Intervention de Olivier Noblecourt

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 16h15
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes :

Évitons-nous toute fausse interprétation, madame la rapporteure. Si je n'ai pas été suffisamment clair, je vais préciser mes propos. D'abord, je vous ai dit que, pour ce qui concerne la question des parents et des enfants, tout mon combat consistait à garantir des droits essentiels aux enfants et à assurer leur socialisation précoce. Cela ne date d'ailleurs pas de ma nomination : j'ai commis quelques rapports sur ces sujets dans une vie antérieure, il y a plus de dix ans, et j'ai mis mes idées en pratique en tant qu'élu local. Autant dire que nous sommes parfaitement d'accord. La priorité est donc avant tout, évidemment, l'enfant lui-même et le respect de ses droits essentiels. Toutefois, et dans la mesure où l'intérêt d'une audition est non pas de se contenter de redire les choses habituelles, mais de proposer des réflexions, je signalais également que j'avais été très frappé par le fait que les jeunes insistaient sur l'écart trop important entre ce qu'ils vivaient dans certaines structures et ce qu'ils vivaient dans leur famille. Ce constat, d'ailleurs, provient non pas uniquement de mes échanges avec des jeunes placés ou issus de l'ASE, mais également de contacts avec des professionnels – gestionnaires de structure et éducateurs. Je me place uniquement du point de vue social et mets donc de côté la question de la protection liée à la violence ou à différentes sortes de maltraitance, des choses telles qu'il va sans dire que le maintien de liens n'est tout simplement pas possible dès lors que l'on souhaite protéger l'enfant : même si je ne suis pas compétent pour émettre un avis général sur le sujet, il m'apparaît que certains liens sont, de fait, pathogènes. Ce que je peux simplement dire, en termes de recommandations et de politiques publiques, c'est que certains placements pourraient probablement être évités par un meilleur accompagnement des familles et par le choix d'autres solutions. J'imagine, d'ailleurs, qu'il s'agit de l'un de vos sujets de réflexion. L'aspect social à lui seul ne saurait donner lieu à un placement – nous avons un débat sur le sujet avec ATD Quart Monde et d'autres associations. C'est un sujet important. Le regard que l'on porte sur certaines familles est parfois plus dur qu'il ne le faudrait en raison de la pauvreté dans laquelle elles vivent. Il y a un jugement sur la pauvreté.

Le sens de mon propos était de dire que, dès lors que la famille est très vulnérable sur le plan social en raison de sa pauvreté, il ne faut pas oublier de l'accompagner : les parents doivent être eux aussi soutenus, sous peine de créer des écarts qui rendent encore plus difficile le maintien du lien avec l'enfant. Le maintien de ce lien, je le répète, doit rester un objectif de politique publique. Ce n'est pas un diktat qui doit tout conditionner, vous l'avez très justement rappelé, mais, pour moi, l'importance du maintien du lien et de la place des parents me paraît évidente. De ce fait, la nécessité d'accompagner les parents doit être prise en compte de manière majeure dans nos réflexions, notamment dans l'articulation des politiques publiques. Je ne dis pas que l'ASE doit accompagner les parents ; je dis qu'elle doit mieux travailler avec les services dans les territoires – j'évoquais, par exemple, la polyvalence qui permet d'accompagner les parents en situation de fragilité. Je pense donc qu'en définitive, madame la rapporteure, nos propos sont relativement convergents. Au-delà de la nécessité de protéger les enfants et de garantir le respect de leurs droits fondamentaux, je voudrais qu'on se donne aussi de nouveau pour objectif, dans les pratiques de travail social, de conserver une place pour les parents.

Je voudrais insister sur le fait qu'il ne faudrait pas que nos réflexions et les nombreux discours qu'on entend actuellement conduisent à noircir trop le tableau. Certes, il y a des choses dramatiques et même inacceptables dans l'ASE – un reportage l'a montré –, mais on enregistre aussi beaucoup de belles réussites, dans de nombreux endroits, l'ASE fonctionne : certains établissements sont merveilleux, certains éducateurs font un travail formidable, certaines familles d'accueil sont exceptionnelles. Il y a donc aussi beaucoup de belles histoires dans l'ASE ; nous en connaissons toutes et tous.

Au-delà de ces aspects, vous avez soulevé, madame la rapporteure, une importante question de politique publique. Comme vous, j'ai lu l'interview de Fouzy Mathey Kikadidi dans Libération. Il y a une légère différence entre le résultat du travail que nous avons conduit avec elle, et qu'elle a présenté comme le sien – je rappelle qu'elle présidait le groupe de travail dont est issu le référentiel –, et ce qu'elle déclare. J'en reparlerai avec elle. Peut-être est-elle insatisfaite de son travail. Quoi qu'il en soit, je suis un peu gêné par sa démarche. Il y avait une lettre de mission. Elle a accepté cette mission, qui était clairement circonscrite à un enjeu, à savoir la fin des sorties sèches de l'ASE. Il ne s'agissait pas de l'accompagnement global des jeunes majeurs, ce qui est un autre sujet, plus large, au coeur de la mission confiée à Brigitte Bourguignon et enjeu de la mobilisation des ADEPAPE – notamment à travers le réseau Repairs. Cette mobilisation est parfaitement légitime. J'ai eu l'occasion de le dire aux jeunes : je partage leur combat, mais c'est un autre enjeu.

Je n'oppose pas les différentes formes de vulnérabilité dans la jeunesse. Je ne considère pas – et vous ne me le ferez jamais dire, parce que je pense et j'ai écrit l'inverse, et notre stratégie va exactement dans le même sens – qu'il ne faut pas investir dans la jeunesse et qu'on doit se contenter de payer après coup les charges découlant d'un mauvais accompagnement au départ. Si nous posons l'obligation de formation, c'est parce que, quand un jeune décroche, cela représente non seulement plus de souffrance pour lui, mais aussi un coût supérieur pour la société. Il faut donc maintenir plus longtemps les jeunes en formation.

Je suis profondément convaincu du bien-fondé de cette démarche, qui repose notamment sur la théorie de l'investissement social. J'ajoute, toutefois, que c'est l'ensemble des droits des jeunes qu'il faut faire progresser. Ne faites donc pas de moi ce que je ne suis pas, c'est-à-dire un adversaire de nouveaux droits pour les jeunes. Nous allons ouvrir dans quelques semaines, sous l'autorité des ministres concernés, la concertation sur le revenu universel d'activité (RUA), et je fais partie de ceux qui se sont battus pour qu'elle inclue la question de l'accès à un minimum social pour tous les jeunes jusqu'à 18 ans. Il y aurait certaines conditions et contreparties, notamment en termes d'accompagnement, mais l'idée est bel et bien de faire en sorte que tous les jeunes fragiles soient concernés, et non pas uniquement les jeunes issus de l'aide sociale à l'enfance – car, vous le savez, ces derniers ne sont pas les seuls à être vulnérables.

Vous me demandez en quoi le référentiel permettra à des jeunes de faire des études. Un grand nombre de jeunes, sans être sortis de l'ASE, connaissent des situations de rupture familiale, bénéficient d'une bourse – peut-être faut-il réévaluer les bourses, mais c'est un autre sujet – et reçoivent une aide au logement. En l'absence de soutien familial, ils ont besoin d'un accompagnement éducatif. Or, madame la rapporteure, excusez-moi de vous le dire, le fait de consacrer entre 2 000 et 4 000 euros à chaque jeune permet de leur fournir un référent éducatif – et ce ne sera pas seulement un éducateur le prenant au téléphone de temps en temps. La fourchette envisagée permettra de garantir un éducateur pour 15 à 30 jeunes. Or un bon éducateur, qu'il soit dans un service de protection de l'enfance ou dans une association spécialisée, est capable d'effectuer un suivi tout à fait sérieux pour une vingtaine de jeunes à la fois, et heureusement. Par ailleurs, en effet, les jeunes seront solvabilisés, car ils doivent avoir des ressources. Tout cela, nous l'avons écrit.

La principale question de politique publique n'est pas de savoir s'il faut ou pas de nouveaux droits pour les jeunes les plus vulnérables – bien sûr, il en faut. L'enjeu est d'ouvrir des droits nouveaux pour l'ensemble des jeunes vulnérables, en l'occurrence faciliter l'accès à la CMU-C, au revenu universel d'activité – quand il aura été mis en place –, ou encore aux résidences sociales des CROUS. Je suis en train de mettre en place avec l'Union nationale pour l'habitat des jeunes (UNHAJ) un partenariat destiné à améliorer la place des jeunes vulnérables dans les foyers de jeunes travailleurs (FJT). Il existe en effet un paradoxe terrible : dans les FJT, la logique présidant à l'entrée des jeunes est déterminée par la perspective de leur sortie, c'est-à-dire qu'on fait entrer un jeune dont on est certain qu'il a assez de ressources pour en sortir, autrement dit avoir accès au logement. Les jeunes vulnérables n'ont donc plus accès à ces foyers, ou très peu et de manière très hétérogène selon les territoires. Nous allons donc mettre en place, dès cette année, un fonds national de solvabilisation pour que les jeunes vulnérables aient accès aux FJT. Mon sentiment – peut-être suis-je pusillanime ou insuffisamment ambitieux, mais je ne le crois pas – est qu'en donnant un véritable objectif et de réels moyens pour l'accompagnement de tous ces jeunes, mais aussi en renforçant le droit commun pour l'ensemble des jeunes vulnérables, nous créons un environnement favorable pour tous. Quand je parle de droit commun, je fais référence à des dispositifs comme la garantie jeunes, le PACEA – que j'ai déjà évoqué –, ou encore le revenu universel d'activité. Il y a aussi les droits liés à la santé. À cet égard, le 1er novembre prochain, interviendra la fusion de l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) et de la CMU-C. Cette mesure aura un impact important. Nous procédons ainsi à des simplifications dans l'accès aux droits, dont le RUA sera, d'une certaine manière, la concrétisation définitive.

Pour les jeunes vulnérables issus de l'ASE, qui présentent une fragilité spécifique, liée évidemment à l'absence de cadre familial et au fait que leur « parent » départemental peut être défaillant, il faut garantir l'accompagnement. Cela suppose de les solvabiliser. Pour moi, ce qui compte, c'est vraiment qu'ils soient accompagnés, qu'aucun d'entre eux ne reste sans qu'une main secourable ne lui soit tendue, sans qu'il sache à qui s'adresser. En effet, le plus terrible, dans ce qui ressort de ce que disent les jeunes, c'est le sentiment qu'ils sont totalement livrés à eux-mêmes et isolés. Je n'ai pas pu lire les comptes rendus de toutes les auditions que vous avez conduites, et je n'ai pas non plus votre expérience de vie personnelle, madame la rapporteure, mais j'ai tout de même rencontré un certain nombre de jeunes. Ils ont le sentiment, plus aigu encore et exacerbé qu'il peut l'être chez beaucoup d'autres personnes dans notre société, que nos politiques d'accompagnement se sont trouvées atrophiées – je le disais tout à l'heure.

Pour les allocataires du RSA, comparativement au moment où le RMI a été créé, l'effort d'accompagnement a été divisé par trois. La PMI est en déshérence dans beaucoup d'endroits. La prévention spécialisée est inexistante dans certains territoires. C'est donc l'ensemble des politiques d'accompagnement qu'il faut renforcer. Or, à moins bien sûr de considérer que l'État doit recentraliser ces compétences – ce qui n'est pas mon cas, mais c'est un débat politique légitime et intéressant –, il faut construire un nouveau cadre avec les départements. Nous avons posé une première brique en instaurant la contractualisation. Le projet ne demande qu'à se développer. En effet, je ne vois pas comment certains départements pourraient durablement rester à l'écart de ce cadre contractuel.

S'agissant des sanctions, tout manquement à l'engagement pris concernant la fin des sorties sèches entraîne bien évidemment une reprise des crédits. Nous allons même vous proposer, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, la création d'un fonds de contractualisation. Cette année, le financement est assuré par l'ancien fonds d'appui aux politiques d'insertion (FAPI) et n'a pas d'existence législative en tant que telle. Il reviendra au législateur, dans sa sagesse, de décider, par exemple, si un manquement aux obligations entraîne une reprise à proportion des crédits ou de leur totalité.

Quoi qu'il en soit, je le redis ici : les préfets ont une instruction très claire. Aucune signature ne doit avoir lieu sans un engagement relatif à la fin des sorties sèches de l'aide sociale à l'enfance. Je veux bien qu'on me dise que c'est peu, mais j'insiste sur un point : le mécanisme est immédiatement opérationnel. Il existe depuis le 1er janvier 2019 et englobera la quasi-totalité des départements. Parmi ceux qui ont déjà signé, on trouve les départements qui sont les plus gros pourvoyeurs de situations critiques : la Seine-Saint-Denis, le Nord, la Haute-Garonne, le Bas-Rhin, la Meurthe-et-Moselle, la Loire-Atlantique, ou encore l'île de La Réunion – tous ces départements concentrent les situations de vulnérabilité pour les jeunes. En volume, dans les départements qui ont signé, on trouve plus du tiers et même presque la moitié des jeunes majeurs vulnérables concernés par la contractualisation.

Alors que des élus locaux et des professionnels de l'aide sociale à l'enfance considèrent que l'outil est pertinent, s'en servent pour améliorer leurs pratiques et prennent l'engagement clair – dont l'État examinera la réalité – de mettre un terme aux sorties sèches, je m'étonne que l'on nous dise que, par définition, c'est insuffisant. Excusez-moi de vous le dire mais, dès 2019, le dispositif va changer beaucoup de choses. Bien évidemment, il ne réglera pas tous les problèmes. Ceux qui ont dit – notamment les jeunes ayant élaboré le référentiel – que cette première brique n'était pas suffisante ont raison : il faut aller plus loin dans l'accompagnement des jeunes majeurs. Très probablement, il faudra d'ailleurs aller au-delà de 21 ans : il fut un temps où cette limite avait un sens, mais ce n'est plus le cas. Je suis totalement solidaire de ce combat, mais je redis que nous avons proposé un cadre concret, immédiatement opérationnel et qui n'est pas vide ; ce n'est pas de l'habillage.

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