Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Droit voisin au profit des agences et éditeurs de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Nous débattons donc aujourd'hui, à l'initiative du groupe MODEM – initiative très largement soutenue au sein de cette assemblée – , d'une proposition de loi créant un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse.

Cette proposition de loi – défendue au Sénat par David Assouline, qui était ce matin encore assis dans les tribunes de cet hémicycle – a été adoptée à la quasi-unanimité par la Haute Assemblée ; elle constitue le véhicule législatif adapté pour transposer rapidement l'article 15 de la directive européenne révisée relative au droit d'auteur dans le marché unique numérique, qui vient tout juste d'être définitivement adoptée après plusieurs années de laborieuses et complexes négociations au sein des institutions européennes.

J'avais pu, en tant que députée européenne membre de la commission des affaires juridiques, apporter ma modeste mais déterminée contribution à ces longues discussions. J'avais eu l'occasion de le dire l'année dernière : l'article 11 initial de la proposition de directive était loin de soulever un enthousiasme démesuré, et il a fallu batailler pour le maintenir dans le texte, et plaider longuement pour le bien-fondé de la création de ce droit voisin. Dans ce moment de mobilisation générale, nous avons, les uns et les autres, été amenés à prendre souvent position sur ce sujet – et de manière très sonore.

C'est dire dans quel esprit constructif et coopératif le groupe Les Républicains a abordé ce sujet et pris toute sa part dans le travail de transposition très fidèle de l'article 15 de la directive européenne révisée.

Je ne reviendrai pas en détail sur un épisode que nous continuons à juger malheureux – le renvoi en commission, voté par le groupe La République en marche, de la première proposition de loi présentée par notre rapporteur. À l'époque déjà, le groupe Les Républicains avait défendu la pertinence de la création du droit voisin et soutenu l'initiative du rapporteur, dont je salue l'opiniâtreté et la constance dans ce combat.

Nous avions alors qualifié la création de ce droit voisin d'urgence économique et démocratique. Nous maintenons cette analyse. On ne dira jamais assez le rôle clé d'une presse libre, indépendante, pluraliste et économiquement viable dans la bonne santé du débat public et de nos démocraties.

L'une des difficultés majeures auxquelles est aujourd'hui confrontée la presse tient à l'utilisation massive et systématique des contenus journalistiques par certains agrégateurs d'informations, sans rémunération ni autorisation préalable. Cette pratique a des conséquences très graves sur l'audience de la presse en ligne, sur les ventes de contenus ainsi que sur les revenus publicitaires. C'est donc toute l'architecture du financement de la presse – éditeurs et agences – qui se trouve ainsi mise en péril.

Dans un paysage médiatique révolutionné par l'irruption fracassante des géants de l'internet, qui ne respectent pas les règles valant pour d'autres et captent la quasi-totalité de la valeur créée, il est urgent d'assurer à la presse les moyens de son développement et de son indépendance économiques.

L'instauration d'un droit voisin, permettant de rémunérer la diffusion des contenus en ligne, a donc pour objectif de rééquilibrer les rapports de force entre les plateformes et les producteurs de contenus, qu'ils soient éditeurs ou agences de presse. Ces derniers doivent pouvoir financer les investissements importants nécessaires pour continuer à fournir des contenus de qualité et rémunérer des journalistes professionnels fiables, dont le rôle est essentiel pour réfuter les infox et autres manipulations de fausses informations ou encore faire du fact checking, en période électorale comme en dehors. Les éditeurs de presse doivent aussi disposer des moyens de s'adapter au monde numérique, adaptation à laquelle ils travaillent depuis longtemps déjà en faisant preuve d'innovation.

La directive européenne créant le droit voisin est bienvenue. Particulièrement en cette journée de l'Europe, nous sommes heureux de nous livrer ensemble à ce premier exercice de transposition rendu possible par le travail du Sénat et par la détermination de notre rapporteur, que le groupe Les Républicains a eu à coeur d'encourager et d'accompagner.

Tous les débats sur cette proposition de loi n'ont pas été clos en commission. Nous défendrons donc quelques amendements, notamment sur la limitation des exceptions pour les hyperliens, sur l'assiette du droit voisin, ainsi que sur le point de départ du délai de protection des droits.

Je présenterai également un amendement sur un point qui nous tient particulièrement à coeur. Puisque nous sommes réunis pour transposer une partie importante certes, mais une partie seulement, de la directive sur le droit d'auteur, nous proposons, peut-être de manière imparfaite mais avec une détermination sans faille, de transposer l'article 17 relatif au droit d'auteur qui oblige les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne à rémunérer ceux qui produisent les contenus culturels dès lorsqu'ils les mettent à disposition du public.

Ce matin, Mme la ministre Jacqueline Gourault, qui s'exprimait au nom du Gouvernement en votre absence, monsieur le ministre, a réitéré l'engagement à opérer une transposition rapide dans le cadre du projet de loi relatif à l'audiovisuel public. Le calendrier d'examen de ce texte suscite cependant quelques doutes quant à la rapidité du processus. Pourtant, la transposition de l'article 17 nous semble tout aussi urgente que celle de l'article 15. J'insiste sur la nécessité de le faire sans attendre un autre véhicule législatif qui peut nous emmener dans des temps lointains. Le Gouvernement semblait lui-même conscient de la nécessité d'aller vite puisqu'il avait tenté d'inscrire dans cette proposition de loi une partie du règlement « CabSat ».

Pour défendre la création, la diversité culturelle et une certaine idée de l'Europe, de la grandeur et de la civilisation européenne, il y a urgence à avancer tant sur le droit voisin – c'est ce que nous faisons aujourd'hui – que sur d'autres aspects du droit d'auteur, en particulier sur le principe de juste rémunération des artistes et des créateurs.

Le groupe Les Républicains apporte néanmoins son soutien dès aujourd'hui, comme nous l'avons fait il y a un an, à la création d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse.

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