Intervention de Bruno Fuchs

Séance en hémicycle du jeudi 23 mai 2019 à 15h00
Coopération sanitaire transfrontalière suisse luxembourg — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Fuchs, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Il faut développer ces coopérations, d'autant que 170 000 Français traversent régulièrement la frontière pour travailler en Suisse, et qu'ils sont 100 000 à le faire pour rejoindre le Luxembourg. Si la demande sociale de coopération sanitaire est forte, pour différentes raisons, elle se révèle plus difficile à mettre en oeuvre avec le Luxembourg et surtout avec la Suisse qu'avec nos autres voisins européens.

Une première difficulté, commune à nos deux voisins, tient au fait que l'un et l'autre ont une très forte attractivité, un très haut niveau de vie et de salaires. Cette situation entraîne, du côté français de la frontière, une pénurie de professionnels de santé, et elle complique la gestion des hôpitaux. Les différences de coûts compliquent aussi les discussions transfrontalières sur la prise en charge des patients en raison des coûts des soins : le même acte de santé est bien plus coûteux en Suisse qu'en France. Cela constitue un frein assez puissant pour que les ARS – agences régionales de santé – permettent la prise en charge de patients français au Luxembourg ou en Suisse, alors qu'elle se ferait souvent plus rapidement. En Alsace, il faut par exemple six ou neuf mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste quand, de l'autre côté de la frontière, on attendra une semaine ou quinze jours. Cela montre tout l'intérêt de ces coopérations pour les citoyens.

Deux autres difficultés sont spécifiques à la Suisse. D'une part, ce pays fédéral est très décentralisé, ce qui demande de discuter avec chaque canton. D'autre part, la Suisse n'est pas membre de l'Union européenne : elle est liée à celle-ci par une multitude d'accords bilatéraux qui reprennent l'essentiel, mais pas l'intégralité, de l'acquis européen. Le cadre européen qui permet une certaine fluidité dans la prise en charge financière des soins transfrontaliers ne s'applique donc que partiellement.

Je rappelle que, sans le cadre européen général, la coopération transfrontalière serait beaucoup plus complexe en matière de soins de santé, car il faudrait négocier les prises en charge au cas par cas. Il s'agit d'une nouvelle démonstration éclatante de l'utilité et de l'importance de l'Union européenne dans le quotidien de nos concitoyens. On ignore trop souvent ces cas manifestes qui attestent du rôle joué par l'Europe. En matière de santé, ce rôle est indiscutable.

Les accords-cadres nous sont apparus, à bien des égards, comme un peu trop généraux. Pour en préciser les contours, et en faciliter l'exécution, le groupe de travail a produit un ensemble de recommandations qui portent d'abord sur les administrations chargées de mettre en oeuvre les coopérations sanitaires locales. Dans la suite de mon propos, je m'intéresserai davantage à ces recommandations qu'aux accords-cadres eux-mêmes.

L'une des principales interrogations portait sur le choix, dans l'accord avec la Suisse, de la seule caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie pour les rapports avec ce pays. Je rappelle, qu'avec les Suisses, il faut discuter canton par canton. À défaut de modifier le texte de l'accord passé en 2016, ce qui aurait retardé son entrée en application, nous avons décidé d'autoriser son approbation tout en faisant un certain nombre de propositions.

Nous souhaitons en particulier qu'une seule caisse française ne soit pas confrontée aux caisses des huit cantons qui assurent, côté suisse, une proximité et une réactivité plus fortes.

Il reste également un important effort d'information à réaliser. Rien de très structuré n'est organisé pour que les travailleurs frontaliers et, plus généralement, les populations frontalières soient au fait des opportunités mais aussi des contraintes concernant les questions de soins transfrontaliers et les questions d'affiliation à la sécurité sociale. Cette information est le plus souvent, voire quasi exclusivement, le fait des associations de frontaliers : elle ne parvient donc pas à l'intégralité de la population concernée.

Les caisses d'assurance maladie doivent prendre conscience qu'on attend d'elles plus de performances en matière d'information des citoyens. Il s'agit de l'une des recommandations fortes du groupe de travail. Une grande partie des litiges des dernières années autour de l'affiliation sociale des frontaliers en Suisse, litiges qui ont empoisonné la vie de plusieurs milliers de ménages, est sans doute due à la méconnaissance des règles de droit. Cette méconnaissance a pu être le fait d'assurés de bonne foi, mais aussi de l'aveuglement, on peut le dire, de l'administration qui a finalement perdu en justice après avoir poursuivi des milliers de personnes.

Espérons que ces conventions et aussi les dispositions de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite loi ESSOC, viennent radicalement changer les pratiques de défiance pour installer un vrai partenariat de confiance.

Pour ce qui concerne les agences régionales de santé, l'autre grand acteur administratif déconcentré, nous avons constaté une mobilisation très inégale entre les trois agences concernées par les relations avec la Suisse. Une seule agence est concernée par les relations avec le Luxembourg. La loi prévoit que le projet régional de santé élaboré par l'ARS doit comporter un volet transfrontalier. Cette prescription doit être respectée, ce qui n'est clairement pas le cas jusqu'à présent dans l'une de nos régions.

Plus généralement, le groupe de travail recommande de s'assurer que chaque ARS frontalière désigne un cadre de haut niveau référent pour les coopérations transfrontalières. Nous recommandons aussi d'instituer entre les ARS un cadre d'échange de bonnes pratiques en matière de coopérations transfrontalières afin de pouvoir mobiliser les conseillers diplomatiques des préfectures de région sur ces problématiques sanitaires.

Nous avons constaté que les coopérations transfrontalières se développent aujourd'hui principalement à l'aide des fonds européens Interreg, qui sont par nature temporaires. Afin de prendre des engagements de long terme, il serait utile de disposer d'un dispositif national pérenne. Cette série de recommandations concerne directement le fonctionnement des administrations, et éventuellement le budget de l'État. J'espère donc que Mme la secrétaire d'État pourra nous apporter des réponses et des engagements sur ces différents points.

Nous avons ensuite identifié des recommandations de portée moins générale, qui correspondent aux préoccupations exprimées par les personnes que nous avons rencontrées lors des auditions. Elles ont rappelé que l'intérêt des personnes concernées, c'est-à-dire des patients puisque nous sommes dans le domaine de la santé, était prioritaire.

Il y a un besoin, en premier lieu, de diagnostic partagé dans les bassins de vie transfrontaliers sur les besoins des populations et sur l'offre de soins existante. On constate qu'actuellement, les hôpitaux des régions frontalières ignorent souvent tout des compétences et des capacités de leurs homologues de l'autre côté de la frontière ; parfois ils ont plus de relations avec un lointain CHU, avec lequel par exemple ils échangent très fréquemment internes et chercheurs, qu'avec l'hôpital voisin, à quelques kilomètres de l'autre côté de la frontière. Il faut développer des instances permettant, dans les bassins de vie transfrontaliers, une connaissance partagée des besoins de santé et un diagnostic partagé des priorités qui en résultent.

Il y a aussi besoin, en second lieu, d'une réciprocité dans les réflexions transfrontalières sur ces sujets. C'est encore un autre enjeu, car on entend trop souvent dire que les établissements de « l'autre côté » font seulement du démarchage pour rentabiliser leurs équipements ou leurs lits surnuméraires en accueillant des patients transfrontaliers, mais n'ont pas vraiment le souci d'une coopération équilibrée.

En outre, il y a aussi très clairement un souci autour de la démographie des professions de santé, qui rend nécessaire de trouver avec nos amis suisses et luxembourgeois des solutions pratiques pour sortir de situations de pénurie de personnel aujourd'hui difficilement gérables, particulièrement en France comme je l'ai expliqué au début de mon intervention. Ainsi, les chiffres parlent d'eux-mêmes : deux tiers des infirmiers des hôpitaux universitaires de Genève sont français et, dans le même temps, les hôpitaux haut-savoyards sont confrontés à un turn-over annuel de 20 % à 25 % pour leur personnel infirmier et à des problèmes récurrents de recrutement.

La dernière série des recommandations du groupe de travail, qui répond aussi à une très forte demande des territoires et des personnes concernées, porte sur la gouvernance démocratique des coopérations sanitaires transfrontalières. Nous appelons en particulier à la mise en place de commissions d'usagers, de professionnels de santé et d'élus des territoires dans les bassins de vie frontaliers. Ce point est essentiel alors que les patients sont trop peu partie prenante de leur parcours de soins. C'est le moment de les remettre au centre des réflexions sur le sujet.

Vous ne serez pas surpris que je finisse sur une note alsacienne, en évoquant la collectivité européenne d'Alsace que les deux départements alsaciens ont décidé de former à compter du 1er janvier 2021. Dans notre rapport, publié en novembre dernier, nous souhaitions que la coopération sanitaire fasse partie intégrante des domaines où la nouvelle collectivité va exercer ses compétences en tant que chef de file de la coopération transfrontalière. Le projet de loi sur la collectivité européenne d'Alsace déposé en février et adopté par le Sénat en première lecture le 4 avril prévoit effectivement, ce dont je me réjouis, que le schéma alsacien de coopération transfrontalière établi par la collectivité comprendra un volet sanitaire – qui devrait être renforcé par un amendement que je proposerai le moment venu.

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