Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 21h30
Transformation de la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Mais, dans la doxa libérale, l'évocation du mérite vise davantage à culpabiliser ces derniers qu'à rendre plus efficace leur action sur le terrain. Elle recouvre en réalité une remise en cause des caractéristiques de la conception française de la fonction publique : l'organisation fonctionnelle en corps, la notion de travail collectif, la solidarité des travailleurs des fonctions publiques. À l'opposé de ces traits, le pilotage par objectifs voulu par votre projet, la mise en concurrence des agents et la rémunération « au mérite » sont un leurre porteur de grands dangers et très éloigné de garantir l'efficacité. Les exemples ne manquent pas.

De quoi est-il surtout question aujourd'hui ? Ou plutôt : de quoi cette réforme est-elle le nom ? C'est le « grand soir statutaire » voulu par le Président de la République, un grand soir qui a pour objectif inavoué de parachever la réforme du code du travail entreprise par le gouvernement de Manuel Valls et imposant comme référence sociale majeure le contrat individuel de droit privé, négocié de gré à gré au plus bas de la hiérarchie des normes. Il restait à en généraliser l'application, dans le public comme dans le privé. C'est ce que met en oeuvre le présent projet de loi, sous la forme de ce grand soir habillé d'un pragmatisme que je qualifierai de destructeur.

Car la question n'est pas de savoir s'il faut évoluer ou non, mais bien de considérer si la conception française de la fonction publique est une création continue, au service de la démocratie et de l'efficacité sociale, et qu'il convient, plutôt que de la détruire, d'adapter en permanence aux besoins de la population, à l'évolution des techniques et à notre ouverture sur le monde.

Car l'indispensable adaptation ne signifie pas la casse du statut général des fonctionnaires, atout majeur pour le progrès social, pour l'efficacité économique et pour la démocratie politique dans l'ensemble de la société.

Adossée à une propriété publique étendue et financée par l'impôt, la fonction publique protège les activités qu'elle sépare de la marchandisation. Au service de l'intérêt général, elle contribue à la formation de la citoyenneté, par l'affirmation du principe d'égalité en son sein comme au service de la population et par l'exigence de responsabilité à tous les niveaux. Par là même, elle est une composante essentielle du pacte républicain ; elle est aussi la marque d'une civilisation.

Monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, ce « grand soir statutaire » tourne le dos à la conception française de la fonction publique. Contre-productif, il ne permettra pas la rationalisation et l'amélioration d'une action publique orientée vers l'intérêt général. Il est également contraire à la morale républicaine qui donne la primauté à l'intérêt général sur les intérêts particuliers et qui affirme le principe d'égalité et l'éthique d'une citoyenneté responsable.

D'ailleurs, le grand débat n'en a pas fait une priorité, tout simplement parce que la population française est attachée au service public et qu'elle estime les fonctionnaires. Quant aux organisations syndicales, elles s'opposent toutes au projet, quelle que soit leur sensibilité.

Ce « grand soir statutaire » est une faute grave, une faute historique. Il doit être récusé.

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