Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du vendredi 10 mai 2019 à 9h30
Restauration de notre-dame de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

La détermination des soldats du feu, empreinte de courage et d'abnégation, a permis de mettre fin à l'hémorragie dévastatrice. Mais lorsque le jour se leva, lentement, le temps resta figé. À présent, une plaie béante éventre les deux tiers de la toiture, laissant entrevoir les cendres souillant l'intérieur de la cathédrale et les amas de gravats jonchant le sol.

Mais à l'horreur que suscita l'incendie succédèrent le courage, l'engagement et la générosité. L'élan de générosité pour la cathédrale est un mouvement formidable, d'où qu'il vienne. Certains ont malheureusement instrumentalisé cette situation. D'autres ont pu sincèrement être choqués par les montants venant de grands donateurs ; il faut aussi faire l'effort de le comprendre. Mais nous garderons avant tout en mémoire le temps du rassemblement et de la cohésion. Il nous appartient à toutes et à tous désormais de donner du sens à l'après, de transformer ce défi que constitue ce gigantesque chantier en espoir et en opportunités. Nous saluons donc la célérité avec laquelle le Gouvernement présente à la représentation nationale son projet de loi visant à instituer et à encadrer la souscription nationale pour la conservation et la restauration de Notre-Dame de Paris.

Mais nous sommes très inquiets, comme beaucoup d'autres, de la précipitation avec laquelle il est annoncé que ce chantier devrait être mené. Que signifie « aller vite », à l'échelle de Notre-Dame ? Relisez le vrai-faux journal de Michel-Ange, qui a consacré plus de vingt ans de sa vie à sa sculpture du tombeau de Jules César, sans l'avoir achevée. Se lancer dans la réalisation d'une oeuvre sans être sûr de pouvoir la terminer au cours de sa vie, sans être sûr de réussir, au sens social du terme, voilà ce qui constitue l'essence même d'un artiste – nous avons oublié cela. Je ne vous demande pas, bien sûr, de revenir au temps de la construction des cathédrales, les temps où il fallait des mois et des mois pour transporter des plaques de marbre choisies méticuleusement lors de leur extraction, et qui pouvaient se briser net à l'arrivée. Mais peut-on au moins « redonner du temps au temps », une formule quant à elle beaucoup plus contemporaine ?

Pour revenir de manière concrète à ce projet de loi, les articles 1 à 7 ne nous posent pas de problème particulier. Nous sommes ainsi favorables à la création d'une réduction d'impôt majorée, permettant aux donateurs de déduire de leur impôt sur le revenu 75 % de leur don, dans la limite de 1 000 euros. Cette limite est importante car elle doit justement favoriser les petits dons de tous les Français. La participation de toutes les collectivités est également rendue possible : libre à elles d'effectuer des versements ou de développer la formation, dans leurs régions, des artisans et des bâtisseurs.

J'aurai des réserves plus personnelles à émettre sur l'article 8 mais, vous l'aurez compris, comme beaucoup ici, nos réserves portent principalement sur les dérogations générales dont vous entendez bénéficier, qui plus est par voie d'ordonnances. Les ordonnances se justifient compte tenu de l'urgence, quand elles sont bien encadrées par le Parlement et quand les finalités sont claires : ce n'est pas le cas ici.

Monsieur le ministre, le temps doit s'arrêter. Comment pouvez-vous imaginer une seule seconde que nous puissions signer un blanc-seing permettant au Gouvernement de s'affranchir de l'ensemble des règles susceptibles de lui être opposables ? À cette question quasi philosophique, que nous devrions nous poser sur tous les textes, il faut ajouter d'autres arguments très concrets. Comment justifier que les territoires doivent se conformer scrupuleusement à la loi quand, dans le même temps, nous dérogerions à toutes les règles applicables pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ? Si certaines normes de droit commun applicables à la construction sous l'égide d'une collectivité ou d'un établissement public sont trop lourdes, trop contraignantes, notre groupe considère qu'il faut alors engager un vrai travail pour tout mettre à plat. Ouvrons le débat, oui, mais un débat transparent, encadré, avec des garde-fous.

Cela étant dit, monsieur le ministre de la culture, vous nous présentez un projet de loi qui propose de s'affranchir des normes en matière de préservation du patrimoine. Certes, votre prédécesseur avait fait, quant à elle, du non-respect des règles du patrimoine sa marque de fabrique ; c'est la réalité ! Certes, la loi ELAN a été l'avant-garde de la remise en cause du rôle des architectes des Bâtiments de France. Cela ne peut que renforcer l'inquiétude !

Par ailleurs, demander un chèque en blanc pour déroger au code de l'environnement, en plein débat sur la transition écologique, c'est presque une provocation ! Proposer de remettre en cause les modalités de la participation du public à l'élaboration des décisions, c'est trahir en partie l'élan de générosité.

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