Intervention de Bernard Thibaut

Réunion du jeudi 23 mai 2019 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Thibaut, directeur de recherche émérite au CNRS, Laboratoire de mécanique et génie civil :

- Mon exposé va porter sur les techniques de mise en oeuvre du bois dans les charpentes des cathédrales. Je vous présenterai leur pertinence et les innovations qui y sont associées.

Le bois est un matériau sophistiqué résolument moderne. C'est une innovation majeure du monde végétal qui remonte certes à 300 millions d'années mais qui est plus que jamais d'actualité. Grâce aux outils modernes de caractérisation et de modélisation, les scientifiques sont capables de montrer le caractère étonnamment moderne de ce matériau. C'est un nid d'abeille naturel à l'échelle du micromètre, dont la direction principale est le fil du bois. Le matériau des parois des cellules de ce nid d'abeille est un composite à fibres à l'échelle du nanomètre, dont la matrice est constituée d'un alliage de polymères carbonés plus ou moins hydrophile. En outre, elle est dopée par un cocktail de molécules actives qui régule les interactions avec les insectes et les micro-organismes et détermine les propriétés sensorielles du bois.

La seule forêt française comprend 1 500 types de bois différents, avec des densités très variables, qui vont de 100 kg par m3 à 1 300 kg par m3. L'invention de la dendrochronologie permet aux historiens de donner l'âge d'une poutre, mais également de définir à la demi-année près la date à laquelle elle a été coupée. On sait ainsi que les charpentiers coupaient les bois en hiver et les utilisaient l'été suivant. Le débat qui a eu lieu sur la durée considérable de séchage du bois utilisé pour les cathédrales est donc faux puisque les charpentiers utilisaient du bois encore vert. Les techniques utilisées à l'époque sont encore connues et pratiquées sur des charpentes de petite dimension. Or, les charpentes construites avec cette technique ont résisté pendant plusieurs siècles, 800 pour la cathédrale Notre-Dame ! C'est donc une technique fiable.

Les débats sur la reconstruction de la charpente ont porté également sur l'existence ou non d'un nombre suffisant d'arbres. Selon mes calculs, 2 000 chênes de faible diamètre seraient nécessaires. Nos forêts en France métropolitaine en répertorient près de 200 millions. Grâce à l'inventaire forestier national et à ses bases de données, il serait plus aisé qu'au Moyen-Âge de sélectionner les arbres dans la mesure où les zones contenant des chênes avec l'élancement recherché seraient faciles à définir. Grâce aux outils modernes tels que le Lidar terrestre, il est désormais possible de réaliser une numérisation 3D des arbres candidats afin de vérifier avant abattage leur concordance a priori avec les pièces de bois recherchées qui ont été répertoriées lors de la digitalisation en 3D de la charpente. Avant d'équarrir la poutre, celle-ci pourra être passée aux rayons X afin de déceler d'éventuelles pourritures cachées.

Les arguments en faveur de l'utilisation du bois pour la reconstruction de la charpente sont nombreux : c'est une solution peu onéreuse, rapide (moins de deux ans) car tous les plans sont prêts et qui offre une garantie de résistance supérieure à cinq siècles. En outre, une tonne de chêne utilisée pour la charpente correspond à 1,8 tonne de CO2 récupérée dans l'atmosphère et stockée pendant des siècles. C'est également le matériau qui consomme le moins d'énergie fossile pour sa mise en oeuvre. Enfin, une charpente en bois pour la cathédrale Notre-Dame, ce n'est pas seulement un hommage aux chênes français, c'est le résultat de milliers d'années d'innovations rendues possibles par l'osmose entre la forêt française et les charpentiers. C'est un métier qui a une tradition et un savoir-faire, et l'utilisation du bois pour la charpente de Notre-Dame pourrait constituer une formidable école pour de nombreux apprentis et de jeunes sous le regard des Parisiens et des touristes.

Je voudrais maintenant aborder la question de la réaction du bois au feu. Un grand scientifique du bois avait vu naître sa vocation lorsque son directeur de thèse lui avait rétorqué : « le bois, ça brûle, ça casse et ça pourrit ». Le bois contient 50 % de carbone, donc c'est un bon combustible, c'est-à-dire qu'il peut brûler. Mais, en réalité, il ne brûle pas si facilement. Pour amorcer la combustion autonome d'une poutre en chêne, il faut apporter une grande quantité de chaleur, à des températures supérieures à 280 °C, pendant un temps suffisant, de 20 minutes environ. Ce n'est pas un hasard si, dans les épisodes récents de feux de charpentes monumentales, le démarrage de l'incendie est quasiment toujours associé à des travaux dans le voisinage de la charpente. En effet, ces travaux apportent souvent localement de grandes sources d'énergie, notamment à travers l'électricité. L'utilisation d'outils modernes tels que les caméras thermiques permet de détecter rapidement l'augmentation anormale de chaleur et de prendre les dispositions qui s'imposent. La répétition des accidents liés aux travaux laisse penser que les règles de sécurité actuelles ne sont pas adaptées aux situations des monuments.

Ce problème du feu des charpentes ressemble beaucoup à celui des départs de feux de forêt. Des progrès considérables ont été réalisés sur la connaissance de la physique de ces feux ; il faudra en tirer parti pour les monuments. Par ailleurs, on sait que lorsqu'un feu démarre, il faut que les pompiers soient informés aussitôt afin que leur intervention soit efficace. Une formation au problème du feu de charpente doit donc être mise en place et suivie par tous les acteurs de préservation et de restauration des monuments. Enfin, une mobilisation citoyenne de type « comité citoyen des charpentes monumentales », similaire aux « comités communaux de feux de forêt » mis en place en région méditerranéenne, pourrait être envisagée.

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