Intervention de Christophe Bouillon

Séance en hémicycle du vendredi 7 juin 2019 à 9h30
Débarquement de normandie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bouillon :

« Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon coeur d'une langueur monotone » : le 5 juin 1944, à vingt et une heures quinze, la première strophe de Chanson d'automne, de Paul Verlaine, entre dans l'Histoire.

La plage de Ouistreham s'apprête à devenir, à tout jamais, Sword Beach, celle de Courseulles-sur-Mer, Juno Beach, celle d'Arromanches, Gold Beach, celles qui s'étendent de Colleville-sur-Mer à Cricqueville-en-Bessin, Omaha Beach et celles de Sainte-Marie-en-Bessin à Quinéville, Utah Beach. Le pont de Bénouville s'apprête lui aussi à devenir à tout jamais Pegasus Bridge. Près de 7 000 navires, 130 000 hommes et 20 000 véhicules débarquent sur les plages normandes pour l'opération Overlord.

L'histoire tient parfois à peu de chose. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, la Manche est démontée. Mais, grâce à leurs navires météorologiques en Atlantique nord, les Britanniques disposent d'informations certifiant une accalmie de quelques heures qui peut autoriser un débarquement sur les côtes normandes. Les Allemands, eux, sont certains que la tempête va durer. Ils sont persuadés que les Alliés choisiront la voie de mer la plus courte, celle du Pas-de-Calais. Le commandant allemand part sereinement en permission en Allemagne. Le débarquement de Normandie, le D-day, tant attendu, est un succès et marque le début de la reconquête du continent.

Je voudrais, au nom du groupe Socialistes et apparentés, m'associer à la commémoration du soixante-quinzième anniversaire du Débarquement, cérémonie à laquelle j'ai participé hier, et remercier, à travers le vote de cette proposition de résolution, nos alliés américains, britanniques et canadiens. Leur rôle décisif pour mettre fin à la tyrannie nazie en Europe et défendre le monde libre mérite grandement que nous exprimions de cette façon notre pleine reconnaissance. N'oublions pas.

Permettez-moi d'abord de saluer la relation historique séculière qui nous lie aux États-Unis. Nous avons une dette vis-à-vis des soldats, pour la plupart très jeunes, qui se sont battus à des milliers de kilomètres de chez eux pour la liberté d'un continent dont ils ne connaissaient rien. Ils l'ont fait, comme l'avaient fait leurs aînés pendant la Première guerre mondiale, aux cris de « Lafayette nous voilà », au nom notamment de l'aide que la France révolutionnaire leur avait apportée pour qu'ils gagnent leur propre indépendance.

Les relations historiques entre nos deux États et nos deux peuples surpassent de loin les soubresauts de la conjoncture ou les aléas politiques. Sachons maintenir au nom de ces liens une relation fructueuse, ce qui n'interdit pas d'être exigeant et sans faiblesse quant aux valeurs que nous promouvons. Comment ne pas être circonspect et inquiet face à la politique de l'actuel président des États-Unis qui, remettant en cause les principes du multilatéralisme, participe au sapement des institutions de l'après-guerre, celles-là même qui avaient permis d'établir les bases de la paix et de la prospérité ? La question du devenir du multilatéralisme et du règlement des différends par le droit est posée face à la montée des politiques de puissance et au retour de ce qu'on appelle les sphères d'influence.

N'oublions pas, car la politique de mémoire doit, dans les temps troubles que nous connaissons, être vive. Elle doit contribuer à éviter la colonisation de la pensée par des mouvements populistes. Elle doit éviter l'indifférence face à l'inacceptable ; l'inacceptable, c'est autant la remise en cause de l'État de droit dans certains pays européens que les naufrages de milliers de migrants en Méditerranée. Ne cédons pas à l'individualisme et, comme y appelait le grand résistant Stéphane Hessel, maintenons notre faculté d'indignation.

N'oublions pas les combattants français et les soldats de la France libre, en particulier les 177 fusiliers marins du commando Kieffer, qui ont été les acteurs valeureux de la libération de notre pays. N'oublions pas les résistantes et les résistants de l'intérieur qui ont participé à la bataille de Normandie, en fournissant les renseignements utiles à la réussite de l'opération. N'oublions pas non plus les troupes canadiennes qui, le 19 août 1942, ont payé un lourd tribut en débarquant sur d'autres plages normandes, celles de Dieppe. N'oublions pas non plus les soldats de l'armée africaine qui, en août 1944, ont participé au débarquement de Provence.

Il aura fallu du temps pour que l'anniversaire du débarquement de Normandie fasse l'objet de cérémonies internationales et d'une mobilisation politique au plus haut niveau. Il faut, en effet, attendre le quarantième anniversaire, en 1984, et François Mitterrand, pour que soit commémoré, dans le format actuel, en présence de plusieurs chefs d'État étrangers, le débarquement de Normandie. Plusieurs raisons à cela. D'une part, la date de commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale a longtemps fait débat et le 8 mai n'est redevenu un jour férié qu'en 1981. D'autre part, le Débarquement est un symbole douloureux pour la mémoire normande. Les bombardements et les actes de guerre ont fait près de 20 000 morts dans la région. Si la paix n'est jamais définitivement acquise, le travail de mémoire est un devoir incessant.

En conclusion, si nous voulons être à la hauteur de l'héritage de ces héros qui ont redonné un sens au mot liberté, nous devons être intransigeants sur nos valeurs. Nous devons rester ouverts sur le monde et sur les autres. Nous devons nous souvenir que la paix ailleurs commence ici et méditer la phrase de Michel Serres : « la guerre n'est pas la mère de toutes choses. La bataille ne produit rien, sauf de nouvelles batailles, d'où sa fécondité nulle », ou celle d'Eisenhower, le commandant en chef des forces alliées lors du Débarquement : « je crois que la meilleure façon de protéger mes propres droits est de protéger les droits des autres ».

Hier, j'ai eu la chance de découvrir l'exposition exceptionnelle consacrée à Norman Rockwell au Mémorial de Caen. Mon attention a été retenue par les quatre tableaux représentant les quatre libertés citées par le président Roosevelt dans son célèbre et déterminant discours du 6 janvier 1941. Il y défend la liberté d'expression, la liberté de croire, la liberté de vivre à l'abri du besoin et la liberté de vivre à l'abri de la peur. Permettez-moi d'en rajouter une cinquième : la liberté de dire merci. Merci aux alliés de nous avoir redonné toutes ces libertés.

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