Intervention de Hubert Wulfranc

Séance en hémicycle du lundi 3 juin 2019 à 21h30
Mobilités — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Wulfranc :

D'emblée, nous ne pouvons qu'être frappés par l'introduction de la notion de mobilité en lieu et place de celle de transport. En effet, cette notion a été développée et s'est imposée à l'initiative des milieux patronaux à destination des salariés. Dans un monde économique qui change en permanence, guidé par la recherche du profit fort à court terme, le patronat s'est employé à rendre incontournable la réalité de la mobilité pour les travailleurs : mobilité dans leur vie professionnelle comme dans tout ce qui lui est attaché, lieu de résidence, lieu de formation, j'en passe et des meilleurs ! Il s'agit aujourd'hui d'être mobile, ou encore flexible, polyvalent, agile, et ce, de plus en plus en plus rapidement, pour s'adapter aux exigences du système de production et d'échanges libéral.

Nous voyons donc ce texte comme un projet d'adaptation des transports de notre pays aux besoins du monde de l'entreprise. Pour les tenants du libéralisme, l'organisation des déplacements des hommes et des marchandises doit se recaler à la géographie et au paysage et économique et social que les libéraux continuent de dessiner à l'échelle des territoires et de la vie sociale. D'ailleurs, l'exposé des motifs l'assume clairement : « Les politiques de mobilité doivent s'appuyer encore plus sur l'initiative des entreprises », dites-vous, avant d'ajouter qu'il faut libérer ces initiatives privées, ne pas les brider. Tout cela pour renforcer leur rôle dans la gouvernance des transports car elles financent en partie les offres de mobilité via le versement mobilité.

Le patronat est donc officiellement investi d'un rôle significatif dans l'offre de service, la politique tarifaire et le taux du versement transport. S'agissant de ce dernier, désormais appelé versement mobilité, vous prenez le soin d'acter qu'il peut être modulé pour tenir compte de la fragilité économique de certains territoires. En bref, vous pouvez aussi, messieurs les patrons, vous exonérer un peu de cette contribution selon des critères dont nous ne savons rien. Tout est dit !

Ainsi, votre loi donne le volant des déplacements au privé, que les entreprises soient prestataires de nouveaux services ou qu'elles en soient utilisatrices par le biais de leurs salariés. Le marché de la circulation des hommes et des biens est tout ouvert. Il est vrai qu'il est immense !

En effet, « La frontière, hier stricte, entre mobilité individuelle et transports collectifs est en train de s'effacer », dites-vous avant de vous enthousiasmer des offres de « solutions nouvelles souples, réactives et, souvent, très peu coûteuses » que cela génère – en un mot, des solutions individualisées low cost. Dans cette logique, vous faites encore plus la place à l'ubérisation des circulations, un mode dégradé pour les travailleurs comme pour les utilisateurs. Toute personne privée peut désormais constituer un service multimodal de vente de service de transport conventionné ou organisé par la puissance publique.

Quant aux plateformes de mise en relation par voie électronique, votre gouvernement a l'audace, c'est peu dire, de prévoir une charte facultative pour offrir des droits sociaux supplémentaires aux travailleurs indépendants qu'elles emploient. Le Gouvernement est trop bon !

L'exposé des motifs du projet de loi identifie trois enjeux qui appellent à agir en ce domaine mais évite soigneusement de remettre en cause les choix effectués depuis plusieurs années en matière de cohésion sociale et territoriale, lesquels mettent à mal la mobilité des Français, font qu'elle est chère, harassante et préjudiciable pour leur santé et leur environnement.

Ainsi, l'organisation institutionnelle du pays et sa métropolisation galopante ne sont jamais remises en question, alors que les métropoles se comportent comme de véritables aspirateurs d'activités et d'emplois au détriment des autres territoires qui se désertifient. Vous ne faites que prendre acte du phénomène.

De même, nous ne voyons aucun signe traduisant une volonté de réindustrialiser et de reconquérir la production, alors qu'une telle politique permettrait aux habitants de nos régions de « vivre et travailler au pays », et à notre pays de peser sur les échanges transnationaux pour limiter leurs effets de congestion et le moins-disant social.

Enfin, on n'observe pas la moindre inclinaison vers une politique de redéploiement des services publics pour les placer à proximité immédiate des usagers, à l'échelle humaine de leur lieu de vie.

Vous faites donc fi des éléments d'observation de l'Institut du développement durable et des relations internationales – IDDRI – d'octobre 2018, qui note que la hausse de la mobilité locale est davantage liée à l'évolution de l'aménagement du territoire et des marchés de l'emploi, qui induit un rallongement des distances, qu'à une demande sociale plus grande de mobilité.

Quant au volet social de votre loi, il est d'une pauvreté et d'une imprécision affligeante. Aucune disposition de portée générale et universelle ne figure dans le texte qui soit de nature à faire baisser le coût des déplacements, à commencer par la décision forte que serait la diminution de 10 % à 5,5 % le taux de TVA sur un service, celui des transports, qui relève pourtant sans ambiguïté de la première nécessité pour les Français. Une telle disposition pourrait faire baisser le prix des billets des usagers et libérer des capacités de financements supplémentaires pour les autorités organisatrices des transports afin d'améliorer le fonctionnement du service et de développer l'investissement.

Lorsque vous visez des publics spécifiques – actifs, demandeurs d'emploi ou personnes en perte d'autonomie – , vous ne préconisez que des mesures facultatives. Or faute d'obligation, rien ne garantit que l'autorité organisatrice et ses entreprises partenaires les mettront en oeuvre. Seules les personnes handicapées et les aidants bénéficient – et c'est heureux ! – de quelques mesures favorables. Le même laisser-faire empêche de poser les conditions d'un usage vraiment encouragé des mobilités douces, au premier rang desquelles figurent les deux-roues, puisque le forfait vélo est toujours facultatif et que son bénéfice n'est pas cumulable avec le remboursement du coût des transports en commun.

Vous inscrivez votre loi dans le cadre d'une mobilité contrainte, phénomène que l'enquête de l'IDDRI préconise de freiner par la généralisation des approches de proximité pour l'urbanisme et la vie sociale. Vous refusez de sortir de cette vision en trompe-l'oeil qui associe systématiquement croissance de la mobilité et progrès social. La mobilité contrainte des ménages a des conséquences en matière de vulnérabilité énergétique, d'exclusion, de productivité et de bien-être. On comprend mieux ainsi comment s'est nouée la crise des gilets jaunes et pourquoi les doléances et revendications relevant directement ou indirectement du champ de la mobilité sont aussi puissantes. C'est toute une aspiration à vivre mieux au quotidien qui s'exprime.

Nos concitoyens souhaitent une vie plus apaisée, plus humanisée, car leur rapport à l'espace-temps, incarcéré dans les critères de rentabilité maximum au travail, n'est plus soutenable. À ce titre d'ailleurs, le Forum des vies mobiles de 2016 montrait que près de la moitié des personnes souhaiteraient réduire leur mobilité. Alors, suis-je un ringard tout juste bon à plaider ici une recherche du temps perdu...

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