Intervention de Carole Grandjean

Réunion du mercredi 10 avril 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCarole Grandjean :

Mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport d'information relatif au socle européen des droits sociaux, sur lequel j'ai travaillé pendant plusieurs mois avec notre collègue Marguerite Deprez-Audebert pour la commission des affaires européennes. Ce rapport est assorti d'une proposition de résolution européenne, laquelle a été adoptée à l'unanimité par cette commission le 21 mars dernier.

L'objectif de ce rapport était de mesurer les apports du socle européen des droits sociaux, proclamé en novembre 2017, au regard de ce que l'on qualifie d'« acquis social européen », c'est-à-dire de toutes les actions déjà entreprises par l'Union européenne en faveur des droits sociaux.

Le socle européen des droits sociaux est une proclamation interinstitutionnelle de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil. Il contient un long préambule de vingt principes, structuré en trois chapitres, ayant respectivement trait à l'égalité des chances et à l'accès au marché du travail, à l'équité des conditions de travail, et enfin à la protection et l'inclusion sociales.

Notre rapport entend transmettre trois messages.

Tout d'abord, nous souhaitons montrer que le socle est loin d'être le premier acte de l'Union en matière sociale. Nous rappelons ainsi toutes les actions que l'Union européenne a menées en matière sociale. Au total, la législation sociale européenne compte près de 200 textes. Cette situation n'était pas gagnée d'avance. L'acquis social européen s'est construit progressivement, depuis la déclaration Schuman jusqu'à nos jours, en passant par le traité de Rome et le protocole sur la politique sociale du traité de Maastricht.

Aujourd'hui, le traité de Lisbonne définit la politique sociale comme une compétence partagée entre l'Union et les États membres pour les matières définies dans le traité – l'Union devant se limiter, pour le reste, à une coordination des actions des États. Ainsi, malgré ses compétences limitées, l'Union a toujours agi en matière sociale, en particulier en ce qui concerne l'information, la consultation et la santé des travailleurs, depuis 1975, l'égal traitement entre les femmes et les hommes, depuis 1976, la santé publique – qui concerne aujourd'hui 10 % de la réglementation communautaire et 80 % des textes européens en matière sociale –, ou encore le détachement des travailleurs, dont l'encadrement a été renforcé par la directive du 28 juin 2018. N'oublions pas l'ensemble des fonds structurels européens à vocation sociale, représentant 100 milliards d'euros. Citons enfin le dialogue social européen, procédure désormais inscrite dans les traités et ayant déjà produit des effets notables, notamment sur le congé parental, le travail à temps partiel et les contrats à durée déterminée.

Nous mentionnons toutefois dans notre rapport des statistiques tendant à montrer que malgré cet acquis conséquent, l'Union souffre d'une convergence sociale encore insuffisante. À l'échelle internationale, l'Union européenne est indéniablement une zone de prospérité économique et sociale. La quasi totalité des États du continent affichent un niveau de dépense sociale par rapport à leur produit intérieur brut (PIB) supérieur à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En moyenne, les dépenses sociales de l'Union européenne représentent 27,5 % de son PIB. En la matière, aucun État membre ne se situe en deçà de 15%, tandis qu'aucun pays du monde, en dehors de l'Union, ne dépasse ce même taux.

En 2010, l'Union s'est dotée de la stratégie Europe 2020, comprenant quatre objectifs sociaux, dont deux seulement sont atteints. Ainsi, le taux d'emploi global n'atteint pas la cible de 75 % mais se situe à 71 %, avec d'importants écarts entre les États membres. L'objectif de réduire d'au moins 20 millions le nombre de personnes menacées par la pauvreté est loin d'être rempli, puisque cette population a crû de 4,8 millions d'individus entre 2008 et 2014. Le taux d'abandon scolaire atteignait 10,6 % en 2017, quand l'objectif était de l'abaisser en deçà de 10 %. Enfin, 39,1 % de la population détenait un diplôme de l'enseignement supérieur en 2016, avec de très fortes disparités nationales, tandis que l'objectif se situait à 40 %. Des progrès ont certes pu être observés sur certains indicateurs, mais sur d'autres, des écarts inquiétants continuent de se creuser.

Notre rapport vise ensuite à montrer que le socle européen des droits sociaux constitue une nouvelle impulsion pour l'Europe sociale. Parmi ses vingt principes, on notera en particulier l'égalité des chances en matière d'emploi et de protection sociale, le droit à un salaire équitable devant respecter un niveau minimum, ou encore une aide aux revenus pour les personnes handicapées. Le rapport rappelle toutes les initiatives prises par la Commission européenne, notamment pour la fusion de certains fonds sociaux en un « fonds social européen plus » doté de 101,2 milliards d'euros, la création d'une autorité européenne du travail visant à soutenir la coopération entre les États membres pour l'application du droit de l'Union européenne en matière du travail, et enfin l'introduction d'un congé parental de quatre mois ainsi que d'un congé pour les aidants. Des accords interinstitutionnels ont été conclus récemment sur la plupart de ces textes, qu'il reste néanmoins à adopter définitivement.

Enfin, et c'est tout l'intérêt de notre proposition de résolution européenne, nous formulons des recommandations de méthode et de mesure pour compléter ce socle. Certains outils nous semblent faire défaut pour la bonne mise en oeuvre de ces droits. Nous proposons ainsi de réfléchir à la création d'un socle minimal d'assurance chômage et à la mise en place de coopérations entre les États membres frontaliers. Sur le même modèle, nous recommandons d'expérimenter le principe d'un salaire minimum. Nous proposons également de doter la future autorité européenne du travail de la mission de suivi des contrôles et des sanctions qu'effectue chaque État membre. Rappelons que 17 millions d'Européens travaillent aujourd'hui dans un autre État membre que le leur. Désormais, l'un des enjeux est de respecter le cadre défini par les directives négociées, ce qui passe notamment par des contrôles et par une coordination entre les États membres.

Nous formulons également des propositions en faveur de l'élévation des compétences dans l'Union. À ce titre, une reconnaissance des enseignements professionnels sur le modèle licence-master-doctorat permettrait de développer l'apprentissage et la validation des acquis de l'expérience sur le plan européen. La mobilité des travailleurs européens et les évolutions entre les métiers en seraient facilitées.

Nous préconisons une coopération plus efficace en matière de logement étudiant, ainsi que des facilités permettant aux jeunes Européens d'accéder à des comptes bancaires avec carte de paiement, de sorte que leur mobilité soit facilitée, y compris s'ils sont issus de familles n'ayant pas l'habitude de voyager au sein de l'Europe.

L'égalité entre les femmes et les hommes doit en outre être approfondie. À cet égard, nous proposons la mise en place d'un médiateur européen doté de compétences relatives aux séparations des couples binationaux ayant des enfants. Ces situations sont en effet, trop souvent, d'une gestion difficile entre les États membres. Notre rapport recommande également de promouvoir l'objectif d'inclusion totale des personnes handicapées dans le cadre scolaire, dans la société en général et dans l'entreprise.

Nous avons été frappées de constater qu'aucune évaluation scientifique ne venait mesurer l'impact des investissements réalisés grâce aux fonds sociaux européens sur les critères sociaux. Il nous paraît donc indispensable de demander à la Commission européenne de produire de telles évaluations et de rectifier les investissements en conséquence.

Nous proposons enfin deux pistes de réflexion à plus long terme. La première, qui a été évoquée par le président de la République lors du sommet de Göteborg, consisterait à établir une conventionnalité positive. Il s'agirait de conditionner l'octroi de fonds européens au respect de certains critères sociaux. Cette conditionnalité ne devrait naturellement pas s'exercer au détriment des populations qui bénéficient des fonds sociaux. C'est bien là que réside la principale difficulté.

Enfin, il nous paraît intéressant de réfléchir à l'instauration d'une forme de « Maastricht social ». Notre recommandation serait d'introduire des critères clairs et contraignants en matière sociale, donnant lieu à un suivi et, le cas échéant, à des sanctions, sur le modèle des critères de convergence du traité de Maastricht.

En conclusion, je voudrais affirmer que les droits sociaux inscrits dans le socle européen des droits sociaux engagent autant les États que l'Union européenne pour l'avenir. Ils nous donnent à voir le chemin déjà parcouru, mais aussi ce qu'il nous reste à accomplir. La proposition de résolution européenne que nous avons adjointe à notre rapport vise à interpeller les institutions européennes sur ces sujets, et à prouver que l'Assemblée nationale française a pleinement pris conscience de l'importance de ce socle et des actions qu'il implique.

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