Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 9h30
Préenseignes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Le pire est que ton texte a des chances de passer. Soit, va pour les préenseignes.

Cela me fait penser à un garçon de chez moi, Pierre, qui, originaire de Paris, avait décidé d'installer un kiosque à pizzas à Flixecourt. Mon équipe avait géré ses problèmes d'eau ou d'électricité. Je ne m'en étais pas vraiment occupé mais je lui ai rendu visite pour déguster une pizza à neuf fromages. Il se tenait à l'écart de la rue principale, rue de Ville-le-Marclet, sur le parking de Speedwash – on ne pouvait pas tomber dessus par hasard. Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas installé de panneau dans la rue passante. Il m'a répondu qu'il attendait l'autorisation de la mairie, puis de la communauté de communes. Il a fini par obtenir une tolérance.

J'ai alors réfléchi. Tu as peut-être raison, Richard : il se peut qu'il existe une publicité de classe. Il est possible que la publicité des villes, des multinationales, des riches, soit acceptée et même encouragée, bien qu'elle soit diffusée sur des écrans géants, consommant de l'électricité et provoquant une pollution visuelle, alors que le Grenelle de l'environnement a interdit la publicité des champs, gratuite, celle de l'artisan du coin. Peut-être, en effet, n'est-ce pas juste. Cela étant, le risque est grand d'ouvrir la boîte de Pandore à toutes les franchises et filiales. Le « fait maison » est un concept flou qui ne garantit rien puisque ce n'est pas un label. Tous les Buffalo Grill se précipiteront dans la brèche. D'ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental s'est prononcé à l'unanimité contre cette mesure. J'attends des débats qu'ils me donnent la garantie que les filiales ne profiteront pas de la situation car, pour l'heure, le « fait maison » ne me semble pas suffisant.

Je préférerais te rallier à une croisade pour le beau, qui est peut-être une cause perdue, mais il y a de belles causes perdues. La lutte contre les panneaux Publicis et JCDecaux permettrait de faire reculer la publicité, cette laideur de la société, dans nos villes et dans nos cerveaux. Est-il normal de tolérer, à l'entrée de nos villes, toutes ces boîtes à chaussures et ces panneaux situés dans tous les sens ? Cela participe de la dépression de notre pays. On ne se sent pas respecté lorsque cette laideur environnante est tolérée. Quel au-delà nous est alors offert ? La voiture, les téléphones et l'écran haute définition comme transcendance et comme espérance ? Le paradis, serait-ce Auchan, Casino ou Carrefour, qui sont surtout les champions du paradis fiscal ? Ils nous vendent leur camelote et touchent leurs dividendes, tout en se réfugiant dans des hôtels particuliers du septième arrondissement de Paris, qui est très préservé. Ils ont des villas à Saint-Tropez, des chalets à Megève et des îles dans le Pacifique. Ils vivent dans des écrins préservés de cette saleté et de cette laideur. Non seulement ton texte ne touche pas à cette situation, mais il nous interdit d'y toucher. Nous avions déposé des amendements en ce sens, mais ils ont été retoqués comme autant de cavaliers législatifs.

Je tiens à lancer un cri d'alarme. Un inspecteur des sites, dont la fonction est la surveillance de la protection des sites classés, est venu me rencontrer à ma permanence pour me prévenir qu'à l'ombre de Notre-Dame de Paris, on est en train de détricoter des milliers de sites classés. Depuis 1906, grâce au député Charles Beauquier, qui avait oeuvré pour qu'il ne soit pas touché à une cascade dans le Doubs, dans laquelle il était prévu d'installer une conduite forcée, il faut la signature du ministre pour autoriser des aménagements dans des sites classés. Désormais, au nom de la déconcentration ou de la décentralisation, la signature du préfet sera suffisante. Jusqu'à maintenant, m'a dit l'inspecteur, neuf projets sur dix étaient abandonnés d'avance, qu'il s'agisse de l'installation d'un héliport, d'un spa, d'un terrain de golf ou d'un hôtel cinq étoiles : la signature du ministre donnant une dimension politique au projet, les auteurs d'un projet se décourageaient d'avance. En revanche, le préfet sera beaucoup plus sensible aux pressions des notables : c'est pourquoi les aménageurs attendent désormais que la mesure soit mise en oeuvre, dans les semaines ou les mois à venir. Ils pourront ainsi installer avec une plus grande facilité leurs éoliennes ou leur spa en face du Mont Saint-Michel.

Voilà le nouveau paysage qui attend la France ! Cet inspecteur, qui avait fait un long déplacement pour me rencontrer, a évoqué l'effet dévastateur de ce cadeau fait aux aménageurs.

Nous allons bien sûr examiner ta proposition de loi – nous avons déposé un amendement qui porte sur les filiales. J'espère toutefois, Sancho, te voir reprendre ta lance et ton destrier pour le beau et le bon, contre les moulins à vent des multinationales et, parfois, contre ceux du Gouvernement.

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