Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du vendredi 10 mai 2019 à 9h30
Restauration de notre-dame de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

… comme si ces deux objectifs, tous deux d'importance, pouvaient être traités de la même manière. Les hypothèses quant à la durée de la reconstruction varient : 5, 10, 15 ans ou plus, en fonction de l'évaluation des dommages, et selon le projet qui sera porté et les techniques qui seront utilisées. À cet égard, je veux redire ici que la discussion sur ce qu'il conviendrait de faire pour remplacer la flèche de la cathédrale ne nous paraît pas devoir entrer dans cette discussion.

Je me trouvais, samedi, dans un collège de ma circonscription, où une enseignante a proposé à l'ensemble de ses élèves, après une longue discussion, de se prononcer sur la proposition de reconstruction, à l'identique ou non, de la flèche ; sans surprise, une petite majorité de ces jeunes élèves a voté en faveur de l'identique, exprimant un attachement à des valeurs classiques en matière de patrimoine. Cela reflète probablement la position de la société française, mais l'intérêt que peut avoir ce petit sondage, effectué à des fins pédagogiques, en classe, n'est pas reproductible à l'échelle du Parlement, voire du pays : la question de l'authenticité qu'il conviendrait de conserver et de transmettre aux générations futures, toute philosophique qu'elle soit, n'est pas celle que nous devrions nous poser.

Comme cela a été dit, je crois, pendant nos débats en commission, l'incendie, aussi terrible fût-il, est dorénavant constitutif de l'ADN de Notre-Dame, et la manière dont il sera traité dira notre capacité à penser le rôle de l'architecture dans notre quotidien, dans le lien sensible qu'elle peut créer entre les hommes. « N'effaçons pas la complexité de la pensée qui doit entourer ce chantier derrière un affichage d'efficacité » : c'est, en substance, le message fort que ces spécialistes de notre patrimoine nous ont adressé. Nous avons néanmoins beaucoup d'atouts qui devraient faciliter cette reconstruction, à commencer par les inventaires actualisés de 800 ans d'histoire parfaitement à jour, grâce auxquels les hommes d'aujourd'hui peuvent suivre le cheminement architectural et intellectuel des bâtisseurs successifs de Notre-Dame. Cela ne plaide pas pour autant en faveur d'une précipitation sous la pression médiatique.

Les spécialistes craignent aussi que cette loi de circonstance ne crée des conditions d'exception en matière de rénovation du patrimoine. Nous déplorons, comme eux, et à l'instar de plusieurs groupes parlementaires, que le Gouvernement ait choisi de mettre en place, à l'article 9, de trop nombreuses mesures dérogatoires au droit commun, en matière d'urbanisme, d'environnement, de marchés publics, de voirie – la liste est longue. Au moment où l'enjeu environnemental doit être au coeur de nos politiques publiques, il nous semble primordial que les règles soient scrupuleusement respectées et que la rénovation s'appuie sur les nombreuses compétences réunies au sein du ministère de la culture, en concertation avec l'Ordre des architectes, la Fédération des professionnels de la conservation-restauration et l'ensemble de la communauté scientifique.

Face à l'émotion qui a dépassé les frontières, la France souhaite ouvrir une coopération internationale, et plus précisément européenne, afin de partager les savoir-faire et les compétences. L'idée est séduisante. Les dons venant de l'étranger s'élevaient déjà, il y a quinze jours, à 24 millions d'euros. Nous sommes favorables à un mécanisme permettant une solidarité nouvelle en matière de patrimoine, sous réserve d'une grande vigilance quant à la provenance de ces fonds. L'élan de solidarité que nous avons constaté ne pourrait s'accommoder d'argent sale : soyons vigilants. L'effort collectif et européen qui s'annonce sous l'égide de l'ancienne maître architecte de la cathédrale de Cologne témoigne, là encore, d'une nouvelle prise de conscience, au sein de la société civile et du monde politique, de la valeur propre du patrimoine – un autre bien commun aux frontières plus floues.

Depuis leur origine, les lois sur les bâtiments historiques ont toujours eu pour objet principal de protéger. Elles sont universelles, loin de l'immédiateté permanente caractéristique de notre temps, qui semble nous rattraper. Elles racontent à leur manière des siècles de construction, d'hésitations et d'audaces qui n'ont sûrement pas été de tous les goûts des contemporains des différents âges de la cathédrale Notre-Dame. L'édifice porte en lui les étapes d'une transition architecturale, des savoirs accumulés, dont il paraîtrait fou que la parole présidentielle décide de faire fi.

Une autre source d'inquiétude pour notre groupe concerne la création d'un nouvel établissement public dédié à la conservation et à la rénovation. Les fondations existantes ne pourraient-elles pas assurer les missions que vous souhaitez confier à ce futur établissement public ? Si celui-ci est finalement créé, nous souhaitons que la transparence y soit assurée par un contrôle parlementaire régulier, comme cela a eu lieu, par le passé, à l'occasion d'autres souscriptions nationales. Parce que le Parlement est le lieu qui porte en lui l'âme d'un peuple, et qu'il le représente, il est souhaitable que la gouvernance de cet établissement public soit transparente et tienne compte des exigences nouvelles qu'expriment nos concitoyens.

Pour cela, nous avons déposé des amendements précisant les modalités de gestion de ce futur établissement et posé plusieurs questions : pourquoi une dérogation à la limite d'âge pour son futur dirigeant ? Qui sera réellement associé à la coordination des travaux ? Nous souhaitons qu'un bilan de ces avancées soit fait devant la représentation nationale une fois par an. Pourquoi, une nouvelle fois, des habilitations à légiférer par ordonnances, qui laissent, comme toujours, planer un doute sur cette transparence ?

Nous avons aussi exprimé notre désaccord quant aux modalités choisies dans le cadre des exonérations fiscales que vous proposez : elles ne bénéficieront pas à l'ensemble des Français. En effet, la moitié des Français, qui ne paient pas l'impôt sur le revenu, se trouvent de facto exclus du dispositif de soutien fiscal. Pour cette raison, nous avons formulé, en commission des finances, un certain nombre de propositions permettant à tous ceux qui le souhaitent de participer à cet élan de solidarité. Afin de réduire le montant de la dépense publique, nous avons proposé de réduire de 1 000 euros à 531 euros le plafond des dons ouvrant droit à un remboursement de la part de l'État, ce qui correspond au plafond existant pour les dons aux associations caritatives. L'adoption de ces mesures qui éviteraient tout dérapage budgétaire montrerait clairement que vous faites le choix d'une équité fiscale à la hauteur de l'élan national.

Nous le savons, les Français sont attachés à leur patrimoine : en témoignent, en plus des promesses de dons, des aides matérielles comme celles de la filière bois, dont l'importance dans le cadre de ce futur chantier est majeure. Les 3 000 mètres cubes de bois éventuellement nécessaires pour la charpente de la nef devront répondre à des caractéristiques bien particulières pour être en phase avec l'histoire de Notre-Dame. Les Français sont attachés au « petit patrimoine », comme on le nomme avec quelque condescendance – ou tendresse, c'est selon – , à nos quelque 42 000 monuments historiques répartis sur l'ensemble du territoire. Ces monuments sont en grande partie la propriété des communes de France, qui n'ont pas toujours les moyens suffisants pour les protéger. Sur les 637 millions d'euros qui financent le patrimoine bâti, 326 proviennent du ministère de la culture, mais cela ne représente qu'une infime partie du budget du ministère. Même si ce n'est pas de ce patrimoine dont nous parlons ce matin, les Français l'ont dit très vite à la suite de l'incendie et de la mise en place de la souscription : ils souhaitent que cet effort sans égal ait des répercussions sur ce petit patrimoine. Cette souscription, qui s'élève déjà à plus de 1 milliard d'euros de promesses de dons, porte en elle autant d'optimisme que de regrets potentiels, comme si la générosité affichée, presque avec outrance, venait narguer la misère et les laissés-pour-compte de notre société.

Aussi, et puisque la grande majorité des donateurs demandent que leurs dons soient fléchés vers l'édifice lui-même, nous souhaitons au moins qu'un travail important soit fait pour que les 2 000 oeuvres abritées dans la cathédrale soient accessibles à un très large public. Nos amendements n'ont pas été jugés recevables, soit, mais nous continuons à défendre l'idée qu'au-delà de la cathédrale elle-même, c'est bien cette notion de bien commun qui est dans les esprits.

Enfin, chers collègues, au-delà de toute polémique, je souhaite que nous soyons attentifs à la force des symboles, même lorsqu'ils ne nous parlent pas de nos grands hommes, ceux que l'histoire retient généralement. Souvenons-nous d'un 26 janvier 2007, de ce jour de funérailles où la nation rendait dans la cathédrale Notre-Dame un hommage vibrant à l'abbé Pierre, à cet homme sincère et généreux, pourfendeur de la misère et du manque de volonté politique des hommes. Ce symbole est notre honneur, comme le sera ce chantier d'exception si nous savons être raisonnables.

À travers ce texte qui entend mettre en exergue l'attachement de la nation à son patrimoine, nous souhaitons que soient présents l'esprit et les valeurs qui nourrissent notre histoire dans ses représentations les plus belles, les plus audacieuses. Il n'y a de beauté dans ces édifices tournés vers le ciel, ou plus modestement repliés sur les vies qu'ils protègent, que dans l'intention des hommes et des femmes d'inscrire une volonté, un projet dans un moment de l'histoire humaine, pour donner du sens au réel. Construire des abris pour nos rêves, imaginer des courbes, des angles, des flèches, tendre toujours vers la perfection et, en fin de compte, se réconcilier avec l'indicible, rejoindre l'inaccessible étoile. C'est probablement parce que les rêves des bâtisseurs de Notre-Dame étaient aussi grands que tant d'événements majeurs y ont eu lieu, résonnant encore dans nos coeurs et continuant de faire battre le coeur de notre nation.

C'est pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, que nous vous demandons de ne pas faire de ce chantier un chantier d'exclusion, un chantier bâti sur des lois d'exception, un chantier pour l'air du temps. Si nous nous rejoignons sur l'objectif final de ce projet de loi, nous n'en partageons pas toutes les conditions de mise en oeuvre. Nous craignons, dans cette procédure accélérée que vous nommez « anticipation », que l'urgence ne prenne le pas sur le temps du diagnostic, de la réflexion et d'une action raisonnable. Aussi notre groupe, en fonction des avancées de la discussion, finalisera ce soir sa position.

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