Intervention de Guillaume Roué

Réunion du mardi 7 mai 2019 à 9h00
Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Guillaume Roué, président de l'Interprofession nationale porcine (INAPORC) :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vais commencer par vous présenter la situation de la filière porcine et les enjeux auxquels nous devons actuellement faire face

La filière porcine française représente 23 millions de porcs produits par an, soit 2,2 millions de tonnes. Je rappelle que l'Europe produit 22 millions de tonnes de porc et le monde, 100 millions de tonnes – la Chine produisant elle-même 50 millions de tonnes.

La consommation de porc s'élève à 32 kg par an et par Français et se répartit en 30 % de viande fraîche et 70 % de viande transformée.

La filière se caractérise par une dépendance très forte aux circuits de distribution, puisqu'il n'y a quasiment pas de relation directe entre la production et la consommation, les circuits courts, qui ont fait leur apparition depuis peu, étant encore peu développés.

La transformation comprend plusieurs étapes : d'abord l'abattage-découpe, puis la salaison, enfin les circuits de distribution, représentés à près de 81 % par les grandes surfaces et à 20 % par les autres circuits, dont la restauration hors foyer qui progresse constamment : il est de plus en plus répandu de prendre certains de ses repas en dehors de son domicile, que ce soit dans le cadre de la restauration collective ou de la restauration privée, qui tient aujourd'hui une place assez importante dans notre filière.

La situation actuelle de la filière est assez particulière, pour ne pas dire totalement inédite, en raison d'un grave problème sanitaire auquel elle doit faire face sous la forme d'une épidémie de fièvre porcine africaine. Le nom officiel de cette maladie du porc est bien « peste porcine africaine » mais, en termes de communication, nous préférons éviter cette appellation afin de ne pas effrayer inutilement le grand public – le terme « peste » véhicule l'image d'une maladie ayant décimé l'homme à certaines époques, tandis qu'on peut guérir de la fièvre. Au demeurant, la fièvre porcine africaine, qui touche les suidés – c'est-à-dire les porcs domestiques et les sangliers – n'est pas transmissible à l'homme.

Comme son nom l'indique, la fièvre porcine africaine a d'abord sévi en Afrique, avant de se propager sur le continent européen. Le virus, qui a touché la Russie à partir de 2014, y a fait d'énormes dégâts. Dès la même année, il s'est ensuite étendu à l'Europe de l'ouest, notamment aux pays de l'est de l'Union européenne, par le vecteur de la faune sauvage – essentiellement le sanglier. En juillet 2018, il a été signalé pour la première fois en Belgique, où la maladie continue à l'heure actuelle de faire des ravages sur la faune sauvage. Les autorités belges ont cependant mis en oeuvre des mesures afin de contenir l'épidémie dans l'espace où elle est actuellement confinée et, à ce jour, la France est restée épargnée, les autorités françaises ont, sous l'impulsion du ministre de l'agriculture Didier Guillaume, elles aussi, pris des mesures de très grande ampleur, en concertation avec la profession, afin d'éviter que la maladie ne franchisse la frontière.

La Chine a été touchée à partir de septembre 2018, ce qui constitue une préoccupation mondiale, car ce pays représente à la fois 50 % de la production et 50 % de la consommation à l'échelle de la planète. Les chiffres officiels donnés par l'administration chinoise font état d'une perte de cheptel de 25 %, qui ne se traduit cependant pas encore par une diminution de la quantité de viande mise sur le marché. En effet, la production chinoise se répartit par moitié entre, d'une part, des exploitations de type industriel et, d'autre part, des exploitations familiales – on compte encore 800 millions d'agriculteurs en Chine qui, pour la plupart, n'ont qu'un ou deux cochons et quelques poules. Ces petits exploitants ont tellement peur de perdre le peu qu'ils possèdent qu'ils s'empressent actuellement de vendre leurs cochons, ce qui provoque un afflux important de viande sur le marché chinois.

On sait que cela ne va pas durer aussi longtemps que les contributions : à court terme, c'est-à-dire dans les mois qui viennent, la décapitalisation du cheptel chinois va se traduire par une pénurie de viande sur le marché chinois, mais aussi sur une grande partie du marché asiatique, puisque nos amis vietnamiens, cambodgiens, laotiens, thaïlandais, coréens, japonais et philippins se trouvent exposés à une contamination dont on peut difficilement contenir l'expansion en l'absence de vaccin.

La conséquence évidente de cette situation, c'est que les Chinois vont importer davantage, ce qu'ils ont d'ailleurs déjà commencé à faire. En un mois et demi, le prix du porc est ainsi déjà passé de 1,17 euro à 1,42 euro sur le marché du porc breton du Plérin, dans les Côtes-d'Armor, une hausse de 25 centimes que les transformateurs peuvent difficilement répercuter jusqu'au consommateur, puisque la filière est régie par un système de relations commerciales à caractère contractuel et que les contrats ne peuvent être revus du jour au lendemain.

L'existence de cette crise mondiale étant quasiment inconnue du grand public, les consommateurs risquent d'être prochainement confrontés à une situation à laquelle ils ne s'attendent pas. Nous considérons pour notre part que la perte de 25 % à 30 % de la production mondiale de viande porcine aura des conséquences sur le prix de l'ensemble des viandes, mais aussi en termes d'alimentation humaine : ainsi, à l'échelle mondiale, le nombre de personnes n'ayant pas accès à la viande, qui s'élève à 800 millions d'individus, pourrait augmenter de façon considérable en raison du renchérissement des prix sur les marchés.

Les producteurs de porcs français auraient du mal à dire que cette situation est une calamité totale pour eux. La filière porcine, qui a connu au cours des dernières années des heures compliquées pour la rentabilité des exploitations, va en effet se retrouver dans une situation un peu meilleure, ce qui permettra sans doute de mettre en oeuvre plus facilement un certain nombre de dispositions préconisées par les États généraux de l'alimentation (EGA) de 2017, notamment celle consistant en une montée en gamme de la production.

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