Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

L'autre préoccupation du groupe La France insoumise au sujet de votre texte porte sur le pouvoir de sélection des informations donné aux plateformes numériques. Au demeurant, nous ne sommes pas les seuls à émettre des doutes à ce sujet.

Au mois de septembre dernier, le journaliste Sylvain Rolland s'inquiétait qu'une telle mesure ne soit efficace qu'à « court terme » et qu'elle ne finisse « par renforcer les GAFA », indiquant qu'« impose[r] aux géants du Net de payer une redevance aux médias pour pouvoir afficher des extraits et des liens, pourrait avoir l'effet pervers de renforcer la ''plateformisation''… autour des GAFA. Si l'UE leur impose de payer une redevance pour pouvoir utiliser des liens qui renvoient vers les sites des médias, pourquoi ne tenteraient-ils pas d'héberger eux-mêmes les contenus ? C'est déjà la démarche de Facebook avec Instant Articles, par exemple, et celle-ci pourrait rapidement se déployer ».

Certains experts considèrent que le mécanisme de rémunération pourrait même devenir très rapidement obsolète. Tel est le cas de Guillaume Champeau, spécialiste des questions d'éthique en matière numérique. Il interroge : « Croyez-vous que Google et Facebook vont accepter de payer les éditeurs de presse pour avoir le droit de renvoyer leurs utilisateurs vers chez eux ? Ce serait d'une absurdité totale. Le texte ne va que les convaincre [... ] de forcer les éditeurs de presse à héberger directement leurs contenus sur les plateformes de Google, Apple et Facebook. Non seulement Google évitera de payer, mais il demandera aux éditeurs de presse de le payer lui pour bénéficier du service d'hébergement. La presse aura-t-elle un autre choix possible alors qu'elle dépend déjà très souvent du trafic apporté par ces plateformes, et que l'émergence de plateformes alternatives est tuée dans l'oeuf par des coûts que beaucoup jugeront sûrement insurmontables ? »

Outre l'aspect financier, c'est l'indépendance des médias vis-à-vis des plateformes qui est en jeu. Elle n'est pas garantie par la présente proposition de loi. L'association La Quadrature du Net le déplore. Dans un communiqué, elle indique : « [Les éditeurs de presse] exigent aujourd'hui que Facebook et Google les financent en les payant pour chaque extrait d'article cité sur leur service. Mais quand les revenus du Monde ou du Figaro dépendront des revenus de Google ou de Facebook, combien de temps encore pourrons-nous lire dans ces journaux des critiques de ces géants ? Plutôt que de s'adapter, les éditeurs de presse préfèrent renoncer entièrement à leur indépendance ».

Il est vrai que la création d'un lien de dépendance financière entre les plateformes numériques et les géants du web risque de pénaliser certains médias. On l'a constaté en Espagne, dont le Parlement a adopté des dispositions similaires, transposant l'article 15 de la directive sur le droit d'auteur. Aussitôt, Google Actualités a suspendu sa diffusion dans ce pays, ce qui a sérieusement porté atteinte au rayonnement des médias espagnols.

Il faut transformer le modèle économique des médias du tout au tout. Il est très fragile. Il faut donc trouver un moyen de financer les médias de façon pérenne, indépendamment des plateformes et en s'assurant que les GAFA ne puissent interférer dans le choix des contenus diffusés.

Le directeur-adjoint de L'Express, Éric Mettout, formule une critique intéressante de la façon dont les médias ne parviennent pas à se financer autrement et à améliorer leur indépendance. Il dit : « Ces grands médias [… ] traversent une crise économique, mais aussi [… ] existentielle : si on les achète moins, c'est qu'on les lit moins ; si on les lit moins, c'est parce que leurs lecteurs, les plus jeunes d'abord, vont désormais chercher l'information ailleurs. [… ] Pour de "bonnes" raisons, du point de vue des lecteurs qui les ont abandonnés : les journaux ne satisfont plus leur besoin d'exhaustivité, de nouveauté et d'interactivité, ils sont contestables et contestés, pourquoi les croirait-on, et pourquoi paierait-on pour ne pas les croire ? Avant de réclamer le soutien des technocrates européens, c'est à ces questions que la presse devrait s'efforcer de répondre – et qu'elle ne répond pas, ou mal ».

Ces contributions nous apprennent qu'il existe un véritable risque que les plateformes finissent par détenir un pouvoir de sélection des informations exorbitant. Nous avons donc proposé d'amender le texte afin d'assurer le respect du principe de neutralité du Net. Pour ce faire, les plateformes seraient soumises à des obligations nouvelles en matière de pluralité des opinions, de diversité culturelle, d'absence de discrimination entre les formes d'expression et les contenus partagés ainsi qu'entre les conditions économiques d'accès aux plateformes, et de mise en place de conditions d'interopérabilité avec les plateformes optimales.

Sans ces garde-fous, nous courons le risque d'une hégémonie des GAFA s'agissant du choix des contenus. Nous ne pouvons l'accepter.

La majorité présidentielle se targue de mener une lutte sans merci contre les GAFA. Or, du point de vue fiscal comme du point de vue de l'indépendance des médias vis-à-vis des plateformes – notamment en ligne – , le compte n'y est pas du tout.

Nous proposerons donc d'améliorer le texte par le biais de nos amendements, qui le rendront cohérent avec les arguments que je viens de développer. Si la proposition de loi devait rester en l'état, le groupe La France insoumise voterait contre.

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