Intervention de Général Philippe Lavigne

Réunion du mercredi 15 mai 2019 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Philippe Lavigne, chef d'état-major de l'armée de l'air :

De plus, de nouveaux équipements ont été livrés ou le seront dans l'année. Pour la chasse, nous avons touché les deux premiers pods de désignation laser Talios, actuellement en expérimentation, et nous recevrons des missiles de supériorité aérienne METEOR dont nous avons réalisé les premiers tirs depuis des Rafale en début d'année. C'est essentiel pour l'atteinte de la pleine capacité opérationnelle du standard F3R du Rafale prévu début 2020. Les derniers PC21 ont été livrés et nos élèves vont pouvoir voler avec ceux-ci dès ce mois de mai. Pour l'aviation de projection, nous avons reçu fin avril le quinzième A400M. Ses capacités tactiques s'affirment, avec blindage, posé sur terrain sommaire, ravitaillement en vol de chasseurs et largage de parachutistes en ouverture automatique par une porte. Le second A330 Phénix arrivera le mois prochain. Le premier KC130J sera livré d'ici la fin d'année, ouvrant la voie au ravitaillement en vol de nos hélicoptères Caracal, dont la spécialité est la mission dans la profondeur. Le premier des huit C130H sera modernisé au standard forces spéciales. Concernant les flottes de renseignement et de surveillance, nous avons reçu le simulateur Reaper, tant attendu, et nous recevrons les deux derniers systèmes avant la fin d'année, ainsi qu'un premier avion léger de surveillance et de reconnaissance. Les drones seront armés. S'agissant du contrôle de l'espace aérien, l'armée de l'air recevra cette année deux radars tactiques GM200, un radar d'approche et un centre de contrôle local d'aérodrome.

La préparation de l'avenir est aussi bien lancée. Au-delà des principaux équipements prévus dans la LPM, comme le Rafale F4, l'A330 Phénix, le CUGE ou les satellites CSO, CERES et SYRACUSE 4, nous préparons également le temps long. Des équipements emblématiques comme le système de combat aérien futur (SCAF), le successeur de l'AWACS, l'hélicoptère interarmées léger (HIL) et de futurs armements sont à l'étude.

Une plus grande prise en compte du domaine spatial pourrait avoir lieu, en fonction de la stratégie de défense spatiale qui sera retenue.

Je souhaite m'arrêter un instant sur le SCAF. C'est un projet qui avance. Un projet porteur de nombreux enjeux : opérationnels, technologiques et aussi de souveraineté. Nous avons rapidement convergé sur les besoins opérationnels communs, d'abord en franco-allemand, puis avec l'Espagne. La coopération s'est concrétisée par le lancement fin janvier d'une étude de concept conjointe pour définir ce que sera cet outil de combat constitué de systèmes multiples autour d'un avion et travaillant en réseau. En parallèle, de premières études de recherche & technologie font l'objet de négociations en cours, notamment pour être au rendez-vous du premier vol de démonstrateur avion et du développement d'un nouveau moteur.

Par ailleurs, nous encourageons et travaillons sur tous les types d'innovation : l'innovation du quotidien, qui facilite la vie des aviateurs, l'innovation opérationnelle, comme la simulation massive en réseau, le combat collaboratif connecté ou la maintenance prédictive. Nous travaillons également sur l'innovation technologique, comme l'hypervélocité, les armes à énergie dirigée, la collaboration homme-machine ou l'énergie. L'intelligence artificielle est au coeur de toute cette innovation. Nous avons d'ailleurs mis en place un processus simple pour favoriser cette dynamique, en lien avec l'Agence de l'innovation de défense.

J'ai tout de même quelques points d'attention, sur lesquels nous travaillons finement.

Le premier tient à notre capacité de détection et de contrôle. Nos radars et nos radios sol-air sont anciens, et nous avons déjà bien été retardés dans le passé pour leur renouvellement, qui est désormais prévu. Les conséquences opérationnelles sont aujourd'hui maîtrisées, même si nous avons quelques « trous dans la raquette » pour prendre en compte les nouvelles menaces comme les drones. Mais il ne faudrait pas que de nouveaux retards viennent excessivement fragiliser la posture permanente de sûreté aérienne. D'autant que s'ajoute à cela des difficultés sur le programme ACCS qui vise à doter l'OTAN et la France d'un système unique et intégré de commandement et de contrôle des opérations aériennes. Ce programme accuse du retard. Un plan d'action volontariste soutenu par la France et l'armée de l'air a été proposé. Or aujourd'hui, plusieurs nations qui ont fait le choix du F-35 souhaitent le remettre en cause. Le comité militaire de l'OTAN a demandé à ACT en janvier dernier l'étude de solutions alternatives, si bien que la décision de poursuite du programme devrait avoir lieu mi 2020.

Par ailleurs, notre flotte d'hélicoptères Puma est hors d'âge, et affiche une disponibilité insuffisante pour couvrir le fort besoin opérationnel outre-mer. Or, la perspective de leur renouvellement est lointaine. Nous travaillons donc à des options pour les remplacer de façon anticipée et maîtrisée en termes de coûts.

Pour réaliser les missions que je vous ai indiquées, l'armée de l'air s'appuie sur des aviateurs experts du milieu et des opérations aérospatiales. Or l'expertise, ça ne se décrète pas : c'est le fruit d'une expérience savamment accumulée, après des années d'opérations. Et nos aviateurs ont aujourd'hui une forte légitimité dans de nombreux domaines, comme l'emploi des drones, l'appui aérien, le contrôle tactique des aéronefs, les missions dans la profondeur, le ravitaillement en vol, le renseignement aérien, le ciblage et la planification et la conduite d'une campagne aérienne.

Ces compétences font référence au sein des grands commandements de l'armée de l'air et dans nos centres de formation. L'Air Warfare Center de Mont de Marsan en est un exemple. Le centre de formation à l'appui aérien de Nancy en est un autre. Nous réfléchissons à créer une école interarmées des drones, à partir de notre actuel centre d'excellence de Salon-de-Provence. Le commando parachutiste de l'air n° 30 devrait rejoindre les forces spéciales air. Nous avançons de façon très active dans le domaine de la lutte anti-drones.

Les milieux aérien et spatial ont aussi des spécificités, qui sont liées aux modes d'engagement des aviateurs.

Un premier exemple : l'aviateur opère depuis ses bases aériennes. Cela paraît trivial, mais nos A400M, nos C135, nos AWACS, nos drones Reaper et nos C160 Gabriel font quotidiennement des missions en opération extérieure, tout en décollant et se posant sur des bases aériennes métropolitaines ou projetées. Les chasseurs du raid Hamilton ont décollé depuis la métropole. Les avions de posture permanente de sûreté aérienne et de dissuasion également. Et pour faire décoller ces avions, afin qu'ils transportent du fret de combat, ravitaillent des chasseurs en BSS, surveillent des terroristes ou interceptent des bombardiers stratégiques, il faut mettre toute la base aérienne au rythme des opérations : les officiers renseignement, les sous-officiers mécaniciens, les militaires du rang agents d'opération, les contrôleurs aériens, les escales, les unités de protection, les pompiers, etc. Tout le monde vit sur le rythme des opérations. Ce qui fait des bases aériennes autant d'outils de combat complets, engagées sept jours sur sept, 24 heures sur 24. Cela nécessite un fort alignement des soutiens, des infrastructures opérationnelles, techniques et de vie, ainsi que la prise en compte des conditions particulières d'engagement des personnels, qui opèrent sur ou en opération sans pour autant nécessairement y poser le pied.

Un deuxième exemple : l'arme aérienne fonctionne avec un commandement centralisé. C'est une condition d'efficacité et d'économie des moyens. Ce qui n'empêche en rien d'en décentraliser l'exécution. Ce qui fait qu'il est difficile d'affecter définitivement un avion à un commandant de force, comme c'est le cas pour d'autres moyens militaires. Car la force opère dans un espace géographique donné, et l'avion s'affranchit des distances. Pour illustrer, un même A400M va travailler le lundi pour Barkhane, le mardi pour les forces françaises à Djibouti, le mercredi pour les forces françaises aux Émirats arabes unis, et le jeudi pour l'opération Chammal ! Et à chaque fois il vide l'escale. Nous n'avons pas les moyens d'affecter un A400M sur chaque théâtre. Il faut les partager. C'est pour cette raison, et aussi pour avoir la réactivité nécessaire dès le premier jour d'une nouvelle opération que nous commandons nos opérations depuis un centre permanent, le JFAC France de Lyon Mont-Verdun.

J'ai besoin de pouvoir compter sur une équipe forte, sur des aviateurs individuellement et collectivement forts pour ancrer cette expertise. En amont, cela suppose de les recruter. La DRH de l'armée de l'air a fait un gros travail depuis la phase de déflation qu'a connue l'armée de l'air pendant 15 ans, car il a fallu quasiment doubler nos objectifs de recrutement. Et cela fonctionne. Ensuite il faut les former. Là, un important chantier est en cours. L'objectif est de gagner du temps opérationnel, afin de permettre aux recrues de rejoindre plus rapidement les unités opérationnelles, le terrain. Les jeunes n'attendent que ça : ils ne veulent plus « sécher » sur les bancs d'école. Et l'armée de l'air a un besoin criant d'effectifs à employer. Nous profitons donc de l'apport du numérique et des outils modernes de formation pour gagner en agilité et en qualité. C'est la Smart School. Nous nouons des partenariats d'initiative locale pour développer les métiers de l'aéronautique, à Rochefort, Salon, Bordeaux ou Ambérieu. L'École de l'air a changé de statut, pour devenir un grand établissement public capable d'ajuster son offre de recherche et de formation aux besoins de l'armée de l'air – et de développer de nouvelles formations dans les domaines de l'espace, du cyber et des drones entre autres.

Nous développons aussi des formations continues, pour préparer les aviateurs à leurs futurs emplois tout au long de leur carrière. Par exemple, le centre de préparation opérationnelle du combattant d'Orange a mis en place un stage d'excellent niveau avant projection dans l'opération Sentinelle ou opérations extérieures. Nous allons également revisiter la formation des personnels navigants. Le but est d'avoir moins de changements d'avions dans la phase d'instruction, pour de meilleurs délais et qualité d'apprentissage. Toutes les pistes sont étudiées car les projections de format concernant les pilotes d'ici 2025 sont assez préoccupantes.

Car ma difficulté, aujourd'hui, n'est pas tant de recruter mais de fidéliser les aviateurs. Je vous ai rapidement parlé des pilotes, mais il y a bien d'autres métiers concernés tant l'attrait du civil constitue une concurrence puissante : spécialistes SIC des réseaux de communication, spécialistes nucléaires, contrôleurs aériens, mécaniciens, etc. Là aussi nous faisons feu de tout bois pour fidéliser. Évidemment, l'outil de travail y contribue. Et de ce point de vue la modernisation des équipements est très positive. Mais toutes les bases ne sont pas concernées, tout de suite. Il y a aussi un travail sur les conditions d'exercice du métier : des effectifs en nombre suffisant, le niveau d'entraînement, l'activité aérienne, les pièces de rechange, les infrastructures, la simplicité des processus administratifs, le soutien de proximité, la cohésion ou l'apport de certaines technologies – comme la vidéosurveillance ou les drones, pour compenser la faiblesse des effectifs de protection.

Tout ceci est lancé au sein du ministère, et devrait porter progressivement ses fruits. Mais c'est du temps long et d'ici là il faut conserver nos talents… C'est pourquoi nous cherchons à actionner également d'autres leviers, comme la reconnaissance, la rémunération, les parcours professionnels, la qualité et la transparence du dialogue avec le gestionnaire, les conditions de vie et le plan famille. Et puis nous allons lancer dès cet été, à petite échelle dans un premier temps, une dynamique en direction de la jeunesse - qui peut aussi porter ses fruits en matière de recrutement : les escadrilles air jeunesse. Cela s'adressera à des jeunes entre 12 et 25 ans, sélectionnés localement, et en parfaite cohérence avec le dispositif de service national universel. Le dispositif sera porteur d'une identité air, avec un parcours attractif et fidélisant, un fil conducteur aéronautique, et promouvra les valeurs, le savoir-être et le savoir-faire de l'aviateur.

Vous voyez que l'armée de l'air ne chôme pas ! Opérations, international, chantier de modernisation et de transformation, nombreux projets d'innovation et de préparation de l'avenir, fidélisation des aviateurs, cela fait une sacrée feuille de route… un plan de vol plus exactement !

Et je tiens à souligner que tout ceci est possible grâce à l'effort que consentent les Français pour leur défense. Nous en avons bien conscience. C'est pourquoi l'armée de l'air utilisera avec le plus grand sens des responsabilités les ressources qui lui sont confiées.

Avant de répondre à vos questions, je souhaitais faire quelques annonces sur les occasions que nous aurons de nous retrouver d'ici la rentrée. Tout d'abord, je souhaitais vous réitérer mon invitation à venir sur les bases aériennes. Nous proposons le 11 juillet un embarquement de votre commission sur la base aérienne de Cognac. C'est une base aérienne magnifique en plein chantier de modernisation concernant la formation des équipages, les drones et le renseignement aéroporté. Et puis je vous donne rendez-vous au Salon international aéronautique du Bourget, ainsi qu'à l'Université d'été de la défense, qui sera accueillie mi-septembre par l'armée de l'air sur la base aérienne d'Avord, un de nos plus anciens camps d'aviation près de Bourges.

Je suis désormais prêt à répondre à vos questions. (Applaudissements)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.