l'ensemble de la profession agricole les solutions alternatives existantes, sera disponible. Il jouera un rôle exclusivement positif : plutôt que de montrer du doigt les échecs, il s'efforcera de mettre en avant les réussites. Ce n'est pas avec le bâton que nous réussirons la transition, mais au contraire en valorisant les bonnes pratiques. Or, les exemples sont nombreux, comme nous l'avons vu lors du débat sur le projet de loi de finances.

Parmi ces exemples, j'aimerais mentionner le réseau des fermes du réseau « Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires » (DEPHY) et rappeler que les parlementaires ont rajouté de l'argent au budget initial que j'ai présenté vendredi dernier. Ce réseau regroupe aujourd'hui 3 000 fermes et 40 sites expérimentaux. C'est grâce à ce type d'initiative que nous réussirons. L'accompagnement de collectifs de fermes en transition doit aussi être mentionné. Elles sont 30 000 à l'heure actuelle. Continuons là encore d'avancer !

Quant à « ÉcophytoPIC », le portail de la protection intégrée des cultures, son objectif est la promotion et l'accompagnement du monde agricole. Cet accompagnement de transition est la voie par laquelle nous gagnerons.

Enfin, M. François de Rugy l'a dit, la loi EGALIM prévoit la séparation entre les missions de vente et de conseil des produits phytosanitaires. J'étais sénateur lorsque la loi a été présentée et j'ai soutenu cette mesure indispensable, bien qu'elle pose des problèmes dans certains secteurs, celui des coopératives notamment. Il n'est plus possible de revenir en arrière et je maintiendrai cette mesure, mais nous accompagnerons les secteurs dans lesquels elle pose des difficultés. Plutôt que d'y être véritablement opposés, certains agriculteurs sont en réalité démunis face aux changements qu'elle exige : ils ne savent pas comment faire et ont besoin d'être étroitement accompagnés. J'en reviens, comme toujours, à mon leitmotiv : accompagnement dans la transition !

Mesdames et Messieurs les députés, Monsieur le président, Messieurs les co-rapporteurs, je suis convaincu que le coordinateur interministériel qui sera prochainement nommé vous sera d'une grande aide. Je suis prêt à revenir devant vous en tant que de besoin. Les services du ministère de l'agriculture et de l'alimentation sont tout entiers tournés vers la transition agroécologique, la transition sanitaire et la sortie des produits phytosanitaires. Celle-ci est indispensable et irréversible, et correspond à une volonté politique partagée par le Gouvernement et les parlementaires, quel que soit leur bord politique.

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