Intervention de Erwan Balanant

Séance en hémicycle du jeudi 9 mai 2019 à 15h00
Interdiction effective de la pêche électrique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant, rapporteur :

C'est un grand honneur pour moi de vous présenter cette proposition de loi précisément aujourd'hui où nous célébrons la journée de l'Europe.

Ce texte s'inscrit dans le cadre d'une proposition de règlement « relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques » adoptée le 16 avril dernier au Parlement européen par une majorité écrasante de 571 voix contre 60. La discussion de ce texte se place sous le signe d'une Union européenne efficace et protectrice, sur le plan social comme environnemental, et d'une représentation nationale capable de saisir les opportunités que lui offre cette Europe.

Au terme d'un combat associatif et politique acharné, cette proposition de règlement interdit, à compter du 1er juillet 2021, la pêche électrique dans les eaux de l'Union européenne. Ce texte nous permet de proscrire cette technique de pêche dans notre mer territoriale dès l'entrée en vigueur du règlement – pour les moins marins d'entre nous, je rappelle que la mer territoriale, ce sont les 12 milles marins qui bordent notre littoral.

En 2018, notre assemblée s'est montrée, sur ce sujet, plus unie et déterminée encore : le 6 mars dernier, nous adoptions à l'unanimité la proposition de résolution européenne de notre collègue Joachim Son-Forget relative à l'interdiction de la pêche électrique.

Le 30 avril dernier, c'est également à l'unanimité que la commission des affaires économiques a adopté la présente proposition de loi. Cette unanimité et cette efficacité illustrent ce que notre assemblée a de meilleur : sa capacité à dépasser les clivages partisans lorsque l'urgence écologique l'impose. La mobilisation d'associations de protection de l'environnement a ainsi trouvé un soutien ferme au sein de notre assemblée. En janvier 2018, une tribune publiée dans le journal Le Monde et signée par 249 députés réclamait l'interdiction de « cette pratique [qui] fait honte à l'Europe et [qui] nous décrédibilise sur la scène internationale ». Cette prise de position a eu une incidence décisive sur l'évolution du Parlement européen sur cette question. Depuis, nous avons toujours été déterminés pour faire interdire cette pratique, et 135 députés de tous bords se sont engagés, par leur signature, pour faire adopter la présente proposition de loi. Je les en remercie.

Permettez-moi, à présent, de vous rappeler ce qu'est la pêche électrique. La technique est violente : il s'agit de remplacer les chaînes des chaluts à perche par des électrodes, afin de faciliter, par l'envoi de décharges électriques dans la couche sédimentaire des fonds marins, le débusquage et la capture de poissons plats tels la sole, la plie ou la limande. Le courant utilisé, dit « impulsionnel bipolaire », provoque des convulsions d'une violence telle que 50 % à 70 % des cabillauds de grande taille ont la colonne vertébrale fracturée. Et cette méthode est qualifiée d'écologique par ses défenseurs ! Avec hypocrisie, ils soutiennent que l'efficacité de la pêche électrique et la légèreté des chalutiers employés nécessitent une moindre utilisation de carburant. Quelle plaisanterie ! Rentabilité et efficacité sont, certes, au rendez-vous, mais c'est au prix d'une absence totale de sélectivité qui conduit à détruire l'ensemble des écosystèmes touchés par le courant électrique, au prix d'une accentuation de la surpêche en mer du Nord.

De plus, la pêche électrique est en totale contradiction avec les principes de pêche durable qui fondent la politique commune de la pêche. En détruisant la ressource sans lui laisser le temps de se reconstituer, ceux qui pratiquent la pêche électrique scient la branche sur laquelle ils sont assis. Les pêcheurs néerlandais, principaux utilisateurs de cette méthode, ne parviennent plus à pêcher leurs quotas. Les poissons ainsi pêchés, souvent abîmés par le courant électrique, sont d'une qualité médiocre et de nombreux chefs cuisiniers, des distributeurs comme Intermarché ou Biocoop ou encore l'association Poissonnier de France ont renoncé à les proposer aux consommateurs.

Si elles sont sans doute moins connues que ses conséquences environnementales, les conséquences sociales de la pêche électrique pour les pêcheurs français ne sont pas moins graves. Pour cela, il faut rappeler dans quel cadre la pêche électrique a été autorisée dans les eaux européennes et qui s'y adonne. De nombreux pays, dont certains ne sont pas vraiment réputés pour leur souci de l'environnement, ont interdit depuis longtemps la pêche électrique : la Chine, les États-Unis, le Brésil, la Russie notamment. L'Union européenne en avait fait de même dans un règlement adopté en 1998, interdisant « l'utilisation d'explosifs, de poisons, de substances soporifiques ou de courant électrique » – la pêche électrique était donc mise sur le même plan que les poisons... On peut se demander comment elle a pu finir par être autorisée !

En 2007, néanmoins, l'article 31 bis du même règlement, a permis, de manière exceptionnelle et très encadrée, l'utilisation de cette technique. La pêche électrique a été alors autorisée, provisoirement, dans une zone strictement délimitée au sud de la mer du Nord. Chaque État membre pouvait équiper au maximum 5 % de sa flotte de chalutiers à perche d'électrodes et la puissance électrique, tout comme la tension du courant, étaient limitées.

Mais ce régime d'exception a été très largement outrepassé : les Pays-Bas – puisque c'est d'eux qu'il s'agit – n'ont respecté aucune de ces règles. Les Néerlandais sont presque les seuls à pratiquer cette pêche – hormis quelques navires britanniques, et quelques autres qui sont sous capitaux partiellement ou totalement néerlandais. Ainsi, quatre-vingt-quatre navires néerlandais sont équipés d'électrodes alors que la réglementation n'en autorise que quatorze.

Aucun navire français ne pratique la pêche électrique. En revanche, les pêcheurs français, et particulièrement les pêcheurs artisanaux du nord de la France, subissent, du fait de l'efficacité radicale des chalutiers électriques, une concurrence déloyale aux conséquences sociales et économiques tragiques. Les pêcheurs des Hauts-de-France ont ainsi constaté une diminution drastique des stocks de soles auxquels ils ont accès : en 2018, 213 tonnes de soles seulement étaient débarquées à la criée de Boulogne-sur-Mer, contre 706 tonnes en 2008. Le combat est inégal : face à des navires de petite taille et à des pêcheurs attachés à un territoire se dressent des navires très mobiles qui vident une zone puis partent un peu plus loin, laissant derrière eux un écosystème dévasté.

Ne nous y trompons pas, derrière la question de la pêche électrique se pose celle du modèle de pêche, et de gouvernance du secteur, que nous souhaitons. Je plaide évidemment, avec l'ensemble du groupe MODEM, pour la défense d'une pêche à taille humaine, ancrée dans une économie territoriale et créatrice d'emplois.

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