Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 17h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des Armées :

Je tenterai de répondre à vos questions dans l'ordre et regrouperai sans doute celles qui se ressemblent. Je reviendrai tout d'abord sur les derniers développements de la situation militaire du conflit actuellement en cours au Yémen. Nous avons tous eu un sursaut d'espoir en décembre 2018 lorsque les rencontres de Stockholm ont eu lieu et que des accords ont été signés, ces derniers ouvrant enfin un espace pour un dialogue politique susceptible de déboucher sur une solution menant à la paix. Suite à la signature de ces accords, il y a tout d'abord eu une forte accalmie dans les combats mais, malgré toutes les tentatives de l'envoyé spécial du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, M. Martin Griffiths, les différentes parties n'ont pas mis en oeuvre la première phase du plan qui consistait à exiger des houthis qu'ils se redéploient en dehors du port d'Hodeïda. Ce redéploiement n'a donc jamais débuté et le timide cessez-le-feu qui s'était établi s'est érodé pour finalement aboutir à la reprise des combats. Pour l'instant, je dois l'admettre et m'en désole avec vous, cette tentative n'a donc pas été couronnée de succès, ce qui n'empêche évidemment pas que l'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU de poursuivre les discussions, et nous les poursuivons à ses côtés et avec tous les partenaires, pour que l'Arabie saoudite fasse évoluer sa manière de conduire les opérations, que les belligérants respectent le droit international humanitaire et pour continuer d'essayer de faire avancer une solution politique. Je ne sais pas le temps que cela prendra mais je peux vous assurer que la détermination de l'envoyé spécial, comme la nôtre, est totale.

Concernant le contrat Rafale conclu avec l'Inde, son déroulement est jusqu'à présent conforme à la programmation. Comme vous le savez, ce contrat est couvert par un accord intergouvernemental signé en 2016, les premières livraisons étant prévues pour le mois de septembre 2019. Sous cet angle-là, les choses se déroulent donc de manière nominale. Par ailleurs, il y a la possibilité de conclure un nouveau contrat pour plus d'une centaine d'avions de combat supplémentaires. La perspective de ces éventuelles ventes complémentaires aiguise beaucoup d'appétits et un certain nombre d'enquêtes sont donc menées en Inde, dans le contexte particulier des élections qui y ont lieu. Malgré ce contexte, je peux vous dire qu'aujourd'hui aucune des investigations menées ne révèle un quelconque dysfonctionnement et que, par ailleurs, la question qui est réellement en cause est celle du partenaire industriel indien choisi, conformément à l'exigence indienne, symbolisée par le slogan make in India, d'organiser avec des industries indiennes une partie de la production des Rafale français. Nous y verrons donc sans doute plus clair quand la période électorale sera terminée.

Concernant l'avenir de la base aérienne projetée H-5 en Jordanie, il importe de rappeler qu'actuellement nous poursuivons notre action aux côtés de la coalition internationale contre Daech, coalition qui mène encore des missions de renseignement, dans une moindre mesure d'appui-feu, comme cela est encore arrivé récemment, ou de défense aérienne. Nous n'avons donc pas, à court terme, l'intention de modifier le dispositif actuel mais demeurons évidemment prêts à l'ajuster en fonction de l'évolution de la situation locale.

Pour répondre à votre question concernant le fonds européen de défense et les premiers emplois qui pourraient en être envisagés, je rappellerai, comme vous le savez, que ce fonds est une très grande première, jamais l'Union européenne n'ayant consacré le moindre euro pour faciliter et soutenir les phases de Recherche et Développement de projets à caractère militaire. Dans les propositions qui sont faites par la Commission européenne, il devrait y avoir, en premier lieu de 2019 à 2020, une phase expérimentale durant laquelle 500 millions d'euros seront investis puis une deuxième phase, de 2021 à 2027, où l'investissement sera alors de 13 milliards d'euros. Durant la phase expérimentale, nous savons, d'ores et déjà, que deux projets auxquels la France participe vont bénéficier de ces fonds. Il s'agit d'un investissement prévu de 100 millions d'euros pour le projet de drone européen MALE et de 37 millions d'euros pour le projet ESSOR, projet qui consiste à mettre au point des radios logicielles interopérables entre les différents États. Concernant le lien entre le FEDef et la coopération structurée permanente (CSP), il faut également ajouter que les projets labellisés par la CSP seront plus facilement sélectionnés au FEDef et bénéficieront d'un bonus supplémentaire de 10 % par rapport aux projets qui ne seraient pas soutenus par celle-ci. Comme vous le voyez, les points d'application sont d'ores et déjà très concrets et il ne tient plus qu'aux inspirateurs de projets de remplir les conditions en termes de maturation du projet pour prétendre aux bénéfices de ces fonds.

M. Olivier Becht m'a interrogée sur la conditionnalité que les États-Unis pourraient éventuellement imposer au moment où ils demandent aux alliés d'accroître leurs dépenses en faveur de la défense. Il ne faut pas être naïf : si les États-Unis demandent que les alliés dépensent plus, ils aimeraient aussi beaucoup que ceux-ci dépensent plus encore pour acheter des équipements américains. Et lorsque nous osons parler, face à nos alliés de l'OTAN, de politique européenne de défense ou de Fonds européen de défense en plaidant que tout cela est bon aussi pour l'Alliance atlantique, nous nous entendons parfois répondre, de manière plus ou moins ouverte, que c'est du protectionnisme. Autrement dit, nous sommes contre toute forme de conditionnalité. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, l'article 5 du Traité de l'Alliance atlantique n'est pas l'article F35.

Comment favoriser les équipements européens à l'OTAN ? D'abord, en contribuant à la définition de standards communs à l'organisation, en mettant le paquet sur les prospects européens à l'export. Cependant, on ne pourra pas empêcher certains pays, notamment ceux qui dépensent peu, de vouloir acheter des équipements américains pour ainsi se dédouaner de ce qu'ils ne dépenseront pas auprès d'autres et, en particulier, auprès des Européens. Il faut en prendre acte mais plus encore, il faut faire tous les efforts possibles pour convaincre ces pays de procéder autrement. J'ai eu des échanges, samedi dernier encore, avec le Premier ministre slovaque. Il rentrait de Washington où il avait annoncé au président Trump qu'il allait acheter des avions américains. Il a donc été très bien accueilli par ce dernier. Mais il a aussi dit qu'il était temps, maintenant, de procéder à des acquisitions européennes. C'est une première étape qu'il nous faut absolument consolider. Il faut aller plus loin encore et peut-être qu'un jour, on pensera d'abord à acheter européen, pour ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, avant de penser à acheter américain.

J'en viens aux questions de Joaquim Pueyo. Sur les fuites, je n'ai rien à ajouter à ce que je vous ai déjà dit, vous le comprendrez. Je vous répondrai, en revanche, concernant l'Allemagne, également évoquée par André Chassaigne. L'Allemagne a annoncé la suspension temporaire de ses exportations. Les Européens se sont-ils concertés ? Ou plutôt, l'Allemagne s'est-elle concertée avec ses partenaires européens ? La réponse est non. Elle l'a tellement peu fait que sa décision a suscité, de notre part, par la voie du président de la République, une réponse très franche. Une discussion aurait été souhaitable avant que l'Allemagne prenne cette décision unilatérale. Cette dernière concerne ses partenaires européens dans la mesure où l'Allemagne suspend des licences d'exportation d'armements qui ne sont pas purement allemands mais à la fabrication desquels l'Allemagne a contribué. Il est d'autant plus regrettable que cette discussion n'ait pas été possible que nous avons signé un traité à Aix-la-Chapelle au début du mois de janvier, traité dans lequel nous avons souhaité développer notre coopération en matière de défense. Par ailleurs, nous avions précédemment décidé de nous engager dans des programmes d'armement extrêmement ambitieux, tels que le char de combat du futur et le système de combat aérien du futur. Il est donc absolument essentiel que nous puissions trouver un point d'accord avec nos partenaires allemands sur les futurs programmes d'équipement que nous allons conduire ensemble. Il faut pouvoir nous mettre d'accord a priori sur le fait que ces programmes d'armement auront vocation à être exportés sinon cela change complètement la physionomie des investissements auxquels nous devrons consentir, par le biais de financements d'État. Il faut aussi aplanir la question de l'existence de composants allemands dans des matériels fabriqués en partenariat avec d'autres pays. C'est pourquoi nous sommes en ce moment en pleine discussion sur le de minimis, c'est-à-dire sur le seuil en deçà duquel il n'est pas possible de bloquer les choses avec quelque composant mineur que ce soit. Bref, encore une fois, il aurait fallu se concerter. Mais depuis, nous nous parlons beaucoup et j'espère pouvoir, lorsque je reviendrai devant vous au mois de juillet, vous apporter des réponses plus complètes.

S'agissant du contrôle a posteriori des licences déjà accordées, les conditions de délivrance des licences sont vraiment étudiées à la loupe. Elles prennent en compte les conditions d'emploi telles qu'on peut les anticiper. Comprenez bien qu'on ne peut pas nécessairement tout prévoir par avance. Une fois que le matériel est vendu, un contrôle a lieu auprès de l'industriel qui a procédé à la vente, pour vérifier la conformité de ce qui a effectivement été exporté aux autorisations qui ont été données. Cependant, la question que vous posez est d'une autre nature : il s'agit de savoir si on peut contrôler le client lui-même. C'est évidemment très compliqué. D'une part, parce qu'il est très difficile de mettre un agent de contrôle derrière chaque matériel que nous vendons. Et, d'autre part, quelle serait la probabilité que le pays souverain ayant acheté ces équipements accepte un tel contrôle ? Vendre un équipement militaire en faisant accepter d'entrée de jeu la limitation de son emploi serait une transaction assez compliquée à négocier et je n'ai pas connaissance d'États qui acceptent une telle limitation de souveraineté. Par ailleurs, faisons l'hypothèse que nous tentions de mettre en place une conditionnalité. Pensez-vous que les compétiteurs feraient de même ?

J'en viens à la transparence. Je sais que nous sommes dans un débat un peu asymétrique. Vous en voulez plus – c'est votre droit légitime. Néanmoins, conformément à l'article 20 de la Constitution, la délivrance des autorisations d'exportations par l'autorité administrative relève du Gouvernement. C'est pourquoi les licences d'exportation sont délivrées sous l'autorité du Premier ministre, suivant la procédure que j'ai décrite tout à l'heure. Cela ne veut pas dire que nous ne soyons pas attachés à la transparence sur ce sujet, en particulier vis-à-vis de vous tous. Je ne sais si le rapport précité est suffisant – je vous en laisse seuls juges – mais je peux vous dire qu'il vous est remis tous les ans depuis le début des années 2000 et qu'il est détaillé. J'ai eu la curiosité de feuilleter celui que remet mon collègue britannique à vos collègues du Parlement britannique. Je vous en recommande la lecture : vous n'y apprendrez pas grand-chose. Peut-être y a-t-il une commission chargée d'examiner ces questions outre-Manche mais je peux vous dire que quand je compare le rapport que j'ai lu, celui que je vous ai remis il y a un an et celui que je vous prépare pour le mois de juillet, je n'ai pas de doute quant au fait que l'un est beaucoup plus transparent que l'autre. Dans notre rapport, il y a de très nombreuses données chiffrées qui, en plus, sont très facilement identifiables, même par des non-spécialistes – nous ne cherchons donc pas à vous perdre. Ce rapport permet de dégager une vision d'ensemble des autorisations qui sont délivrées mais aussi des prises de commande ainsi que des livraisons qui sont réellement effectuées – et non pas des livraisons papier. On y trouve aussi le montage financier qui les accompagne. Vous me direz que c'est encore trop peu mais on ne trouve pas ces éléments-là dans le rapport britannique. Dans le rapport qui vous sera transmis dans quelques semaines, vous constaterez aussi des évolutions – que j'ai souhaitées. Il y aura notamment des études de cas concrètes et des encadrés détaillant les procédures qui ont été mises en application. Enfin, pour terminer, je ne peux pas ne pas mentionner la mission d'information parlementaire, actuellement conduite par Jacques Maire, ici présent, et par Mme Michèle Tabarot au nom de la commission des Affaires étrangères, qui réfléchit sur ce sujet. Cette mission fera certainement des propositions dont nous pourrons discuter – comme c'est toujours le cas dans ces circonstances. Nous faisons ce que, je crois, la Constitution nous autorise à faire dans le cadre de la séparation des pouvoirs.

Vous avez évoqué le Traité sur le commerce des armes. En vertu de ce texte, nous avons obligation d'interdire les exportations lorsque nous avons connaissance, au moment de l'autorisation, que les armes pourraient servir à commettre « un génocide, des crimes contre l'humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels ou d'autres crimes de guerre ». Les autres critères qui sont posés par ce traité sont des critères d'évaluation. Il s'agit par exemple du risque « prépondérant », cité tout à l'heure, que les armes soient utilisées pour commettre une violation grave du droit humanitaire ou des droits de l'homme. L'État doit, dans ce cas, envisager des mesures d'atténuation du risque qui peuvent aller jusqu'à l'interdiction. S'agissant du Yémen, nous appliquons naturellement l'embargo qui a été adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies. En ce qui concerne les membres de la coalition qui interviennent au Yémen, j'ai eu l'occasion de dire – et je redis – que les autorisations d'exportations qui ont été délivrées avant le début des hostilités avaient déjà été pesées et soupesées selon les critères d'évaluation du Traité sur le commerce des armes. Aujourd'hui, vis-à-vis d'États souverains, nous oeuvrons par le dialogue et la diplomatie pour mettre fin à ce conflit et assurer le respect du droit international humanitaire. Je veux réaffirmer ici que je ne pense pas, en mon âme et conscience, qu'en suspendant pour l'avenir les exportations d'armement à l'intention de ces deux pays, nous contribuerions à arrêter cette guerre et à pouvoir peser en faveur de la solution politique que nous souhaitons pour mettre fin à ce conflit.

Enfin, une question m'a été posée sur la coopération franco-libanaise. Nous continuons de participer à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), 650 soldats français étant engagés au sein de la réserve opérationnelle de la force. Une compagnie finlandaise est également engagée dans la FINUL, dont le mandat a été renouvelé à la fin du mois d'août dernier. Ce mandat maintient les capacités de la FINUL et demande la montée en puissance de la marine libanaise. Par ailleurs, nous aidons de façon bilatérale les forces libanaises dans le cadre de cessions : nous avons cédé pour l'équivalent de 52 millions d'euros de matériel en 2017-2018. Nous les aidons aussi dans le cadre de formations, via une trentaine de détachements d'instruction, et dans le cadre de la coopération opérationnelle puisque toutes les patrouilles de la FINUL sont menées conjointement avec les forces libanaises. Enfin, un prêt de 400 millions d'euros a été proposé en 2018 au gouvernement libanais pour l'équipement de son armée. Pour des raisons qui tiennent très largement au changement d'équipe gouvernementale, et en particulier au changement de ministre de la Défense, ce projet était resté en friche : nous l'avons relancé et j'ai eu l'occasion de rencontrer mon nouvel homologue au mois de février dernier. J'espère que les discussions qui concernent en réalité très largement le ministre de l'économie et des finances libanais pourront progresser.

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