Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du vendredi 10 mai 2019 à 9h30
Restauration de notre-dame de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

Le 15 avril 2019, un incendie de grande ampleur a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ce chef-d'oeuvre de l'architecture du Moyen-Âge, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO au titre de divers critères – dont celui du génie créateur humain – a subi d'irréversibles dommages. Les images de l'effondrement de la flèche, retransmises en direct sur les écrans de télévision, ont provoqué une onde de choc ressentie bien au-delà de nos frontières.

Notre-Dame de Paris est indissociable de l'histoire de France. En 2013, nous avons fêté son 850e anniversaire. Le temps long a forgé ce symbole national et permis son appropriation populaire.

Cette douloureuse actualité nous amène ce matin à débattre d'un projet de loi de circonstance, intitulé « pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet ». C'est conscients du poids de l'histoire, avec le recul nécessaire et la sagesse qui doit l'accompagner, que nous devons procéder. La vieille dame nous impose de prendre le temps de la réflexion.

L'intense émotion suscitée par la catastrophe a provoqué un élan de générosité hors du commun. Dans les 24 heures qui ont suivi l'incendie, plus de 700 millions d'euros de dons ont été annoncés. La plupart des Français et des Françaises ont été affectés, et nombre d'entre eux – des plus modestes aux plus riches – veulent contribuer à l'effort de reconstruction du monument.

Mais tous ne tireront pas bénéfice de cette générosité. Les donateurs les plus modestes auront à charge 100 % de leur don s'ils ne sont pas imposables. Le généreux mécène offrant 200 millions d'euros, quant à lui, bénéficiera d'un abattement d'impôt de 132 millions, compensés par l'État, donc par le contribuable.

Pour être encore plus explicite, j'indique dès à présent que nous proposons d'améliorer l'article 5 bis, issu d'un amendement adopté en commission des finances, saisie pour avis, prévoyant la remise au Parlement d'un « rapport étudiant [… ] la part et le montant des dons et versements effectués au titre de la souscription nationale ayant donné lieu aux réductions d'impôt [… ] ».

Nous souhaitons fixer au rapport une mission d'éclaircissement supplémentaire, consistant à étudier le profil des bénéficiaires d'une réduction d'impôt par décile de niveau de vie, ce qui permettra de mettre en lumière le caractère injuste du système de dons.

S'agissant des versements effectués au titre de la souscription nationale, le texte prévoit qu'ils puissent provenir des collectivités territoriales. L'exposé des motifs – mais pas les dispositions elles-mêmes – précise que « ces versements sont considérés comme des subventions d'équipement » et non comme des dépenses d'investissement.

Des incertitudes juridiques persistent sur la capacité des régions à réaliser des versements de cette nature. En tout état de cause, il est vrai que certaines d'entre elles, qui se disaient asphyxiées financièrement par la baisse des dotations de l'État, ont su trouver les ressources nécessaires pour participer à cet élan de générosité.

Quoi qu'il en soit, nous espérons que vous vous montrerez favorables, madame la rapporteure, monsieur le ministre, à notre proposition visant à exclure ces dons du calcul de l'augmentation de leurs dépenses de fonctionnement, limitée désormais à 1,2 % dans le cadre de la contractualisation.

La meilleure solution pour couvrir les frais de restauration et de conservation de notre patrimoine, c'est l'impôt. La solidarité nationale peut financer un tel dispositif. Nous pourrions envisager, par exemple – même si un tel dispositif ne serait peut-être pas suffisant – de lever un impôt exceptionnel sur les grandes fortunes et sur les grandes entreprises.

Nous avons pu constater que les Françaises et les Français ont à coeur de soutenir la souscription nationale. Cela exige une gestion transparente et transpartisane de ces fonds. Le groupe La France insoumise souhaite que cette souscription nationale ne soit pas placée sous le haut patronage du Président de la République, mais que le comité de contrôle des fonds soit composé de deux parlementaires issus de l'opposition de chaque assemblée, et qu'il remette régulièrement des conclusions, consultables sur un site internet, afin que chacun et chacune soit informé des évolutions de ses travaux. Nous pourrions aussi, à cette occasion, inscrire dans la loi que le surplus d'argent collecté pourra servir à financer d'autres bâtiments faisant partie de notre patrimoine public ou nécessitant des rénovations.

Les exigences des Français sont à la hauteur de leur générosité. C'est la raison pour laquelle beaucoup d'entre eux ont manifesté leur désaccord vis-à-vis des dérogations prévues par le projet de loi : dérogations aux règles de l'urbanisme, de protection de l'environnement et même de participation du public... Ce régime d'exception que vous souhaitez inscrire dans la loi nous inquiète particulièrement en ce qui concerne la mise en conformité des documents de planification, la délivrance des autorisations de travaux et de construction, les modalités de la participation du public à l'élaboration des décisions et de l'évaluation environnementale, l'archéologie préventive ou encore les règles en matière de commande publique, de domanialité publique, de voirie et de transport.

Votre tendance à vouloir déroger aux dispositions légales se confirme jusque dans la nomination de la direction de l'établissement public chargé de la reconstruction. Les ordonnances telles que vous les envisagez pourront prévoir que les dirigeants de l'établissement ne sont pas soumis aux règles de limite d'âge applicables à la fonction publique d'État. Au moment où les Français et les Françaises marquent un rejet très net du népotisme, et font valoir la nécessité d'un État plus exemplaire, ce projet de loi s'assure que le général Jean-Louis Georgelin puisse prendre la tête de cet établissement et recevoir un traitement à cet effet : sans préjuger de la qualité de la personne en cause, cela renforce notre idée que ce projet de loi est un texte qui multiplie les exceptions à la loi et à l'éthique. Cela nous semble contraire à l'intérêt général.

Or c'est justement l'intérêt général qui devrait prévaloir. Nous pourrions ici tirer les leçons d'une situation qui nous est imposée. L'incendie de Notre-Dame de Paris n'était pas prévisible, mais il était possible ; or nous constatons qu'en l'état actuel des finances du ministère de la culture, l'État ne pouvait absolument pas réagir. La logique est implacable : depuis 2009, le budget consacré au patrimoine architectural et aux monuments a été amputé de 25 %, passant de 440 à 332 millions d'euros. L'État se désengage toujours plus des affaires culturelles au profit du mécénat privé, qu'il encourage à grand renfort d'exonérations fiscales – supportées par le contribuable. La culture est la variable d'ajustement des budgets de l'État. Pourtant, elle est un vecteur d'émancipation, donc de liberté. C'est l'antidote absolu contre l'obscurantisme.

Ce texte a été écrit dans la précipitation. C'est pourquoi nous voulions le renvoyer en commission. Il faut restaurer ce formidable édifice, mais pas dans les conditions que vous nous proposez. Nous voterons donc contre ce projet de loi.

À une certaine époque, Notre-Dame de Paris était l'incarnation d'un temps nouveau qui commençait. Il est fondamental que sa reconstruction s'opère dans un esprit de respect des grandes questions qui nous animent aujourd'hui, autant que de celles qui ont pu animer les bâtisseurs des temps anciens. Les questions sociales, environnementales, éthiques, démocratiques doivent être au coeur des préoccupations de celles et ceux qui auront la mission de mener à bien cette reconstruction.

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