Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Le 15 avril dernier, les États membres de l'Union européenne ont formellement adopté une nouvelle directive sur le droit d'auteur, à l'issue de longues et complexes négociations. Certes, l'unanimité n'a pas été acquise, mais nous pouvons nous féliciter d'être parvenus à un accord, ainsi que du rôle majeur joué par la France dans ce succès.

Désormais, l'enjeu principal réside dans les transpositions de la directive dans le droit national de chaque État-membre. Il incombe au Parlement – ainsi qu'à vous-même, monsieur le ministre – de tout mettre en oeuvre pour que la France se dote d'une législation particulièrement ambitieuse en matière de protection des droits d'auteur.

Dans cette perspective, le groupe Libertés et territoires ne peut que se féliciter que le législateur prenne l'initiative de défendre les intérêts des agences et éditeurs de presse face aux géants du numérique, par le biais de la proposition de loi déposée au Sénat par le groupe socialiste et républicain, et défendue aujourd'hui par le groupe MODEM et apparentés.

Je veux ici saluer le combat de longue date de notre rapporteur Patrick Mignola, qui, il y a tout juste un an, défendait dans cet hémicycle une proposition de loi similaire.

Deux impératifs doivent selon nous guider notre travail législatif. La transposition nationale doit être aussi proche que possible de la directive européenne : les longues négociations – près de trois ans ! – qui ont conduit à un accord européen ne doivent pas être vaines, et nous nous devons de parvenir à une législation efficace. Et notre réponse nationale doit s'inscrire dans une logique d'harmonisation européenne : il apparaît en effet impensable de légiférer sur cette question de manière isolée, sans tenir compte de nos partenaires, eu égard notamment à la puissance des entreprises transnationales auxquelles font face les agences de presse et les éditeurs de presse.

Au fond, mes chers collègues, il s'agit avec cette proposition de loi de protéger la presse contre la captation de ses revenus par les géants du web – et donc de protéger la liberté de la presse. Cela a déjà été dit : l'avènement d'internet, des plateformes numériques et des réseaux sociaux a profondément bouleversé notre rapport à la presse et aux médias ; en particulier, la diffusion sans frais et quasi-instantanée des publications de presse empêche malheureusement leurs auteurs de faire valoir leurs droits à une rémunération juste et, de manière plus générale, à la reconnaissance de leur travail. Pourtant, le numérique et la diffusion exponentielle des oeuvres sur internet engendrent des revenus importants pour les grandes plateformes de diffusion. Tout l'enjeu est donc désormais de permettre aux créateurs de contenus de percevoir une plus grande partie des revenus issus de la diffusion de leurs productions et leurs oeuvres.

Au-delà du principe de juste rémunération, au-delà de la réaffirmation du principe de propriété intellectuelle littéraire et artistique, c'est de la survie même de la presse qu'il est question ici.

En effet, ces plateformes, ces « infomédiaires » qui se placent entre les producteurs d'information et les internautes, tirent un grand profit des contenus qu'ils ne produisent pas, et dont ils ne supportent pas les charges. Ce faisant, les géants du web que sont Google, Facebook ou encore Twitter menacent nos médias nationaux et locaux, ainsi que les agences et éditeurs de presse, qui investissent des moyens considérables au service de l'information, et qui emploient des journalistes mais aussi des photographes et bien d'autres acteurs encore. En ce sens, notre travail s'inscrit finalement dans le prolongement du projet de loi pour la création d'une taxe sur les services numériques, dont nous avons discuté récemment, et que notre groupe a soutenu.

Mettre en place un droit voisin au bénéfice des éditeurs et des agences de presse, c'est leur octroyer le droit d'autoriser, contre rémunération ou non, ou bien d'interdire toute reproduction ou communication de leurs publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. C'est également oeuvrer à un partage plus équilibré de la valeur créée par la diffusion de l'information sur internet. Aujourd'hui, en effet, les agences et les éditeurs de presse sont dépourvus d'un levier efficace leur permettant de faire valoir ces droits.

Aussi le groupe Libertés et territoires approuve-t-il l'objectif de ce texte ; nous partageons la volonté de ses auteurs de renforcer le pouvoir et les outils de ces acteurs, en particulier face aux géants que sont les GAFAM.

La gestion collective, à l'instar de ce qui est pratiqué dans le domaine musical avec la SACEM par exemple, semble être une réponse adaptée : cette pratique courante a fait preuve de son efficacité. Un tel système permettrait aux agences et éditeurs de presse de confier l'administration de leurs droits à des organismes afin que ceux-ci négocient les autorisations d'utilisation, perçoivent les redevances et les redistribuent.

La réponse proposée par le texte nous semble aller dans le bon sens, et notre groupe soutiendra donc cette initiative. Nous saluons également les avancées qui ont eu lieu en commission : je songe principalement aux amendements déposés par M. le rapporteur et d'ailleurs cosignés par mes collègues Sylvia Pinel et Jeanine Dubié. Ils ont entre autres permis de préciser la définition des éditeurs de presse.

Il nous semblait également nécessaire de préciser que les hyperliens et les très courts extraits sont exclus du droit voisin, bien que cette question soit en réalité complexe. Nous comprenons la volonté du rapporteur de ne pas vouloir donner à ces fameux snippets une définition figée dans la loi, au risque de pénaliser finalement les éditeurs de presse. Nous vous rejoignons toutefois sur la nécessité d'insister sur une appréciation qualitative, et non quantitative, de ces « très courts extraits ».

D'autres améliorations sont encore possibles. C'est pourquoi notre groupe soutiendra l'amendement déposé visant à créer une commission ad hoc chargée de prendre une décision dans le cas où les éditeurs de presse et les plateformes ne parviendraient pas à trouver d'accord.

Cependant, des questions et des doutes persistent, et j'espère que nos débats aujourd'hui permettront de les éclaircir.

Ils concernent tout d'abord la durée des droits voisins. Ce sujet a particulièrement nourri les discussions. Alors qu'elle était initialement fixée à cinq ans, vous avez choisi en commission de la ramener à deux ans, afin de vous aligner sur la directive européenne. Mais comment pouvons-nous être sûrs que cela sera suffisant ? Traditionnellement la durée des droits patrimoniaux des titulaires des droits voisins est de cinquante ans, mais nous comprenons bien que l'obsolescence des articles d'actualité est plus rapide. Cependant, qu'en est-il des photographies, par exemple, dont le caractère éphémère est bien moins évident ?

En outre, le rapporteur au Sénat a fait part du risque que fait courir le caractère facultatif de l'adhésion aux sociétés de gestion des agences et éditeurs. Ces derniers pourront en effet céder gracieusement leurs contenus afin de bénéficier d'un référencement plus favorable et donc plus rémunérateur sur les plateformes : n'y a-t-il pas là un risque que la loi ait finalement l'effet inverse à celui recherché ?

Le dernier sujet concerne la rémunération et la redistribution. D'une part, comment s'assurer de la redistribution effective des redevances captées par les organismes de gestion collective ? D'autre part, le texte ne dit rien de la rémunération, dont le barème et les modalités de versement sont fixés par voie de convention. Nous saluons l'amendement adopté en commission qui précise que la rémunération est assise sur les recettes de l'exploitation de toute nature, directes ou indirectes. Mais il faut aller plus loin en précisant certains critères pour déterminer une rémunération juste. Je pense par exemple à des critères comme les moyens investis, la contribution au débat public et l'audience.

Cela reviendrait à mettre en avant la presse d'information politique et générale, et donc à valoriser la presse qui investit et qui défend la démocratie. C'est essentiel. J'espère que le Gouvernement sera favorable à une telle évolution, et notre groupe sera particulièrement attentif à votre réponse sur ce point, monsieur le ministre.

Derrière la survie économique de la presse et des journalistes, nul besoin de vous rappeler qu'il est évidemment question de liberté de la presse, de pluralisme des médias, et par conséquent de notre démocratie et des démocraties européennes.

Hormis ces quelques questions sur des points précis, cette proposition de loi va donc globalement dans le bon sens, et notre groupe y est favorable.

Nous devons toutefois garder à l'esprit que la transposition nationale de la directive européenne, dont l'enjeu est bien la mise en place d'un marché unique numérique cohérent et solide, se fera en plusieurs étapes. Aujourd'hui nous avons l'opportunité de faire aboutir la première d'entre elles : celle des droits voisins pour les agences et éditeurs de presse.

Mais tout n'est évidemment pas réglé. Le groupe Libertés et territoires sera particulièrement attentif à la réforme de l'audiovisuel public, qui doit être présentée cet été, et qui devrait contenir d'autres dispositions de la directive européenne sur le droit d'auteur.

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