Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi portant création d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse. Ce véhicule législatif permet la transposition de l'article 15 de la directive sur le droit d'auteur, adoptée le 26 mars dernier par le Parlement européen. Nous nous réjouissons de son aboutissement car, comme cela a été dit, ce texte était très attendu, d'autant plus qu'il était en discussion depuis 2016.

La création de ce droit ne pouvait se faire qu'au niveau communautaire, compte tenu de l'ampleur de la problématique. Les États membres de l'Union se trouvent tous confrontés aux nouveaux usages et à la rupture des modèles économiques en matière de presse. Nous nous réjouissons donc que l'Union européenne ait pu faire aboutir un tel texte, qui pourra bénéficier à l'ensemble du secteur. C'est une belle victoire européenne, dont il est symbolique de discuter aujourd'hui, 9 mai, journée de l'Europe.

L'établissement d'un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse est devenu une urgence, car le secteur de la presse connaît, depuis plusieurs années, un bouleversement de la chaîne de valeur, dû notamment à la révolution numérique. Comme vous le savez, un éditeur de presse ne dispose que de deux sources de revenus : la vente de journaux et la publicité. D'une part, la vente de journaux est en constante diminution. Alors que durant plus de vingt ans la vente de journaux s'était stabilisée autour de 7 milliards d'euros par an, les ventes ont diminué depuis 2009, les ventes atteignant moins de 4 milliards par an aujourd'hui. D'autre part, entre 2016 et 2017, la part du marché publicitaire de la presse a diminué de 7,4 %, alors que, dans le même temps, la part captée par internet a augmenté de 12 %.

Avec la transposition de l'article 15 de la directive, il s'agit donc d'accompagner les éditeurs et les agences de presse dans leur adaptation au numérique et aux nouveaux usages. En effet, ceux-ci ont pris la mesure de la transformation et se sont lancés dans la transition numérique de leur modèle, tant et si bien que la vente de formats numériques a presque compensé la diminution de la vente des formats papier. Mais, comme chacun le sait, la presse numérique est bien moins rémunératrice que la presse papier.

Le droit voisin est déjà attribué depuis 1985 à des personnes physiques ou morales comme les artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, et les entreprises de communication audiovisuelle. Il rémunère, à ce titre, les investissements humains, financiers et technologiques dans ces secteurs. Le contexte que nous avons décrit commandait l'établissement de ce droit économique au bénéfice des agences et éditeurs de presse. Cela consacre in fine le rôle que joue le droit voisin dans la sauvegarde des droits patrimoniaux.

À ce titre, nous nous réjouissons que la commission ait précisé la définition de l'éditeur de presse en se référant à la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse – nous avions d'ailleurs déposé un amendement en ce sens.

L'établissement d'un droit voisin implique que le droit d'autoriser et d'interdire soit rémunéré de manière équitable. Cette capacité pour l'éditeur et l'agence de presse d'autoriser ou d'interdire est fondamentale, dans le sens où elle permet l'émergence de partenariats équilibrés, notamment avec les plateformes du numérique, et un meilleur partage de la valeur produite. Mais il fallait également renforcer son pendant économique.

Les dispositions du présent texte consacrent ainsi le droit voisin du droit d'auteur, mais également l'effectivité de ce droit, par la possibilité de confier l'administration de celui-ci à un système de gestion collective, système similaire à ce qui se fait dans d'autres secteurs. Avec le droit voisin, les éditeurs et les agences de presse, grâce à l'équilibre que permet la protection de leurs droits patrimoniaux, pourront enfin entamer une coopération sur des bases saines avec les plateformes en ligne utilisant leurs contenus. Cette coopération pourra s'épanouir au-delà de la simple rémunération de l'utilisation de contenus, en concluant des partenariats, notamment sur l'échange de données, dans une relation « gagnant-gagnant ».

Nous saluons donc les débats en commission, qui ont permis d'enrichir ce texte, et nous avons bon espoir que les débats dans l'hémicycle seront aussi fructueux. Dans cette optique, nous défendrons deux amendements visant à introduire la mise à disposition des publications de presse dans la rémunération due au titre des droits voisins. En effet, la rédaction actuelle de l'alinéa 11 de l'article 3 ne comprend que la reproduction et la communication au public des publications de presse. Nous craignons que le web crawling – ou exploration permanente du web – passe entre les mailles du filet. Les crawlers indexent les contenus de presse, les archivent parfois, et les diffusent ensuite auprès de leurs propres clients sous forme de panoramas de presse structurés. Ce phénomène détruit de la valeur puisqu'il ne renvoie pas sur le site internet de l'éditeur ni ne le rémunère pour l'utilisation de ses publications. Le crawling est un marché en expansion, qui représente plusieurs dizaines de millions d'euros dans la vente de panoramas de presse. Par conséquent, si nous voulons établir un droit voisin efficace dans la sauvegarde des droits patrimoniaux des éditeurs et des agences de presse, il convient que nous prenions en compte, au sein du texte de loi, la mise à disposition des publications de presse qui se trouvent au coeur de certains modèles d'affaire du futur.

Des travaux en commission, il subsiste tout de même quelques points, monsieur le rapporteur, que vous vous êtes engagé à préciser. Dans l'optique d'une répartition plus juste de la valeur produite, il convient de rappeler que l'éditeur de presse ne se contente pas seulement de publier un contenu, il est responsable de l'ensemble des opérations de production d'un journal. L'éditeur de presse se doit de faire évoluer son modèle économique et, pour ce faire, d'élaborer une stratégie nécessitant des investissements de long terme. Comme dans tout modèle économique, cette prise de risques n'est soutenable que si le partage de la valeur est équitable et que le droit voisin prend en compte à leur juste valeur les investissements humains, technologiques et financiers. Ces notions doivent être rappelées, tout comme la place du journaliste et celle de la presse d'information politique et générale, en veillant toutefois à ce qu'aucun type de presse, genre de publications – presse écrite, texte ou photographie – ou type d'agence ne puisse être exclu du dispositif ; ces acteurs doivent, au contraire, bénéficier de la capacité de négociation de ceux qui pèsent le plus lourd. Enfin, il est fondamental de prévoir un dispositif en cas d'absence d'accord entre les parties. Je ne doute pas que nos débats dans l'hémicycle nous permettront de trouver les rédactions opportunes.

Il nous faudra également aborder la question des exceptions au droit voisin. À ce titre, j'ai bon espoir que nos débats puissent nous éclairer sur la manière d'aborder la notion « d'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d'une publication de presse », sans toutefois aboutir à une définition qui pourrait s'avérer contre-productive dans la pratique.

Enfin, si nous nous réjouissons que la directive ait été adoptée après tant d'attente et que la transposition de l'article 15 puisse se faire le plus rapidement possible, nous souhaitons appeler l'attention du Gouvernement sur le fait qu'il y a également urgence à adopter la totalité des dispositions de la directive sur le droit d'auteur. Nous avons été surpris par la volonté du Gouvernement d'introduire au dernier moment, par l'intermédiaire du présent véhicule législatif, une disposition permettant la mise en conformité avec le règlement établissant des règles sur l'exercice du droit d'auteur et des droits voisins applicables à certaines diffusions en ligne d'organismes de radiodiffusion et retransmissions d'émissions de télévision et de radio, ou règlement « CabSat ». Cette disposition a été rejetée, car elle constituait un cavalier législatif. Cela montre toutefois qu'il y a bien urgence. Personne ne comprendrait que le Gouvernement ne mette pas la même célérité à adopter l'ensemble des dispositions de la directive sur le droit d'auteur, ainsi qu'à transposer la directive sur le service des médias audiovisuels ou directive « SMA ». Ce découpage en tranches, sans calendrier, est légitimement inquiétant, mais, monsieur le ministre, je pense que vous nous rassurerez sur ce sujet.

Notre groupe aborde bien sûr favorablement l'examen de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur. Attendue, elle participe d'une répartition plus juste et équitable de la richesse produite dans le secteur de la presse. Nous ne pouvons que saluer votre engagement sur ce texte, ainsi que l'esprit d'ouverture et d'écoute dont vous avez su faire preuve au cours de nos échanges.

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