Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 16h00
Représentants au parlement européen élus aux élections de 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Vous allez aimer la suite ! Pour le philosophe, l'ère néolibérale, ouverte en Europe par Margaret Thatcher, aura ainsi vu proliférer ce qu'il décrivait déjà, au moment du référendum par lequel le peuple grec avait rejeté le diktat de la troïka avant de se faire marcher dessus, y compris par son propre gouvernement, soumis aux injonctions européennes, comme une génération de dirigeants et dirigeantes « non-politiques ». On nous a encore expliqué tout à l'heure que l'Assemblée nationale devait faire des votes techniques et non de la politique.

Voici ce que relevait le philosophe et sociologue français Frédéric Lordon : « Quitte à être du mauvais côté de la domination, il faut regretter qu'il n'y ait pas plus de cyniques. Eux au moins réfléchissent et ne se racontent pas d'histoires – ni à nous. On leur doit l'estime d'une forme d'intelligence. Mais quand les cyniques manquent ce sont les imbéciles qui prolifèrent. Le néolibéralisme aura été leur triomphe : ils ont été partout. Et d'abord au sommet. Une génération d'hommes politiques non-politiques. Le pouvoir à une génération d'imbéciles, incapables de penser, et bien sûr de faire de la politique. Le gouvernement par les ratios est le seul horizon de leur politique. On comprend mieux le fétichisme numérologique qui s'est emparé de toute la construction européenne sous leur conduite éclairée : 3 %, 60 %, 2 %. Voilà le résumé de « l'Europe ». On comprend que ces gens soient réduits à la perplexité d'une poule devant un démonte-pneu quand survient quelque chose de vraiment politique – un référendum par exemple. La perplexité et la panique en fait : la résurgence des forces déniées est un insupportable retour du refoulé. Qu'il y ait des passions politiques, que la politique soit affaire de passions, cela n'était pas prévu dans le tableur à ratios. »

Cette description qui vaut pour les dirigeants et les dirigeantes de l'Union européenne vaut pour toute la génération de dirigeants qui en France et en Grande-Bretagne ont mené à la situation de crise que connaît le continent et au rejet des principes et idéaux européens.

Voici une autre description qui vaut la peine d'être citée : « Les figures ahuries du gouvernement des ratios et, en temps de grande crise, les poules dans une forêt de démonte-pneu. Un cauchemar de poules. Il faut les regarder tourner ces pauvres bêtes, désorientées, hagardes et incomprenantes, au sens étymologique du terme stupides. Tout leur échappe. D'abord il y a belle lurette que les ratios ont explosé à dache, mais la vague angoisse qui les gagne leur fait bien sentir que c'est plus grave que ça : ça pourrait ne plus être une affaire de ratios. La pensée par ratios risque de ne plus suffire. Il faudrait refaire cette chose : de la politique. "Mais comment faire ? Nous ne savons pas". On le sait qu'ils ne savent pas. Le pire, d'ailleurs, c'est quand ils font comme s'ils savaient. Qu'ils s'essayent à la "vision". » Je dirais même plus : le pire c'est quand ils s'essaient au « projet ». Sainte Commission européenne, préservez-nous des « projets » !

Les gouvernements par les ratios qui étouffent les peuples dans le carcan de l'austérité ont créé les conditions de la désunion, de l'opposition des peuples, des salariés les uns aux autres et du rejet européen comme ils s'est exprimé au travers du Brexit. « It's the economy, stupid ! » proclament-ils, à l'instar d'un Bill Clinton, qui fut précisément l'un des fondateurs du courant de la funeste « troisième voie », autre source majeure d'inspiration du macronisme qui réussit l'exploit tant vanté par Marx d'être « en même temps » une farce et une tragédie historique.

Non, imbécile, ce n'est pas l'économie, mais la politique, toujours la politique, rien que la politique. Peu importent donc les calculs d'attribution. Les cinq sièges que la France récupérera peut-être, à l'issue du tortueux Brexit, resteront des sièges fantômes, occupés par des députés fantômes tant que, de Londres à Berlin, en passant par Paris, les choix politiques de l'Union européenne resteront guidés par les dogmes néo et ordo-libéraux plutôt que d'être au service de l'intérêt général humain et écologique.

À l'opposé de ce que Margaret Thatcher assénait, pour nous il y a une alternative. C'est celle que nous construisons avec nos alliés de Podemos en Espagne, du Bloc de gauche au Portugal, de l'Alliance rouge et verte au Danemark et de plusieurs autres forces qui appellent à reconstituer un véritable espoir européen, à s'opposer au gouvernement des ratios et à récupérer la souveraineté qui fait tant défaut, y compris dans les débats que nous pouvons avoir dans cette assemblée, en proclamant : « Ici et maintenant le peuple ».

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