Intervention de Olivier Noblecourt

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes :

Merci de me donner l'opportunité de présenter la part que peut prendre la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté dans les travaux plus généraux qui ont été engagés au sujet de la protection de l'enfance et d'avoir un échange avec vous sur la manière dont on pourrait peut-être affiner ou améliorer le pilotage de ces politiques publiques qui sont aujourd'hui en grande difficulté.

Je voudrais commencer par resituer le cadre global de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Comme son nom l'indique, le choix a été fait – c'était la volonté du Président de la République – de faire porter l'effort sur des politiques dont on parle beaucoup mais qui ont finalement été atrophiées ces dernières années, à savoir les politiques de prévention. Les deux premiers des cinq axes que compte cette stratégie nationale sont très directement centrés sur la question des mille premiers jours et sur l'ensemble des enjeux liés à l'accueil du jeune enfant : il faut développer l'offre d'accueil du jeune enfant, sous ses différentes formes et dans l'ensemble du pays, mais aussi améliorer la qualité éducative de cet accueil et répondre aux enjeux de mixité sociale qui sont liés à ce type d'accueil – c'est d'autant plus nécessaire que nous savons maintenant que les enfants qui tirent le plus grand bénéfice pour leur développement d'un accueil avant trois ans sont ceux les plus fragiles socialement.

Vous avez certainement entendu parler de l'« étude longitudinale française depuis l'enfance » (ELFE) parue il y a quelques mois– c'est la première étude de référence au niveau national, en France, sur une cohorte comptant près de 18 000 enfants. Elle montre notamment l'existence d'écarts de développement langagier à l'âge de deux ans. Jusque-là, l'ensemble des initiatives qui étaient adoptées l'étaient sur la base d'études internationales. Il n'y a pas de grande surprise : les études françaises confortent les résultats des études internationales, mais ces sujets sont assez passionnels et il était donc nécessaire que de telles démonstrations soient faites. Elles montrent aussi que la meilleure remédiation, en termes de politique publique, passe par l'accueil, notamment collectif, du jeune enfant. C'est pourquoi la stratégie nationale comporte des ambitions très importantes en la matière.

Vous avez certainement noté que la présidente du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, Sylviane Giampino, a remis la semaine dernière aux ministres concernés un rapport sur la qualité éducative de l'accueil du jeune enfant. C'est une question absolument centrale. D'une certaine manière, on déplace le coeur de ces politiques, qui était auparavant le service de garde rendu aux parents, vers les objectifs d'émancipation et du développement de l'enfant, dans une logique consistant à réduire ab initio les inégalités et à attaquer dès le départ les conséquences de la pauvreté sur le développement des plus jeunes.

C'est l'objet du deuxième axe de la stratégie de lutte contre la pauvreté, il s'agit de traiter la question de l'effectivité des droits essentiels des plus jeunes, notamment les enfants. Au-delà des problèmes de la pauvreté monétaire, qui sont très élevés pour un pays aussi riche que la France mais demeurent relativement contenus grâce à la forte redistributivité de notre modèle social, il faut s'intéresser à la pauvreté dite matérielle, c'est-à-dire en termes de conditions de vie. Elle fait l'objet d'études réalisées dans le cadre de l'Union européenne sur le taux de privation matérielle des familles, notamment des enfants. On voit que la performance française est singulièrement mauvaise du point de vue du taux de privation des enfants. Nous faisons malheureusement partie des mauvais élèves de l'Union européenne pour le taux de privation des enfants en ce qui concerne l'alimentation, un logement bien chauffé, la culture, les loisirs, les vacances ou l'habillement. Permettez-moi de vous renvoyer sur ce point à un rapport remis en automne 2017 par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES).

Le dernier point relatif à l'effectivité des droits essentiels des plus jeunes concerne le logement et l'offre d'hébergement, notamment l'adaptation de l'offre d'hébergement d'urgence et d'insertion à la réalité du public de la rue, qui s'est familialisé. Notre offre d'hébergement a été pensée pour des personnes seules – des hommes seuls dans la plupart des cas. Même s'il existe des Centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dits « femmes-familles », l'immense majorité des places s'adressent à des hommes seuls. Il y a donc un problème d'adaptation du parc.

La stratégie de lutte contre la pauvreté vise également à répondre à une question essentielle qui est la sortie, pour le jeune majeur, de l'aide sociale à l'enfance. Je sais que vous avez délibérément exclu cette problématique de votre périmètre puisqu'une mission a été confiée à Brigitte Bourguignon sur ce sujet.

Nous tenons à bien distinguer – et ce n'est pas une précaution formelle, mais une nécessité pour la clarté de la politique publique que nous menons – les questions sociales liées à la pauvreté et celles qui concernent la protection de l'enfance. Pauvreté ne veut pas forcément dire enfance en danger, et enfance en danger ne signifie pas nécessairement pauvreté. Il faut se méfier d'un certain nombre de raccourcis. Il y a néanmoins une réalité qui est la prévalence des phénomènes de pauvreté dans le cadre de l'enfance en danger, quels que soient les risques en question. Il existe aussi cette forme de trappe à pauvreté que constitue la sortie des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance, notamment avec le passage à l'âge de la majorité. Le phénomène des sorties non accompagnées, dites « sèches », s'est développé ces dernières années sous la double pression de l'augmentation des besoins des jeunes, notamment les mineurs non accompagnés (MNA), et des restrictions budgétaires du côté des collectivités, avec les contraintes pesant sur les budgets départementaux du fait de l'augmentation des dépenses consacrées au versement d'allocations.

Avant de parler très directement de ce que nous avons prévu pour la sortie de l'aide sociale à l'enfance, je voudrais revenir sur quelques constats qui ont été relayés dans le cadre de la concertation et qui continuent à l'être – je me rends, en effet, toutes les semaines dans nos territoires, aux côtés des travailleurs sociaux et des élus des départements. Ce que je vais dire n'a aucune prétention à l'exhaustivité, mais je tiens à vous faire part d'un certain nombre d'analyses et de constats.

Tout d'abord, l'hétérogénéité de la politique de protection de l'enfance saute aux yeux, d'une façon qui est totalement attentatoire à une logique de service public à l'échelle du territoire national. Les pratiques départementales sont beaucoup trop différentes les unes des autres, notamment en ce qui concerne leurs moyens. On peut dire la même chose de la protection maternelle et infantile (PMI) – un rapport de Michèle Peyron détaille la situation d'hétérogénéité et de grande vulnérabilité qui existe aujourd'hui – mais aussi de la prévention spécialisée. Dans quatorze départements de notre République, il n'existe plus de service de prévention spécialisée : il n'y a plus aucune association financée à ce titre. Il y a donc des failles dans les territoires, des déserts d'intervention sociale proprement insupportables sur ces sujets qui concentrent tant de souffrance.

Je vais me livrer à un exercice un peu paradoxal. Nous ne cessons de dire, dans le cadre de la mise en oeuvre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, qu'il faut faire de l'enfant en situation de pauvreté un enjeu de politique publique en soi. Dans les politiques sociales, bien souvent, on réduit la question de la pauvreté des enfants à la situation des parents en se disant qu'un enfant pauvre, ce sont d'abord des parents qui sont pauvres – il faut donc aider les parents et l'enfant ira mieux. C'est un bon principe : des parents qui vont bien, ce sont des enfants qui vont bien, mais il y a des formes de pauvreté qui sont spécifiques à la situation des enfants. J'ai évoqué tout à l'heure les taux de privation. Je vais maintenant aller un peu rebours de cette idée : il faut veiller à prendre soin de l'enfant, que ce soit dans le cadre d'un accueil familial ou dans une structure, mais il faut aussi très attentif à la place des parents dans l'accompagnement. Le secrétaire d'État Adrien Taquet a fait de cette question un point important de la concertation qu'il a lancée.

Je voudrais insister sur la politique de la petite enfance, soit dans la perspective d'une alternative au placement, soit en accompagnement de mesures d'assistance éducative ou de placement. Vous connaissez certainement l'exemple des crèches préventives développées par l'association « Enfant présent ». Elles permettent non seulement d'assurer une prise en charge de l'enfant, mais aussi de faire en sorte qu'il y ait du temps de travailleur social dédié à l'accompagnement des parents. Cela nous paraît une voie tout à fait féconde pour faire de la petite enfance un temps d'épanouissement de l'enfant mais aussi de travail sur la relation parents-enfants avec l'étayage des fonctions parentales qui peut être assuré par une structure de type crèches – un établissement d'accueil du jeune enfant ou une crèche familiale. Il y a dans ce domaine un champ d'expérimentation et d'hybridation qui est ouvert et important.

Au risque d'enfoncer une porte ouverte, puisque vous êtes très mobilisés sur ces sujets, je veux également souligner l'immense fragilisation des structures de médiation familiale, notamment les espaces de rencontre pour les visites médiatisées sur décision de justice. Ces structures associatives ont été très fragilisées depuis une dizaine d'années. J'ai eu à suivre, dans un territoire où j'étais élu et qu'une parlementaire assise en face de moi connaît bien, la disparition d'une association qui gérait des espaces de rencontres et qui avait déjà, à l'époque, plusieurs mois de file d'attente.

J'interroge systématiquement les associations dans le cadre de mes pérégrinations sur le terrain. Il existe un droit à la vie familiale, mais il n'est pas respecté dans certaines situations de placement. Souvent, le droit de visite des pères n'est pas effectif. Cela engendre de la souffrance pour les parents et les enfants, de la colère sociale, de l'incompréhension vis-à-vis du fonctionnement des services sociaux et de la défiance. Cela conduit à des conséquences en cascade qui sont particulièrement lourdes.

Les espaces de rencontre font partie de nos priorités, avec le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), dans le cadre des 30 millions d'euros supplémentaires pour l'appui aux politiques de soutien à la parentalité qui sont prévus au titre de la convention d'objectifs et de gestion de la branche famille. C'est un vecteur très important, d'autant que ces espaces de rencontre peuvent être utiles, et j'en viens très directement aux objectifs de la protection de l'enfance, afin d'éviter un syndrome qui existe parfois. Il ressort de mes échanges avec des professionnels de la protection de l'enfance que l'on met un peu les enfants sous cloche dans le cadre de l'ASE. On les coupe vraiment de leur famille. Or, selon les professionnels, il faut aussi que les enfants puissent « éprouver » la cellule familiale : il faut qu'ils puissent s'y reconfronter, même si c'est difficile – cela doit être accompagné. Ce n'est pas vrai dans toutes les situations – cela ne concerne pas celles qui peuvent mettre en danger l'enfant – mais il y en a où c'est possible dès lors que c'est médiatisé.

Il y a l'enjeu de la place des parents dans la prise en charge, il y a la question de l'accueil familial, des villages-familles et de toutes les structures qui permettent de faire droit à la présence des parents, et il y a aussi la question des centres parentaux. On rencontre beaucoup de jeunes mères mineures, notamment outre-mer. Il y a en effet un retour des grossesses précoces dans un certain nombre de territoires vulnérables, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur la prise en charge. Des professionnels ont évoqué devant moi des cadres d'intervention médiatisée au cours de week-ends, de vacances ou de séjours où le travailleur social, l'éducateur, est présent de manière interstitielle, non-continue, non permanente, pour recréer des temps d'échange entre les parents et les enfants.

Il est absolument essentiel que dans toutes les situations qui mêlent des situations de mise en danger des enfants, qui sont propres à la protection de l'enfance et sur lesquelles je ne me prononce pas, et des problématiques sociales, de difficulté ou d'incapacité des parents à agir, on ne laisse pas ces derniers démunis. Il y a beaucoup de situations de placement dans lesquelles les liens entre les éducateurs et les travailleurs sociaux qui restent en contact avec la famille, dans le cadre de la polyvalence de secteur, par exemple, sont limités. Des parents n'arrivent pas à suivre le projet pour l'enfant (PPE) parce qu'ils ne peuvent pas venir aux réunions – ils habitent à plusieurs kilomètres et ne sont plus mobiles. Je parle des cas où il existe des PPE – ce n'est pas toujours vrai, mais on est dans une logique où les acteurs veulent être vertueux. Associer les parents au PPE, ce qui est l'essence même de ce dispositif, suppose qu'ils en aient la capacité.

L'accompagnement des parents est un aspect absolument central dans la réflexion qu'il faut développer en partant des professionnels de la protection de l'enfance et en s'appuyant sur le maillage qui existe avec tout l'écosystème social présent dans les territoires. Il me semble que si la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté peut avoir aussi un impact bénéfique sur les politiques de protection de l'enfance, c'est à travers le croisement des politiques publiques.

Une de nos grandes priorités est le réinvestissement dans les politiques d'accompagnement, au sens large du terme, des personnes les plus vulnérables – c'est-à-dire l'accompagnement médico-social, l'accompagnement social ou l'accompagnement professionnel et vers l'emploi. En ce qui concerne l'accompagnement médico-social, je pense à tous les types de prise en charge des personnes ayant des addictions ou des pathologies psychiatriques et qui, bien souvent, quand ils sont parents, ont des enfants en situation de placement. On trouve cette situation, par exemple, dans les appartements de coordination thérapeutique, dans les lieux d'accueil médicalisés et parfois dans les lits halte soins santé (LHSS), où les personnes sont dans des états de santé particulièrement critiques.

Dans tous ces dispositifs, pour lesquels la stratégie nationale prévoie une montée en puissance – les crédits vont augmenter de près de 30 % sur les quatre prochaines années au titre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) médico-social –, il y a du temps de travail social et d'accompagnement pour des adultes qui sont parfois des parents et pour lesquels il faut investir des moyens. Il peut s'agir de renforcer le lien dans un cadre permettant de tenir compte des besoins d'accompagnement de l'enfant sans oublier les parents – je pense au PPE.

Je ne me pose pas en juge : je tiens simplement à insister sur l'idée que les parents doivent avoir toute leur place dans l'accompagnement, et donc qu'ils puissent eux-mêmes être accompagnés. Il ne faut pas qu'ils vivent la prise en charge de leur enfant, par exemple dans le cadre d'un PPE, comme un facteur de complexité, comme un dispositif qui leur échappe, qui est piloté par des professionnels selon des nomenclatures, des codes et même une terminologie qu'ils ne comprennent pas, avec un rythme et des modes opératoires totalement incompatibles avec leurs conditions d'existence.

C'est un point absolument majeur : quand on a affaire à des parents en situation de pauvreté, isolés, en souffrance psychosociale, ayant une pathologie psychiatrique, une addiction ou d'autres difficultés encore, et qui sont des parents défaillants du fait de leur situation, on doit aussi s'attaquer à elle. Il y a une complémentarité de l'action publique qui doit mieux trouver sa place aujourd'hui, notamment dans le cadre contractuel qui a été proposé au titre de la stratégie de lutte contre la pauvreté.

Pour des raisons qui tiennent au bon équilibre des politiques publiques, nous nous sommes limités à traiter la question de la sortie de l'aide sociale à l'enfance en proposant aux départements un dispositif contractuel qui vise à garantir aux jeunes majeurs une forme de droit à l'accompagnement, et non à une prise en charge – j'insiste fortement sur cette distinction.

Notre ambition est de mettre un terme à la rupture de l'accompagnement qui est liée au passage à la majorité. Cela ne signifie pas qu'il s'agit de prolonger jusqu'à 21 ans l'obligation de prise en charge des jeunes par les départements. Cela reviendrait, en réalité, à leur imposer des charges nouvelles qui représenteraient des montants très importants. Une place en maison d'enfance à caractère social (MECS) coûte entre 40 000 et 60 000 euros par an. Les mesures d'accompagnement, au sens large du terme, c'est-à-dire socio-éducatif, que nous prévoyons coûtent entre 2 000 et 4 000 euros par an.

L'objectif est très clair : il consiste à favoriser l'accès au droit commun, en pleine cohérence avec ce que prévoient les lois de 2007 et de 2016 en ce qui concerne la préparation de la sortie et avec la nécessité d'adapter l'accompagnement socio-éducatif à la situation du jeune et à son projet de vie. Il s'agit d'éviter l'injonction à l'autonomie ou à l'entrée dans tel ou tel dispositif que beaucoup de jeunes connaissent dès le moment de la préparation de la sortie en se plaçant plutôt dans une logique d'accompagnement au long cours du projet de vie, et donc du projet d'insertion professionnelle, lorsqu'il existe, ou du projet d'études, par la solvabilisation de l'effort d'accompagnement.

Nous avons fait élaborer un référentiel de sortie accompagnée de l'aide sociale à l'enfance en assumant une logique initiale minimaliste. Il comporte un socle de garanties que tout jeune de 18 ans doit avoir, qu'il reste dans le giron de l'ASE ou qu'il aille voler de ses propres ailes, de son fait ou de celui de la collectivité. J'imagine que vous avez déjà pu consulter ce référentiel, qui comporte cinq parties.

La première, qui est très importante, concerne le maintien du lien : le jeune doit pouvoir garder un référent éducatif dans le service de protection de l'enfance et il doit y avoir des structures de soutien aux jeunes dans chaque département – des associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (ADEPAPE) ou d'autres associations pouvant servir de portes d'entrée pour des jeunes majeurs. Il y a ensuite la question de l'accès à un hébergement stable ou à un logement – il ne faut pas que le jeune soit à la rue. C'est une revendication très légitime qui est défendue par un certain nombre de collectifs de jeunes issus de l'ASE. Il y a aussi la question de l'accès aux droits, à des ressources et à la santé, c'est-à-dire à des droits sociaux, et celle du projet d'insertion professionnelle.

Tout cela doit faire l'objet d'une obligation d'accompagnement vers des dispositifs de droit commun et vers ce que permettent les initiatives locales pour les jeunes majeurs : il faut repenser les formes d'accompagnement qui leur sont destinées. Dans ce que nous avons voulu inscrire dans la stratégie de lutte contre la pauvreté, il y a l'idée que l'accompagnement des jeunes majeurs ne doit probablement pas se limiter au secteur socio-éducatif : il faut aller davantage vers le champ de l'insertion. On doit essayer de pousser les acteurs concernés à inventer des modes d'accompagnement hybrides. Certaines structures proposent, par exemple, des accompagnements de type « écoles de la deuxième chance », avec une place en foyer de jeunes travailleurs (FJT) et un référent éducatif, ce qui nous paraît très vertueux. Au risque de m'exprimer d'une manière un peu caricaturale, il vaut mieux avoir une place dans un FJT plutôt que dans un CHRS ou un centre d'hébergement d'urgence. Ce qui est essentiel pour beaucoup de ces jeunes est l'accompagnement dans l'insertion professionnelle, dans le projet de vie, dans l'accès au marché du travail. Il faut les rapprocher du monde de l'insertion.

Allouer entre 2 000 et 4 000 euros pour assurer un accompagnement éducatif n'est pas une mesure bidon : cela permet d'avoir un éducateur pour 20 ou 30 jeunes. Le département peut internaliser l'accompagnement et recruter un éducateur de plus ou confier cette mission à une association, à un prestataire. De grands opérateurs associatifs proposent un accompagnement de jeunes majeurs pour environ 2 000 euros – parfois un peu moins ou un peu plus. Il y a des variantes. Les acteurs des territoires ont suffisamment d'intelligence collective pour trouver les voies qui conviennent. Les crédits proposés au titre de la stratégie nationale permettent de répondre à un besoin dans les départements qui n'en auraient pas les moyens. C'est un point central.

Nous ne nous sommes pas limités à cela. Le projet de loi pour une école de la confiance, présenté par Jean-Michel Blanquer et que vous avez adopté en première lecture, comporte une obligation de formation pour tous les jeunes jusqu'à 18 ans. C'est ce qui se passe après 18 ans qui nous intéresse, en termes de sortie, mais il est plus facile d'assurer la suite lorsqu'un jeune est en formation jusqu'à 18 ans que s'il a décroché et fait partie des NEET – not in employment, education or training – , qui sont loin de tout.

Dès 2019, nous avons porté de 8 à 48 millions d'euros l'enveloppe prévue pour le parcours d'accompagnement contractualisé vers l'emploi et l'autonomie (PACEA), qui est, d'une certaine manière, la « maison-mère » de la garantie jeunes, en mode un peu dégradé : 1 200 euros peuvent être mobilisés sur une période de trois mois ou d'une manière plus lissée dans le temps pour apporter des solutions en matière d'hébergement, de mobilité ou de besoins de santé – pour tout besoin interstitiel du jeune. Cela peut aussi concerner un besoin de ressources pour survivre, comme dans le cadre d'un Fonds d'aide aux jeunes. Le PACEA peut être utilisé dans cette logique. Le montant prévu pour 2019 est de 48 millions d'euros, je l'ai dit, et l'on passera ensuite à 100 millions par an jusqu'en 2022. Ce sont des moyens tout à fait considérables.

Nous réinvestissons également le champ de la prévention spécialisée, ce qui est inédit de la part de l'État. Un montant de 5 millions d'euros a été dégagé pour solvabiliser un effort supplémentaire des départements et des intercommunalités qui le souhaitent. Notre grille de lecture consiste à s'intéresser aux jeunes adultes – aux 16-25 ans, mais on va cibler le dispositif sur les 18-25 ans. Vous savez que la prévention spécialisée a tendance à rajeunir son public, à se tourner plutôt vers les plus jeunes. Nous voulons, au contraire, réinvestir le champ de l'accompagnement des jeunes adultes, notamment en soirée et le week-end – c'est là que l'on trouve les jeunes. Il y aura, je le répète, 5 millions d'euros pour la prévention spécialisée chaque année.

Nous investissons, par ailleurs, dans les points d'accueil et d'écoute des jeunes (PAEJ). Ce sont des structures associatives intéressantes parce qu'elles sont situées sur la première ligne de front pour les jeunes les plus éloignés. Beaucoup de ceux qui se retrouvent un peu en errance ou en déshérence à la sortie de l'ASE passent par les PAEJ. Il y a une forte proportion de jeunes passés par l'ASE parmi leur public. Ces structures prennent notamment bien en compte la question de la souffrance psychique des jeunes et de leur santé mentale. Il y a beaucoup d'aspects qui sont bien accompagnés par les PAEJ. Nous allons augmenter de 80 % le financement de l'État, qui passera de 5 à 9 millions d'euros par an dès 2019.

Nous avons aussi créé un certain nombre d'outils de mobilisation, notamment avec le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) pour favoriser l'accès aux résidences sociales des centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) des jeunes qui suivent un parcours dans l'enseignement supérieur et avec l'Assurance maladie pour qu'un bilan soit fait dès l'âge de 17 ans afin que les jeunes aient une couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) automatiquement à 18 ans, d'une façon pré-remplie, en évitant ainsi toute rupture des droits liés à la santé. Je sais que vous avez prévu une table ronde sur ces sujets qui sont absolument centraux.

On doit alimenter ces référentiels pour que le recours au droit commun ne soit pas une manière incantatoire de régler les questions. Il faut au contraire que le droit commun soit réellement rendu accessible et que les jeunes soient véritablement accompagnés vers lui.

L'outil contractuel, sur lequel je vais conclure mon intervention liminaire, a interpellé beaucoup d'acteurs, notamment les jeunes. Ils nous ont dit, finalement, que c'était bien d'avoir un référentiel. Vous savez qu'il a été élaboré par un groupe de travail qui était présidé par Fouzy Mathey, dans lequel les jeunes issus de l'ASE étaient majoritaires – nous y tenions –, et qui comptait aussi des représentants des départements. Nous savions dès le départ que nous demandions aux jeunes de réaliser un exercice très frustrant, très difficile, en partant d'une logique de socle minimal d'accompagnement pour garantir, au moins, la fin des sorties sèches. On avait conscience que cela n'épuisait pas toute la question.

Comme cet outil mobilisant 12 millions d'euros par an fait l'objet d'une contractualisation, on nous a dit que seuls les départements volontaires y auraient recours et que l'on n'imposerait donc rien. Je crois que le mode nouveau et moderne de relation entre l'État et les départements est le cadre contractuel. Il est finalement très peu fécond d'imposer brutalement un transfert de charges. Il y a des enjeux d'adaptation, d'évolution et d'homogénéisation des pratiques sans que cela implique une uniformité : il faut tirer l'ensemble du système vers le haut en faisant en sorte que chacun se sente embarqué dans cette grande entreprise de refonte des politiques publiques au lieu de fonctionner à coups de menton et par injonctions normatives – cela ne marche plus.

Je voudrais porter à la connaissance de la représentation nationale le fait que 97 départements sont en train de finaliser leur négociation avec l'État sur la contractualisation au moment où je m'exprime. Le premier élément du socle de cette contractualisation, qui est un point non négociable, obligatoire, sans lequel il n'y aura pas de contrat entre l'État et les départements, est la fin des sorties sèches et la mise en oeuvre du référentiel. Je ne dis pas qu'il y aura 97 départements signataires au 30 juin – il y aura probablement un écart à la fin – mais nous serons très probablement au-delà de 90 % de départements concernés par cette contractualisation dès la première année. Nous allons installer dans les territoires des hauts commissaires à la lutte contre la pauvreté : ils vont être nommés avant la fin du mois de juin. Ils seront les garants du bon déploiement du dispositif aux côtés des préfets, sous l'autorité desquels le cadre contractuel sera placé.

Nous avons créé un cadre collaboratif. Ce sont les acteurs de terrain qui sont mobilisés. Ce cadre collaboratif est mis en oeuvre sur une plateforme numérique où plus de 5 000 acteurs des territoires sont déjà identifiés et interagissent. Un des quinze chantiers opérationnels dans cet espace collaboratif numérique, qui n'est pas un gadget, j'insiste sur ce point, est la fin des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance. Il y a des jeunes issus de l'ASE qui animent les groupes de travail. Ils vont pouvoir faire du benchmarking des bonnes pratiques et tirer le système vers le haut avec les départements, les associations et l'ensemble des acteurs. Il me semble qu'avoir un cadre ambitieux, partagé par l'État et les collectivités territoriales, et un appui réel pour les pratiques des professionnels, avec la participation des jeunes concernés, constitue un peu l'alchimie dont nous avons besoin pour assurer un changement de politique publique qui est absolument indispensable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.