Intervention de Benoît Ferres

Réunion du jeudi 28 mars 2019 à 11h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Benoît Ferres, président de Caméo :

Je vais très brièvement vous présenter Caméo, avant de rentrer dans le vif du sujet. Caméo, start-up de l'énergie en hypercroissance, a six ans d'expérience et réalise 29 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous avons contribué à débloquer, en 2018, entre 55 et 60 millions d'euros de flux de financement de projets d'efficacité énergétique, tous segments confondus. Nous travaillons dans le bâtiment, l'industrie, auprès des entreprises comme des particuliers.

Les certificats d'économies d'énergie (CEE) constituent le principal flux financier pour les projets d'efficacité énergétique, ils représentent environ 2 milliards d'euros par an. Dans cet écosystème des CEE, Caméo, qui travaille avec des fournisseurs d'énergie qui représentent environ les deux tiers de l'obligation, a structuré un modèle de mandataire. D'autres acteurs, que vous avez auditionnés, proposent un autre modèle, celui de la délégation. Nous pourrons revenir, au cours de la discussion, sur les différents acteurs de cet écosystème et sur les modèles économiques associés.

Je souhaiterais centrer mon intervention sur deux points. Premièrement, je souhaiterais vous présenter une vision un peu différente sur les certificats d'économies, appliqués à l'énergie, mais pas seulement. Il s'agit d'un outil innovant de politique publique en faveur de la transition énergétique, qui n'est pas obligatoirement un outil fiscal. Deuxièmement, au sein de ces outils innovants, des points d'amélioration existent. Ces outils sont jeunes, mais nous disposons d'un recul de douze ans pour les CEE. Nous avons ainsi détecté certains freins à leur démultiplication.

Le dispositif des CEE a donc douze ans d'ancienneté. Je n'exposerai pas le détail du mécanisme, mais ce qu'il faut en retenir, c'est-à-dire les principes qui ont présidé à la genèse de ce que nos amis anglais ont inventé dans la seconde moitié des années 1990. Avec ces CEE, nous distribuons un gain immédiat, dans le présent, proportionnel aux économies d'énergie futures. Dans le domaine du bâtiment, certaines économies d'énergie doivent être comptabilisées sur des périodes de dix, quinze, vingt ou vingt-cinq ans : nous comprenons donc aisément l'intérêt d'obtenir aujourd'hui un gain de ce que nous aurons demain, après-demain, etc. ; en effet, ce gain, si dilué dans le temps, devient impalpable.

C'est pourquoi ces CEE sont des outils efficaces de massification de lancements de projets d'efficacité énergétique. La France a atteint, depuis que les CEE existent, l'essentiel de ses obligations européennes grâce à ce dispositif. En Europe, les CEE, les white certificates ou les energy efficiency obligations sont devenus, dans la majorité des États, le principal outil de lancement de projets d'efficacité énergétique, au-delà du carbone et de la fiscalité écologique. Les energy efficiency obligations existent désormais sur les cinq continents, elles ont explosé depuis dix ans. C'est un outil efficace, alors que l'enjeu de massification est crucial.

Le deuxième niveau d'originalité du dispositif est qu'il n'affecte en rien le budget des États. En France, 2 milliards d'euros de projets sont financés, avec un effet de levier que nous pouvons grosso modo estimer entre 10 et 15 milliards d'euros en ce qui concerne l'investissement global déclenché par an. Ce flux d'investissement est colossal. Le dispositif mobilise l'ensemble des agents économiques – entreprises, collectivités, fabricants, installateurs, usines, copropriétés, particuliers, ménages, etc. – vers un objectif commun, sans affecter le budget de l'État.

Le troisième avantage et la troisième particularité de ce type de dispositif est le suivant : non seulement il favorise une économie d'énergie dans le futur, à laquelle s'ajoute le gain immédiat, qui constitue un élément de sensibilisation pour les actions les plus innovantes, mais surtout il est redistributif. Le gain immédiat est perçu quasiment au moment de l'action. La France fait partie des pays relativement innovants, avec, entre autres, le Royaume-Uni. Elle a mis en place, depuis 2016, un fléchage de ces flux financiers vers les populations les plus fragiles, ce qui représente environ 2 milliards d'euros pour les trois ans à venir. Une régulation intrinsèque permet de flécher ces gains vers ceux qui en ont le plus besoin.

Ces mécanismes de CEE, qui essaiment à travers le monde, inspirent même, aujourd'hui, d'autres secteurs d'activité que celui de l'énergie. Il existe une version de certificat d'économie dans les produits phytosanitaires, et le secteur du recyclage réfléchit à la question.

Nous souhaitions aussi intervenir dans cette enceinte parce que, au regard de son ampleur, le sujet n'est probablement pas assez documenté et connu. Il est massif, mondial, représente des flux d'investissement énormes et reste complexe. Nous avons besoin de définir une intelligence collective sur ces nouveaux modèles. Parlementaires, économistes, groupes de réflexion, etc., doivent documenter le phénomène, le rendre intelligible, et exploiter les retours d'expérience, pour comprendre comment ces outils hybrides et innovants peuvent aider à soutenir les objectifs, ceci en dehors des politiques classiques d'incitation publique.

Une piste vient peut-être de la comptabilité. Finalement, les CEE comptabilisent les économies d'énergie dans un indicateur un peu barbare, le kilowattheure (KWh) dit « cumac », c'est-à-dire « cumulé actualisé », qui ne parle à personne. Si nous parlions en tonnes de CO2 évitées, nous favoriserions une convergence des réflexions avec les problématiques de la taxe carbone, etc. En effet, le mécanisme actuel récompense le CO2 évité de manière massive.

Ces outils sont innovants, mais ils sont perfectibles, et nous devrions les rendre plus faciles d'utilisation. L'un des points qui peut susciter des inquiétudes dans l'élargissement de ces mécanismes, ce sont les contrôles et les fraudes. Il est proposé que l'arsenal juridique associé aux contrôles et aux fraudes soit renforcé – ce qui est absolument normal – mais il ne faut pas associer une chose relativement marginale, les fraudes, à l'ensemble de ce type de dispositifs. Ce qui permet la massification des CEE, c'est le fait que les contrôles se font a priori. C'est en standardisant les normes a priori que nous serons sûrs que les travaux réalisés seront bien faits, et que nous pourrons verser une prime pour ces travaux. Si le contrôle est réalisé a posteriori, pour des travaux mal faits, c'est déjà trop tard. Nous n'allons pas retirer la prime déjà versée à un ménage qui l'aurait reçue. La massification de l'utilisation de tels outils nécessite de continuer à travailler non pas sur les sanctions a posteriori, mais à travailler à une meilleure professionnalisation de l'ensemble des acteurs qui interviennent dans cet écosystème : obligés, délégataires, mandataires, éligibles. Peu importe le modèle économique des acteurs. Nous devons être sûrs que ceux qui constituent des dossiers de demande de CEE, qui sont très complexes, qui nécessitent du savoir-faire, des technologies, une étude de la réglementation, etc., établissent un référentiel qui pourra sécuriser l'ensemble des acteurs. Ainsi, une fois la demande déposée, il n'y aura aucune raison de rencontrer des problèmes et d'être soumis à des contrôles.

Nous sommes l'un des membres fondateurs de l'association des professionnels intermédiaires certificateurs de CEE. Nous travaillons sur la construction d'un référentiel qui permette d'identifier la professionnalisation des acteurs intermédiaires et qui permette de les auditer et les certifier, de manière à réellement sécuriser l'écosystème. Voilà qui est vraiment important. Les contrôles a priori sont la clef et la condition de la massification des CEE. Que tous les acteurs aient confiance en ces contrôles est crucial.

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