Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du mardi 28 mai 2019 à 15h00
Transformation de la fonction publique — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Six jours durant, vous avez esquivé les vraies questions que posait votre texte, ne répondant pas à celles qui vous dérangeaient et tentant de nous convaincre que votre texte était technique, alors qu'il est à l'évidence politique. En effet, il n'est pas de réforme de la fonction publique qui ne porte en elle, intrinsèquement, une réforme de l'État. Votre réforme n'y échappe pas et dit quelque chose de votre rapport à l'État, minimal, à l'intérêt général, somme des intérêts particuliers, à l'action publique, subsidiaire, et a contrario, à la puissance privée. Votre texte manque singulièrement de profondeur historique et de vision de l'avenir. Il a ses aspirations et ses inspirations, et les vôtres sont claires : le libéralisme de Frédéric Bastiat ou le new public management anglo-saxon.

La fonction publique, monsieur le secrétaire d'État, est le produit d'une longue histoire, faite de compromis savamment construits. Elle a été forgée par de grandes lois, qui sont des cathédrales républicaines : je pense aux grandes lois de 1946, 1983 et 1984. Le statut et le droit de la fonction publique ont quelque chose à voir avec l'émancipation individuelle, avec le progrès politique, avec l'intérêt général, avec les libertés publiques, avec une conception très française du service public. C'est la raison d'être du statut et des principes qui la fondent. Loin d'être le privilège des fonctionnaires, ce statut est d'abord et avant tout la condition d'un exercice républicain de l'action publique et la garantie du respect de l'intérêt général.

Ces principes, je veux les rappeler. Le premier d'entre eux, c'est l'égalité. L'entrée dans la fonction publique se fait par la voie du concours, qui garantit l'égal accès aux emplois publics et la sélection par la compétence ; le concours, comme moyen conciliant la sélection des plus aptes et la démocratisation de la fonction publique ; le concours, comme meilleur rempart au favoritisme et au clientélisme. Le deuxième principe, c'est l'indépendance. Les fonctionnaires doivent être protégés de la conjoncture et de l'arbitraire politiques. La fonction publique française repose ainsi sur le système dit de la carrière, où le grade est distinct de l'emploi. Le troisième principe est celui de la citoyenneté. Les fonctionnaires sont des citoyens qui disposent des mêmes droits et des mêmes devoirs que les autres citoyens : liberté d'opinion, droit syndical et droit de grève, tout cela se conciliant avec des obligations propres à la fonction publique en matière de neutralité, de déontologie, de discrétion ou d'information du public.

Monsieur le secrétaire d'État, votre réforme n'est pas une addition de dispositions techniques, de simplification ou de coordination, mais une rupture avec l'histoire longue de la fonction publique. En ouvrant très largement le recours au contrat, vous n'abolissez certes pas le statut – je ne l'ai d'ailleurs jamais dit – , mais vous faites le choix de la banalisation de la fonction publique et de l'exercice de l'État et, in fine, celui de l'affaiblissement de l'action publique.

D'ailleurs, selon des informations que vous démentez, mais que je maintiens, il se pourrait qu'avec votre réforme, nous atteignions jusqu'à 40 % d'agents contractuels dans la fonction publique – par le biais du fameux titre II de votre projet de loi et des décrets, qui seront sans doute rédigés de manière très souple, puisque, contrairement aux engagements pris, vous n'avez pas souhaité nous les communiquer au cours des débats.

Vous faites du contrat un parangon de modernité et le pivot de l'efficacité de l'action publique. J'y vois, à trop l'étendre, le risque de sa corruption. Le statut n'est pas d'abord protecteur des agents : il est, avant tout, protecteur de l'ordre républicain et de l'intérêt général. Avec le contrat, vous faites le choix du court terme, alors que l'urgence climatique commande la continuité de l'action publique et appelle à reconsidérer le temps long comme terrain de projets.

Avec le contrat, concurrent du concours, vous prenez le risque de l'arbitraire, de la rupture d'égalité, du clientélisme dans le recrutement. Avec le contrat ouvert à la très grande majorité des emplois de direction des trois versants de la fonction publique, vous prenez le risque de la confusion entre les intérêts publics et les intérêts privés, à la faveur du pantouflage ou du rétro-pantouflage, et vous affaiblissez de concert les perspectives d'évolution professionnelle des fonctionnaires. Avec le contrat et ses avatars – ils sont nombreux dans votre projet de loi – , avec la possibilité de recourir aux ruptures conventionnelles ou de déplacer d'office certains fonctionnaires dans le privé en cas d'externalisation, vous ouvrez la voie au rétrécissement de l'action publique, là où se pose de façon inédite la question de son extension. Enfin, votre projet de loi affaiblira de manière inédite le dialogue social au sein de la fonction publique en fusionnant certaines instances, alors même que la santé au travail est un enjeu primordial.

Monsieur le secrétaire d'État, votre projet de loi a fait l'objet d'un rejet unanime des neuf organisations syndicales de la fonction publique ; il fera également l'objet d'un rejet unanime des députés du groupe Socialistes et apparentés.

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