Intervention de Jean-Luc Fugit

Séance en hémicycle du lundi 3 juin 2019 à 16h00
Mobilités — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Fugit, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Si le projet de loi d'orientation des mobilités porte bien son nom, c'est notamment du fait de son titre III. Les défis du changement climatique et de la pollution de l'air sont en effet des défis de long terme, pour lesquels une mobilisation collective est nécessaire. Mais cette vision de long terme doit se décliner dans des actions de court et de moyen termes. C'est précisément l'objet d'une loi d'orientation : d'une part, anticiper les grandes évolutions à venir et se fixer un horizon d'action ; d'autre part, se donner les moyens de progresser, dès aujourd'hui, en direction de ces objectifs. Ce projet de loi doit donc répondre à deux questions, s'agissant du développement de mobilités plus propres et plus actives : quel est notre horizon ? comment l'atteindre ?

D'abord, quel horizon voulons-nous fixer ? Il est double, et les deux dimensions sont liées : lutter contre le changement climatique et, en même temps, contre la pollution de l'air. Le chimiste que je suis rappelle que ce ne sont pas les mêmes molécules qui sont impliquées dans les deux phénomènes : le dioxyde de carbone est le principal responsable de l'amplification de l'effet de serre – phénomène naturel – , tandis que les oxydes d'azote et les particules fines sont les polluants majeurs de l'air que nous respirons. Ce sont néanmoins deux phénomènes à combattre simultanément, car ils menacent notre santé, ici et maintenant, pour ce qui est de la pollution de l'air, et ils menacent l'habitabilité de certaines régions du monde, à terme, dans le cas du changement climatique.

La feuille de route est donc claire : nous devons limiter la hausse des températures mondiales bien en dessous de 2 degrés pour reprendre les termes de l'accord de Paris de 2015. Pour ce faire, les pays industrialisés doivent atteindre un objectif de neutralité carbone d'ici avant le milieu du siècle, c'est-à-dire d'ici à trente ans. C'est l'objectif que la France s'apprête à se fixer dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, dont la discussion aura prochainement lieu dans notre assemblée : viser la neutralité carbone à l'horizon 2050, c'est-à-dire ne pas émettre, à cette date, plus de gaz à effet de serre que nos puits de carbone – notamment nos forêts et notre agriculture – sont en mesure d'absorber.

Pour parvenir à ce grand dessein, que, je crois, nous partageons sur tous les bancs, il faudra réduire à néant les émissions de gaz à effet de serre liés à l'utilisation des véhicules terrestres. C'est précisément l'objectif que la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a inscrit à l'article 26 AA du projet de loi : « La France se fixe l'objectif d'atteindre, d'ici à 2050, la décarbonation complète du secteur des transports terrestres. »

Pour y parvenir, des objectifs intermédiaires, qui forment autant de points de passage, ont été introduits dans le projet de loi, notamment la fin de la vente des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs utilisant des énergies fossiles, d'ici à 2040. Dans vingt ans, on ne commercialisera donc plus de véhicules neufs alimentés au diesel ou à l'essence.

Deuxième série d'objectifs : ceux permettant la reconquête de la qualité de l'air. Les derniers chiffres de l'Agence européenne pour l'environnement montrent que la pollution de l'air est responsable d'environ 500 000 décès prématurés par an en Europe. En France, les dernières études, publiées en mars dernier, font état de plus de 60 000 décès prématurés dus à la pollution de l'air chaque année. Il s'agit donc d'un enjeu de santé publique majeur. Plusieurs zones de notre pays dépassent régulièrement les normes européennes de qualité de l'air : des procédures sont en cours contre la France devant la Cour de justice de l'Union européenne, pour dépassement, dans treize zones, des valeurs limites de concentration moyenne d'oxydes d'azote ou de particules fines. Il y a urgence à agir, afin de préserver la santé de nos concitoyens.

Les objectifs sont donc clairs : perspective de décarbonation complète des transports terrestres en 2050 et respect dès que possible des normes de qualité de l'air. Mais comment les atteindre ? C'est la seconde question, à laquelle ce projet de loi nous invite à répondre. Pour cela, il propose de nombreuses mesures, qui constituent un ensemble, dans lequel je distinguerai cinq orientations principales.

Premièrement, la promotion des mobilités actives, qui présentent le triple avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre, de ne pas générer de polluants de proximité et d'être bénéfiques pour la santé de celles et ceux qui les pratiquent. C'est pourquoi nous avons renforcé, en commission, cette orientation déjà substantiellement présente dans le texte initial du Gouvernement, qui vise à traduire dans la loi certaines mesures annoncées dans le cadre du plan vélo présenté en septembre 2018.

Deuxièmement, la promotion de l'intermodalité. Par la création de stationnements sécurisés pour les vélos ou la lutte contre les vols, il s'agit de lever les obstacles à l'usage du vélo. Nous avons également introduit, en commission, l'obligation de faire figurer, dans les publicités pour les véhicules terrestres à moteur, un message visant à promouvoir les mobilités actives et partagées. De nouvelles avancées seront en outre discutées en séance, notamment pour généraliser la construction d'aménagements cyclables.

La promotion des mobilités actives et partagées nécessite également que nos concitoyens aient les moyens financiers pour s'en saisir. C'est l'esprit du forfait mobilités durables, qui figure à l'article 26 du projet de loi : il doit à la fois inciter aux mobilités actives et partagées, et aider nos concitoyens à financer leurs déplacements quotidiens.

Nous avons fait le choix, en commission, de laisser le temps aux partenaires sociaux de parvenir à un accord sur la question des déplacements domicile-travail. C'est désormais en bonne voie, et je remercie nos collègues de tous les bancs qui ont accepté de retirer leurs amendements en commission pour laisser le temps nécessaire à ces discussions. Je suis persuadé – et cela semble largement partagé parmi vous – que la question de la mobilité doit être mise au coeur du dialogue social dans les entreprises ; c'est le sens d'un des amendements que j'ai déposés.

Le forfait mobilités durables constituera, je l'espère, une avancée offrant à nos concitoyens le pouvoir d'achat nécessaire pour faire face aux déplacements du quotidien et développer la pratique du covoiturage et des mobilités actives. Au regard du nombre et de la richesse des amendements déposés sur le sujet, j'imagine que nous en débattrons de manière approfondie.

Troisièmement, la promotion des véhicules à faibles émissions. En commission, nous avons adopté des dispositions importantes visant à verdir les flottes des grandes entreprises – celles qui comptent et utilisent plus de cent véhicules – , avec une trajectoire progressive et ambitieuse qui doit permettre d'aboutir à un taux minimum de 50 % de véhicules à faibles émissions en 2030. En séance publique, nous proposerons d'aller plus loin, en faisant également porter des obligations sur les taxis et les VTC affiliés à des centrales de réservation, et en alourdissant les obligations pesant sur les flottes publiques, afin que la puissance publique se montre exemplaire en la matière, conformément aux engagements européens. Pour nous assurer du respect de ces obligations, nous proposerons l'instauration d'un mécanisme transparent de publication annuelle des résultats.

La généralisation progressive des véhicules à faibles émissions implique également de lever les freins à leur utilisation ; je pense en particulier au manque d'infrastructures de recharge, qui constitue une limite importante à leur déploiement. Quatrièmement, il s'agit justement de les développer, que ce soit par le pré-équipement des bâtiments neufs ou par l'équipement des parkings des bâtiments non résidentiels existants. Là encore, je proposerai de renforcer cette logique, en améliorant le droit à la prise et en créant ce que l'on pourrait qualifier de « droit collectif à la prise ». Nous inciterons par ailleurs les collectivités à se doter de schémas de déploiement des infrastructures de recharge.

Enfin, nous avons renforcé, en commission, les dispositions du projet de loi relatives à la lutte contre la pollution de proximité. C'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur en tant que président du Conseil national de l'air, et je me réjouis que le Gouvernement ait saisi l'occasion de ce texte pour renforcer le dispositif de lutte contre la pollution, en particulier en créant des plans d'action en faveur de la qualité de l'air et en crédibilisant le dispositif des zones à faibles émissions.

Si la lutte contre la pollution est pertinente dans le secteur des transports, elle ne saurait cependant s'y réduire. C'est pourquoi j'ai proposé, en commission, de préciser que les zones à faible émission doivent, pour être tout à fait rigoureux, être qualifiées de « zones à faibles émissions mobilité ». En effet, elles ne doivent pas occulter l'action nécessaire dans les autres secteurs émetteurs. Ces dispositions doivent nous inciter à adopter une démarche transversale en matière de lutte contre la pollution de l'air, appuyée sur le travail exemplaire des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air. Cette pollution concerne chacune et chacun d'entre nous car, par sa constance et son ampleur, elle représente un véritable fléau sanitaire, contre lequel il nous faut lutter pour nous donner la possibilité de respirer un air qui ne nuise pas à notre santé.

Je tiens à souligner que le texte adopté par la commission constitue une base de travail qui doit être encore renforcée. C'est le sens des discussions que j'ai eues, ces derniers jours, avec les équipes de Mme la ministre et plusieurs d'entre vous, afin de faire fructifier les idées présentées en commission qui semblaient aller dans le bon sens mais dont la rédaction était néanmoins encore perfectible.

Nous aurons donc à discuter ensemble de sujets importants, qui vont orienter nos politiques publiques pour les années à venir. Se fixer un horizon, comme je l'ai indiqué au début de mon propos, et se donner les moyens de progresser dans sa direction, sont les deux objectifs que nous devons poursuivre dans les jours à venir. L'un ne peut pas aller sans l'autre si l'on souhaite, comme l'écrivait Jules Renard, que « l'horizon soit plus près ce soir que ce matin ».

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